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5 portraits d'écrivains russes:
Alexandre Soljenitsyne, Alexandre Pouchkine, Boris Pasternak, Fiodor Dostoïevski, Marina Tsvetaïeva

La Russie de demain

à la lumière de son histoire littéraire

 

Gilles Cosson

 

Les éditions de Paris Max Chaleil

80 pages, 10 €


Recension Gilles Castelnau

 

.

10 mai 2024


Gilles Cosson est un homme de grande culture, d’une inépuisable curiosité et un infatigable voyageur international. Son intérêt pour la littérature russe fait qu’il la rapproche de l’histoire de ces pays et des visites qu’il a pu y faire. C’est l’intérêt de ce livre qui en rend la lecture surprenante en même temps qu’elle pointe sur des connaissances souvent bien lointaines.

Gilles Cosson, en polytechnicien avisé, sait présenter en peu de mots clairs une réflexion originale saisissante.

En voici des passages.



I
Une question préliminaire
Rôle de la langue russe comme facteur
d’intégration administrative et de richesse culturelle

 

Cas de l’Ukraine

En 1793, la rive droite ukrainienne est annexée par l'Empire russe. Dans les années qui suivent se met en place la russification, ensemble de mesures interdisant notamment l'utilisation et l'étude de la langue ukrainienne. On contraint également les habitants à se convertir à l'orthodoxie.

Notons, de plus, qu’un afflux important de Russes vient s'installer au XXe siècle sur le territoire pour coloniser le sud du pays, puis pour occuper les emplois dans l'industrie et l'extraction minière, formant la majorité de la population des villes situées à l'est du Dniepr, voire au sud (Odessa). Les personnes de langue ukrainienne vivaient majoritairement, jusqu'à la guerre récente, dans les campagnes et dans les régions occidentales et centrales.

Le tsarisme comme le communisme ont toujours tenté de réduire par la force ces revendications culturelles en imposant l'usage de la langue russe. Il n'est donc pas étonnant que, dans les régions bilingues, la revendication à l'autonomie ait toujours été forte. La résistance actuelle de l'Ukraine à l'invasion en est l'illustration, notamment avec le rejet de la langue russe dans les provinces contrôlées par le pouvoir ukrainien. À l'inverse, la guerre du Donbass en 2014 était une révolte des provinces russophones contre le nouveau pouvoir politique de Kiev cherchant à supprimer au russe son statut de langue officielle dans l’ensemble du territoire ; l'armée ukrainienne s'était alors lancée de son côté à l'époque à l'assaut des milices locales. Tout cela explique sans doute en partie les événements actuels.

 

 

II
Quelles sont les caractéristiques de la littérature russe ?
Existe-t-il en elle un principe intemporel ?


 

A l’époque tsariste


Il faudra attendre l'arrivée de Nicolas II pour voir apparaitre dans la littérature les prémices de la critique du tsarisme. Car l'émergence progressive d'une classe ouvrière urbaine liée au développement industriel va commencer à bouleverser la tradition en accentuant le divorce entre bourgeois et prolétaires. Ainsi, Gorki insiste-t-il dans ses premières œuvres, notamment dans Essais et histoire comme dans les Bas-Fonds, sur l'oppression subie par les plus misérables. Emprisonné brièvement en 1905, il préfigure une revendication socialiste mais non pas encore révolutionnaire, qui fera de lui l'emblème des écrivains engagés dans une rhétorique non extrémiste, avant la tourmente de 1917.

 

La révolution de 1905, faisant suite à la défaite subie par la Russie face au Japon, donne naissance à une première littérature se revendiquant révolutionnaire et qui s’exprime dans un ouvrage peu connu, Le tsar et la révolution.

 


L’après-guerre et la libéralisation progressive de l’espace littéraire

[…]

Après la mort de Staline, Khrouchtchev entrouvre la porte de la critique en dénonçant la tyrannie de son prédécesseur. Avec Brejnev, la censure, redevenue sévère au début, se délite sous le régime des vieux dirigeants en place : Andropov — pourtant ancien dirigeant du KGB —, puis Tchernenko, de plus en plus incapable de dominer une situation intellectuelle en pleine effervescence.

[…]

Quant au rôle de Soljenitsyne, il est évidemment exemplaire, puisque ce dernier parvient à survivre à une déportation impitoyable, mettant en relief le destin du Zek, déporté victime de la répression soviétique. Emprisonné, malgré une brillante conduite au front, pour avoir critiqué Staline dans une lettre, il écrit « dans sa tête » Une journée d'lvan Denissovitch, livre publié lors de la libéralisation kroutchevienne. Censuré ensuite sous la présidence de Brejnev après la parution du Pavillon des cancéreux et du Premier cercle, puis exilé lors de la parution de L'archipel du Goulag, il publie alors La roue rouge, œuvre magistrale dans son inspiration historique et critique. Malgré sa clairvoyance, Soljenitsyne restera relativement peu connu en Russie après la chute du communisme, notamment du fait de son exil prolongé et de son attachement au passé, à l'orthodoxie en particulier, qu'il considère comme le moyen de résoudre les problèmes du moment.

 


Après la chute du communisme

Nous rentrons là dans une époque par nature « déséquilibrée ». Les écrivains russes, habitués depuis toujours à biaiser avec le pouvoir, se trouvent dans une situation inédite, celle d'une pleine et entière liberté intellectuelle. Les interventions sont donc extrêmement variées, allant des romans quasi policiers de Boris Akounine à la défense de l'écologie, notamment dans l'œuvre de Maria Galina, ou à des thèmes liés à la vie personnelle des individus.

[…]

 Il faut citer à ce sujet les romans très sombres de Svetlana Alexievitch, née d'un père biélorusse et d'une mère ukrainienne, devenue citoyenne biélorusse après le démembrement de l'URSS. Nommée Prix Nobel de littérature en 2015, elle se penche avec un réalisme cruel sur la souffrance et le courage des individus soumis à des moments particulièrement cruels, comme dans La fin de l'homme rouge, qui acte le désenchantement des citoyens d'une patrie perdue :

 « L’homme rouge meurt dans la souffrance, dit-elle, de passage à Paris. La révolution a été faite par Gorbatchev et une poignée d'intellectuels. J'en étais. Mais 80 % des gens se sont réveillés dans un autre pays, sans savoir comment vivre. »

Et un peu plus loin : « À quoi bon tous ces sacrifices, tous ces morts, toutes ces guerres, s'il n'y a plus, à l'horizon, ni croyances ni grandeur ? »

 

 

III
L'influence de la littérature sur la politique russe d'aujourd'hui

L'histoire littéraire a brillamment illustré le destin d'un peuple russe plutôt docile et habitué à céder à l'adversité : résignation, compassion, courage, patience, amour la nature, humilité, sont les nobles caractéristiques dont nous avons rendu compte dans les pages précédentes. Cependant, cette vision de l'âme russe est infirmée dans des situations particulières.

Ainsi peut surgir une riposte héroïque à l'agression extérieure, dans laquelle l'amour de la patrie joue un rôle fondamental, comme on a pu le voir lors de la campagne napoléonienne de 1812 et de l'invasion hitlérienne de 1941.

On rencontre aussi une résistance à l’oppression, qui, pour être discrète, n’en est pas moins présente, notamment chez les intellectuels.

 

 


IV
Réflexions sur l’avenir.

Quel rôle pour les intellectuels et les écrivains ?

 

Quelques faits sociopolitiques
et leurs conséquences sur le mode littéraire

Le champ linguistique

[…]

Une fois passés les drames actuels liés au souhait de reconstitution de l'ex-empire tsariste/staliniste, drames qui devront bien trouver un jour une solution réaliste dans laquelle les spécificités linguistiques joueront un rôle évident, la sagesse ne serait-elle pas de demander à l'Ukraine de renoncer aux régions russophones et russophiles à l'image de la Crimée et du Donbass ? C'est ce que souhaitent sans l'avouer beaucoup d'intellectuels et d'artistes russes réfugiés en Europe, l'imposition de l'ukrainien comme langue officielle après la révolution de Maidan constituant une décision regrettable. La contrepartie pourrait être l'entrée de l'Ukraine, ainsi réduite à son territoire de spécificité linguistique, dans l’Union européenne, sans adhésion cependant à l'OTAN, réticence partagée par la plupart tant en Occident qu'à l'étranger, qui devrait stabiliser cette région.

 

[…]

La logique ne serait-elle pas, comme le pensent beaucoup de Russes exilés ou non, de rassembler la Russie et l'Occident dans une même alliance culturelle et économique faisant face à l'islam revendicatif d'aujourd'hui (cf. semble-t-il, le drame du vendredi 24 mars 2024 à Moscou rappelant celui du Bataclan à Paris) et à l'accroissement inévitable de la pression chinoise aux frontières de l'empire ? Il faudrait pour cela que les États occidentaux et l'Europe en particulier — acceptent de réviser leur position antagoniste à l'égard de la Russie alors que tout devrait les en rapprocher. Des erreurs ont été faites des deux côtés en sous-estimant le particularisme russe ; il conviendrait de les corriger. Les intellectuels des deux bords, tant français que russes, pourraient y aider.

 


Conclusions
Rôle des intellectuels et des écrivains dans la Russie de demain

Cela dit, il ne nous parait nullement nécessaire de chercher à implanter la démocratie, au sens moderne et parfois désordonné que lui prête la tradition occidentale, dans un pays aussi complexe que la Russie. Chaque nation a ses habitudes culturelles et il est toujours dangereux de vouloir forcer le destin de l'une d'elles. Comme le disait Soljenitsyne dans son magistral discours à l'université Harvard en 1978 :

« Toute culture originale, si elle est établie depuis longtemps, constitue déjà un monde à part... Tel a été durant mille ans le cas de la Russie, bien que la pensée occidentale ait systématiquement refusé de reconnaitre son originalité, ce qui fait qu'elle ne l'a jamais comprise et qu'elle ne la comprend toujours pas. »


 
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