Discours d'au revoir
du pasteur Brice Deymié
aumônier national des prisons
Brice Deymié
nommé pasteur de l'Église protestante
française de Beyrouth
prend
congé de la Fédération protestante de
France
en présence de son président François
Clavairoly
et de son ami Gérard Larcher président du
Sénat
18
août 2021
Chers collègues, Cher François, cher Gérard,
monsieur le président du Sénat.
Je voulais très sincèrement vous
remercier pour la fête de ce soir, merci aussi
et surtout pour ces douze années passées à vos
côtés, j’ai passé un très riche ministère
d’aumônier national.
Tout mérite en nous est l’œuvre de
la grâce de Dieu.
Au dix-septième siècle, le pasteur
français Pierre Dumoulin déclare dans un sermon,
qu'avec le Christ, « de justice jugeante, [la
justice de Dieu] devient justice justifiante ».
Comme l'affirme l'évangile de Jean, « Dieu
n'envoie pas son fils pour juger le monde, mais
pour que le monde soit sauvé par lui. »
« Juger le monde » correspond ici à la justice
jugeante, celle d'un tribunal qui sanctionne. «
Sauver le monde » relève de la justice
justifiante qui pardonne et dispense de subir la
peine méritée. Dieu ne constate pas que le
croyant est plus ou moins juste afin de
prononcer une sentence positive ou négative. Il
nous rend justes. En ce sens, Luther distingue «
la justice passive », celle que nous recevons de
Dieu, et qui nous sauve, de « la justice active
», celle que nous exerçons, et qui reste
toujours insuffisante, qui nous conduit à la
perdition. Comme l'écrit le théologien
protestant Gerhard Ebeling, dans la Bible « la
justice de Dieu ne désigne pas un attribut divin
... [une] vertu qui attribuerait à chacun ce qui
lui revient. Bien plutôt, par justice de Dieu
[la Bible] désigne un agir divin, un agir qui
restaure, qui produit le salut... Lorsque Paul
dit que la justice de Dieu est manifestée dans
l'évangile, il vise précisément par là l'agir
salvifique de Dieu. »
Selon une formule du théologien protestant Paul
Tillich, Dieu ne nous demande pas de devenir un
peu plus acceptable ou un peu moins inacceptable
pour nous accepter. En Jésus Christ, il nous
accepte, bien que nous soyons inacceptables.
Cette bonne nouvelle, qu'annonce l'évangile, la
Réforme la redécouvre et la proclame.
Cette question est évidemment au cœur de
l’activité d’aumônier de prison, c’est même le
centre du message que nous proclamons
quotidiennement dans les prisons françaises la
dignité du sujet devant Dieu est antérieure aux
actions. Chacun a une valeur infinie. L’Evangile
dit vrai. La dignité nous vient de l’extérieur,
indépendamment de notre valeur, par grâce.
Cette Evangile qui nous apprend à
ne pas réduire la personne à ses actes. « Père,
pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font
», prie le Christ devant les Romains venant de
le crucifier.
Une conception de la dignité basée
sur la valeur de la personne ou de la qualité de
sa vie pose des problèmes, cela en pose pour
soi-même, cela en pose dans sa relation aux
autres et c’est une ultime injure faite aux
blessés de la vie, au mal nés, aux coupables,
aux condamnés... Non seulement ils ont déjà des
difficultés, mais en plus notre conception de la
dignité les dévalorise.
La dignité ne peut être ni de doit
être jaugée. Le Christ nous dit : « Vous êtes la
lumière du monde » que nous le voulions ou non,
cela nous est donné, individuellement. Jésus dit
ensuite qu’il y a une chose qui peut empêcher
cette lumière de rayonner c’est de la mettre
sous un boisseau, c’est-à-dire une mesure de
grain. Oui aussitôt que l’on essaye de mesurer
si une personne est plus ou moins lumineuse,
plus ou moins digne, aussitôt tout devient
sombre. Pourtant la lumière brille toujours,
malgré le boisseau. L’aumônier de prison est
celui qui va ouvrir l’autre à la possibilité de
soulever le boisseau, de soulever la mesure
qui l’enferme. L’aumônier est celui qui
annonce la justice justifiante de Dieu.
L’aumônier de prison vit tous les
jours « l’expérience du tu » comme l’exprime un
philosophe juif que j’affectionne
particulièrement, Emmanuel Lévinas. Cette
expérience se voit attribuer par Lévinas un
caractère primordial, fondateur il dira même «
antérieur au savoir, antérieure même à la
conscience ».
Est-il possible que l’aumônier
soit dans la prison le représentant d’une
transcendance qui nomme ? C’est ainsi la scène
du film, Monsieur Vincent de Maurice Cloche
(1947) où Vincent de Paul (1619) se penche sur
des pauvres misérables qui rament dans les
galères et leur demande :
- « comment t'appelles-tu ? »
- Christian,
- Hé bien Christian tu es unique et
indispensable. »
Voilà ce qui peut résumer la
parole de l’aumônier témoin d’une transcendance
qui dit: tu es unique et indispensable. Dans ta
misère, ton incapacité, ta culpabilité...
Nommer dans la Bible est un acte
qui induit et suppose l'avènement d’un sujet
inséparable de ce nom, qu’il porte et qui le
porte, participant à ses prérogatives et à sa
destinée.
Proposer Dieu en prison, proposer
la possibilité de Dieu c’est introduire une
altérité qui peut devenir un facteur constitutif
de l’identité. C’est la figure de l’Autre
qui n’est pas l’ennemi, qui n’est pas l’intrus.
Faire comprendre que l’autre n’est pas
l’agresseur mais le fondateur. L’autre
comme l’ont montré Lévinas et Ricoeur qui est
justement celui qui, par son identité même,
m’appelle, me convoque et ainsi me fait sortir
de l’enfermement sur moi-même. Oui quand je vois
ou perçois l’altérité de Dieu, cette altérité va
être constitutive de mon identité. Nul ne se
construit ni se comprend seul devant lui-même,
dans la solitude. On retrouve l’idée du nom et
de la nomination.
Il nous faut être arrachés,
appelés, interpellés.
Les identités brisées des
personnes détenues supposent, appellent, exigent
une altérité qui la fasse émerger, sortir de
l’indifférencié et du non identifié. « C’est la
foi que les autres mettent en nous qui nous
indique notre route » écrit François Mauriac (Un
adolescent d’autrefois).
Il faut donc, au point où nous en
sommes, distinguer altérité et aliénation. Les
conséquences du crime ou du délit sont
aliénantes, elles désapproprient, et
devant cette aliénation le détenu devient
étranger à lui-même.
Une parabole de cette aliénation
peut être cherchée dans le récit de la Genèse.
Le serpent est essentiellement en faute parce
qu’il induit en Eve, un désir qui n’est pas le
sien, un désir qui ne la constitue pas mais qui
l’aliène. Aussitôt alors on devient étranger à
soi-même, faute d’une altérité d’appel et de
communion.
C’est cela la foi, reconnaître celui qui me
nomme, m’identifie, m’annonce.
Sur le chemin d’Emmaüs, l’inconnu
rencontre deux hommes. Cet homme qui survint est
d’abord l’étranger mais par la double grâce de
sa propre hospitalité par la parole et de la
leur en l’hôtellerie, il devient l’hôte. l’hôte
qui reçoit et qui est reçu, et qui dès cet
instant, est reconnu dans son identité. (« Alors
leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent »
Lc 24,31 et permet aux autres de se redécouvrir
dans leur identité : « Notre coeur n’était-il
pas tout brûlant en nous tandis qu’il nous
parlait ? » Cet autre qui se fait hôte est celui
qui, en me recevant, me permet de me
recevoir.
Alors quand l’autre porte le nom
de Dieu quand l’hétéronomie devient
théonomie. la vérité du fini est dans l’infini
disait Hegel. Et Lévinas écrit : « C’est
probablement la méconnaissance de l’originalité
irréductible de l’altérité et de la
transcendance, et une interprétation purement
négative de la proximité éthique et de l’amour,
l’obstination de les dire en termes d’immanence,
qui fait que l’idée de l’infini puisse être
entendue comme le domaine de l’incertitude d’une
humanité préoccupée d’elle-même et incapable
d’embrasser l’infini » (Transcendance et
intelligibilité, Genève, 1984, pp. 28-29).
Lévinas qualifie cette incapacité d’embrasser
l’infini comme l’incapacité « d’être frappé par
Dieu »
L’homme se conquiert ou peut se
conquérir au contact de l’Absolu, c’est la
conviction de tous les aumôniers qui poussent
chaque jour les portes des prisons.
Dans un monde comme celui de la
prison, l’autre est un problème: la victime, la
famille, le co-détenu, le surveillant...
l’autre, le proche. Or je viens d’essayer de le
dire, la reconnaissance de l’altérité est une
condition pour recevoir son identité, oh combien
problématique dans le milieu carcéral !!
Plus est élevé celui qui est mon
autre, plus est grande l’altérité, plus mon
identité n’est-elle pas confirmée ?
L’objectif d’accompagner la
peine dans la foi, n’est pas, contrairement à ce
que beaucoup pensent, de séparer l’intelligible
du sensible et de transformer l’homme terrestre
en homme céleste dégagé de l’emprise de la
chair, mais de concilier le fini avec l’infini
où ce dernier n’apparaît pas comme la
perspective lointaine de l’au-delà, mais comme
l’irruption d’une transcendance qui donne au
fini sa perspective ultime.
Autrement dit l’accompagnement de
l’aumônier de prison permet de faire prendre
conscience à l’homme qu’il est cet être
singulier qui est toujours devant soi, en tâche
de soi, qu’il sort du magma des choses en
imposant son acte libre : il ex-siste, il se
tient hors de lui-même. C’est tout l’enjeu du
dialogue qu’ont les aumôniers avec les détenus,
les malades, les souffrants de toutes sortes de
maux sociaux ou physiques: tu n’es pas réduit au
fini de ta condition. La foi pour l’homme c’est
donc la possibilité qui lui est donnée de faire
la synthèse entre des éléments hétérogènes: le
fini et l’infini, le temporel et l’éternel, la
liberté et la nécessité, l’absolu et le relatif,
l’inconditionné et la condition, comme l’exprime
le philosophe danois Soeren Kierkegaard.
J’en viens à ma conclusion
Je fais un vœu et peut être une
prière que j’adresse aux parlementaires :
puissent-ils débattre sans émotion ni populisme
de la question de la prison et être à
l’initiative d’une grand débat national sur :
comment punir au XXIe
siècle ? La prison ne peut plus être
l’unique peine de référence et comme
l’exprimait le chercheur Pierre-Victor Tournier
il faudrait ne plus parler d’alternative à la
prison en parlant des autres peines mais parlait
de la prison comme une alternative aux autres
peines. C’est une mutation culturelle et
philosophique dont l’initiative doit être
politique.
Je remercie l’administration
pénitentiaire, les hommes et les femmes qui
travaillent dans les prisons, des personnes
remarquables dans un difficile rapport
d’altérité comme je le mentionnais plus haut. Là
aussi je fais un vœu ou une prière : que
l’administration continue à faire confiance aux
aumôniers et aux aumôneries et qu’elle n’ait pas
la tentation de nous réduire à des prestataires
de rites religieux.
Je remercie la Fédération
protestante de France et son Conseil de bâtir la
maison commune de notre protestantisme pour que,
malgré les dissensions et les tiraillements de
notre famille, nous continuons à travailler
ensemble, c’est fondamental pour l’aumônerie et
pour la cohérence de ce que nous sommes devant
les détenus.
Je remercie mes chers collègues de
me supporter dans tous les sens du terme. Merci
à Véronique mon assistante, l’âme du service,
les aumôniers nationaux passent, Véronique
reste, elle est le passé, le présent et le futur
proche de l’aumônerie, je remercie la Présidente
de la commission Jocelyne Le Bivic qui a accepté
cette charge sachant que je pouvais
éventuellement partir. Elle assume
remarquablement depuis deux ans cette tâche de
présidente.
I hope that the next general chaplain will speak
english with perfect english accent and not with
a bad french accent.
Et enfin merci à mon épouse Sylviane qui me
supporte depuis 33 ans, femme de pasteur ce
n’est pas toujours facile.
Merci à mes enfants Sarah et Nathan. Sarah qui
vient d’entrer dans la pénitentiaire.
L’aventure continue puisque je
pars au Liban, un pays au bord du gouffre,
j’espère que la petite communauté protestante
pourra relever les immenses défis qui sont
devant elles. Mais rien n’est impossible à Dieu.
Je vous dis un très chaleureux
au-revoir, vous allez beaucoup me manquer,
ensemble on a sauvé le néflier, ce n’est pas un
cèdre mais son ombre est connue pour être dense
et fraiche. Je vous imaginerai sous le néflier.
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