Protestants dans la Ville
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L’évangile
d’une femme
Une
lecture de l’évangile de Marc
François Vouga
professeur
de Nouveau Testament
et Carmen Burkhalter
pasteur
Édition Bayard
240 pages – 18,90 €
Recension
Gilles Castelnau
25 mai 2021
Le professeur François
Vouga et la pasteur Carmen Burkhalter
proposent, d’une part, que l’évangile de Marc a
été rédigé par une femme – ils donnent des
arguments intéressants – et d’autre part, et
surtout, montrent d’une manière extraordinairement
vivante comment il a été conçu et réalisé.
Les biblistes savent depuis longtemps que les
évangiles ont été écrits longtemps après les
épitres de Paul et de Pierre et que l’historicité
de leurs récits est bien moins sûre que la
théologie qui les sous-tend.
Il n’en demeure pas moins que les lecteurs
ordinaires abordent inconsciemment ces textes
comme des reportages de témoins oculaires, avec
tous les problèmes que cela entraine :
invraisemblance, contradictions, ridicule : une
célèbre chanteuse interviewée au micro de la
télévision se disait récemment très croyante et à
la demande de citer un épisode des évangiles
répondait : « Jésus marchait sur l’eau pour
réaliser la pêche miraculeuse » !
François Vouga et Carmen Burkhalter sont
conscients du fait que le second Évangile a été
vraisemblablement rédigé à Rome ou dans le milieu
gréco-romain (ils supposent que ce soit dans la
Syracuse sicilienne) et dans un milieu marqué par
la théologie paulinienne. Ils nous font le récit –
imaginaire – de sa rédaction par une chrétienne
gréco-romaine cultivée en rapport avec son mari et
ses deux enfants, à laquelle ils se plaisent à
donner la parole « Mon mari m'a dit... ». Ils
manifestent leur remarquable compréhension du
texte en imaginant de façon parfaitement
intelligente et rigoureuse, les hésitations et
décisions de cette auteure imaginaire.
Le résultat en est un livre que l’on lit comme un
roman dont on ne saute pas une ligne tout en étant
baigné dans toute la vie et la réflexion
théologique des années 70 du christianisme.
En voici quelques passages.
Prélude : L’événement : l’invention du
premier Évangile
De
quelle poétesse Marc est-il le nom ?
Les cycles de
l’alphabétisation :
Écrivaine au premier siècle ?
Il semble aller de soi que le poète qui a composé
l'Évangile de Marc, l'enseignant qui a rédigé
celui de Matthieu et le nouvelliste auquel nous
devons les deux livres de Luc et des Actes des
Apôtres, aient été des messieurs. C'est sans doute
vrai de Matthieu et de Luc, mais est-ce aussi
évident pour Marc ? La diffusion remarquablement
large de l'écriture et de la lecture au cours du
premier siècle de notre ère, dans le bassin
méditerranéen grec et latin, rend tout à fait
possible une initiative féminine, et un faisceau
d'indices dans le corps du texte tendrait à le
confirmer.
[...]
Une signature féminine,
indirecte, au bas du tableau
Les lecteurs de l'évangile s'interrogent sur le
sens de la scène surprenante qui convoque deux
groupes de femmes à proximité de la croix (Mc
15,40-41). Le premier est formé de trois ou quatre
femmes citées nommément, Marie de Magdala, Marie
de Jacques, la mère de José, et Salomé, ou alors
Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et de
José, et Salomé, toutes inconnues jusqu'ici dans
l'Évangile, et qui ne réapparaissent ensuite qu'en
formations partielles. Ces femmes, nous dit-on,
ont suivi et servi Jésus en Galilée.
Puis s'ajoutent à elles, formant un second groupe,
de nombreuses femmes qui étaient montées avec lui
à Jérusalem.
Cette brève notice, simple mention d’une double
présence, étonne par sa forme exceptionnelle dans
l'Évangile, comparable peut-être à celle du jeune
homme qui s'enfuit au moment de l'arrestation de
Jésus (Mc 14,51-52). Sa nécessité ne semble pas
non plus s'imposer dans la composition dramatique
de la mort de Jésus. En revanche, elle attribue
après coup à chacun des deux groupes un rôle qui
rejoint et dépasse celui que jouent les disciples.
Elles suivent Jésus, sans que Jésus les appelle.
Elles le servent, comme la belle-mère de Pierre
(Mc 1,29-32), c'est-à-dire probablement, dans la
pensée de Marc, qu'elles organisent et président
sa table, et, comme des sujets autonomes, elles
s'absentent de Galilée pour l'accompagner à
Jérusalem.
On pourrait se demander si ce discret épisode, qui
n'apparaît guère indispensable ni à la réception
ni aux commentateurs de l'Évangile, n'a pas le
sens d'une signature indirecte, un peu à la
manière des peintres de la Renaissance qui se
représentent eux-mêmes, dans la foule, au bas de
leurs grandes fresques.
[...]
La singularité des rôles
féminins
[...]
L'Évangile de Marc fait entrer ses lectrices et
lecteurs dans le dialogue intérieur et dans le
processus de vie spirituelle qui permettent à
quelques dames de devenir sujets de leurs propres
vies et de trouver la guérison (Mc 5,21-43 ;
7,24-30), alors que le regard porté sur les
messieurs reste extérieur à leurs délibérations
intimes. Quelques dames prennent elles-mêmes
l'initiative et la responsabilité de leur
libération, alors que ce sont les dialogues et les
paradoxes thérapeutiques de Jésus qui permettent
aux messieurs de mettre fin à leurs handicaps ou à
leurs addictions.
Toute hypothétique qu'elle demeure, la prise en
considération de cette perspective littéraire
féminine permet d'éclairer l'évidence toute
naturelle avec laquelle le premier Évangile
réserve une place centrale à la résolution
dramatique d'un problème et d'une situation
spécifiquement gynécologiques (Mc 5,21-43),
dimension que Matthieu et Luc, lorsqu'ils
reprendront ces récits à leur manière, se hâteront
d'ailleurs de faire disparaître. Or on ne
rencontre aucun épisode, dans la composition de
Marc, qui puisse pareillement offrir un équivalent
symétrique masculin.
Qu'est-ce, raisonnablement,
qu'un miracle intelligent ?
Présence réelle du commencement
Comment donner corps au commencement et comment
donner une idée qui mette en mouvement
l'imagination des lecteurs et des lectrices ?
]'ai pensé, pour relever le défi, que je pourrais
tirer parti des récits de miracles qui circulent,
en abondance, à propos de Jésus. Avec les récits
de miracles, il en va un peu comme avec les récits
romantiques de la naissance miraculeuse et des
prodiges de jeunesse des grands héros. Ils font
partie du genre et, si l'histoire de sa vie veut
assurer la crédibilité d'un personnage politique
ou d'un maître à penser, elle se doit d'en donner
quelques exemples frappants. C'est ainsi dans tous
les courants spirituels et religieux de l'Empire,
y compris dans les écoles juives. Le fait que l'on
se soit plu, dans les traditions des Églises, à
raconter les actes miraculeux de Jésus, à les
varier et à les multiplier, n’a donc rien
d'exceptionnel. Le contraire, plutôt, eût été
étonnant.
[…]
Les récits de miracles
de mon poème en sont-ils ?
Vous le comprendrez donc : plutôt que d’exposer
quelque chose qui aurait ressemblé à un résumé de
l'enseignement de Jésus, en espérant en souligner
la nouveauté, il m’a paru plus opportun de
concentrer l'attention sur son action. Mon idée
était que l'autorité libératrice liée à son nom
venait de son activité thérapeutique et que mettre
en évidence la singularité de cette activité était
le meilleur moyen de faire apparaître la nouveauté
de l'Évangile.
J'ai donc décidé de privilégier les récits
d'exorcismes et de guérisons. Mais en les
transformant de fond en comble, autant dans leur
construction littéraire que dans leur
signification.
[…]
Ce à quoi j'entendais vous inviter, c'est en effet
à vivre, vous, de la force de confiance e la
confiance qui transfigure la vie quotidienne en
miracle.
[…]
Une claire distinction
des genres
[…]
Car ce n'est pas Jésus qui agit et aplanit les
difficultés à la place des hommes et des femmes
qui invoquent son aide. Il leur donne la capacité
responsable d'accomplir eux-mêmes ce qui leur
paraissait inaccessible.
La
passivité provocatrice de Jésus :
donner l’imagination
et le courage de faire l’impossible
Vous me direz que c'est une nouvelle fois
l'influence de Paul qui se fait sentir. Car
donner, ai-je pensé, la forme littéraire de récits
de miracles à la mise en scène de ces rencontres -
où Jésus provoque ses contemporains à retrouver
d'eux-mêmes leur autonomie de sujets responsables
-, cette idée correspondrait exactement à l'esprit
qui était celui de Jésus et qui devrait rester
perceptible dans l'Évangile.
Quel Dieu et pourquoi parler de
Jésus ?
De quel Dieu Jésus parle-t-il ?
Le Dieu discret,
condition de la liberté responsable
Mon mari, qui a souvent relu les esquisses de mon
poème, m'a une fois fait remarquer, alors que nous
dégustions en ville de l'espadon à l'orange, sur
la place, en face du grand temple d'Athéna, que si
Jésus agissait souvent par sa passivité, Dieu,
lui, n'intervenait jamais. « Ton Dieu prend-il
volontiers des vacances ? m'a-t-il demandé en
riant sous le soleil couchant de Sicile.
S'était-il jadis surmené, avait-il besoin de repos
? »
Ce qui est sûr, c'est que le Dieu de Jésus, dans
l'Évangile, reste d'une totale discrétion. Je n'ai
jamais essayé d'imaginer ce qu'il aurait pu
vouloir dire ou penser. Mon mari avait entièrement
raison : dans tout le poème, Dieu n'apparaît
jamais comme un sujet qui deviendrait actif ou
qui, d'une manière ou d'une autre, donnerait son
avis. On parle de lui, mais lui ne parle pas.
[…]
Jésus s'adresse à son Dieu, dans le jardin de
Gethsémani et sur la croix. Les deux fois, il
l'interroge, une fois sur la nécessité de sa mort,
une fois sur le but de celle-ci. Mais Dieu reste
muet. Au lecteur, à nouveau, de donner ses
réponses.
[…]
Le programme du poème :
l’annonce de l’Évangile de Dieu
Mon mari rencontre ses amis sur le marché et,
parmi eux, il entre volontiers en discussion avec
quelques adeptes des écoles philosophiques
contemporaines. Il leur a raconté ce que j'étais
en train d'écrire dans mon évangile, sur Dieu. Ils
étaient très étonnés.
Les plus intéressés étaient les penseurs
sceptiques. Ils lui ont fait remarquer que le Dieu
dont je parlais, était, mais pour des raisons
différentes, tout aussi inclassable que celui des
épicuriens. Des épicuriens non plus, disaient-ils,
on ne sait pas s'ils croient vraiment, ou non, en
l'existence de Dieu ou des dieux. Or le poème de
ta femme, poursuivaient-ils, s'annonce lui- même
comme la présentation d'un Dieu, qui serait une
bonne nouvelle. Mais, de ce Dieu, il ne nous
apprend quasiment rien. Il ne constitue en
définitive que l'horizon d'une réflexion sur la
vie humaine et sur le bonheur.
La présence du Royaume et
l’actualité de l’Évangile
La
présence du Règne de Dieu
Le temps, présent,
d’entrer dans le règne de Dieu
J'étais très heureuse de voir que nos enfants,
Sophie et Alexandre, qui ont hérité de mon mari
son esprit critique, ne s'y sont pas mépris. Ils
m'ont dit :
« Dans ton poème, à plusieurs reprises, tu parles
d'entrer dans le règne de Dieu. Tu évoques en
particulier les difficultés qu'on peut avoir à y
entrer. Une fois, tu lui fais par exemple déclarer
que si on n'accueille pas le règne de Dieu comme
on accueille un enfant, on n'y entrera pas. Puis,
un peu plus loin, juste après que l'homme qui
voulait s'assurer la vie éternelle l'avait quitté
tout triste, parce qu'il avait de grands biens,
Jésus leur explique de nouveau la difficulté, pour
les riches, cette fois, d'entrer dans le règne de
Dieu. T'avons-nous bien comprise ? » m'ont-ils
demandé.
« Vous n'êtes pas loin du règne de Dieu », leur
ai-je répondu. Et ils ont bien ri !
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