Libre opinion
Homosexualité et
foi chrétienne
Theodore W.
Jennings
professeur à la
Faculté de théologie protestante de Chicago
Homosexuality
and Christian Faith
22 janvier 2002
Le débat concernant
l'homosexualité est de
première importance, mais il se réduit trop souvent
à un dialogue de sourds entre les conservateurs et les
défenseurs du monde homosexuel.
Il se trouve que j'ai plusieurs amis homosexuels et des
collègues de travail ; les uns sont prêtres,
étudiants en théologie, d'autres sont membres actifs de
l'Église. Certains sont des esprits brillants et occupent des
situations importantes ; d'autres sont en proie au doute et
à la dépression.
Je suis leur ami et leur pasteur ; je
leur rappelle le message bienveillant et déculpabilisant de
l'Évangile. Mais ma tâche est rendue bien difficile
quand les responsables de l'Église promulguent condamnations
et exclusions et que les membres laïcs semblent dire que
l'homosexualité n'a pas sa place parmi nous, et qu'ils ne se
sentent ni aimés ni acceptés.
Il faut bien que je les défende,
même si, au fond de moi, je trouve
l'hétérosexualité en tous points
supérieure à l'homosexualité. Mais lorsqu'on
fait de la théologie, il est de bonne méthode de
prendre garde à ses préférences
personnelles ; je m'efforce donc de mettre en cause mes
certitudes hétéros et de faire preuve de toute
l'intelligence et de l'honnêteté dont je suis capable,
afin de me mettre à l'écoute de la Bible.
Dieu condamne et fait
grâce
Grâce. Le principe fondamental du christianisme, que le
théologien Karl Barth a affirmé avec une insistance
toute particulière, est le suivant : Dieu n'entend pas
opposer les justes et les pécheurs ; il fait au contraire
grâce à tous, librement et gratuitement. Aucune
situation humaine, aucune faute, ne peut donc séparer vraiment
un homme de l'amour de Dieu :
« cela ne vient pas de
nous, c'est le don de Dieu » Ephésiens 2.8
L'idée que nous pourrions être
considérés comme « justes » à cause de nos oeuvres bonnes n'est, dit Karl
Barth, que la marque de l'orgueil humain ; elle ne peut que
déboucher sur le désespoir.
Pour aborder comme il convient la
réflexion éthique, il faut s'en tenir fermement
à ce principe : ni la condition homosexuelle, ni les
tendances homosexuelles, ni les actes homosexuels ne peuvent
« séparer un
homme de l'amour que Dieu a manifesté en
Jésus-Christ »
Romains 8.38
Condamnation. Le second principe, inséparable du premier,
enseigne que Dieu condamne les pécheurs « honnêtes » comme les pécheurs « scandaleux » : on ne peut opposer les uns qui seraient des
« pécheurs » condamnés aux autres qui seraient des
« justes » n'ayant pas besoin de grâce.
Aucun humain ne peut prétendre que son style de vie est, en
soi, légitime et « juste » aux yeux de Dieu, et ceci vaut pour
l'hétérosexualité comme pour
l'homosexualité, pour la cohabitation comme pour le mariage,
pour la chasteté comme pour le
dérèglement.
L'homosexualité et
l'hétérosexualité sont, l'un comme l'autre, deux états
appartenant à la nature humaine pécheresse et ne
pouvant subsister que par la miséricorde gratuite de Dieu. On
ne peut donc condamner l'homosexualité au nom du mariage
hétérosexuel ni condamner le mariage au nom d'une
homosexualité qui serait moins hypocrite et oppressive.
On ne saurait prétendre que le Christ serait davantage mort
pour les homosexuels mais que, néanmoins ceux-ci seraient
moins aptes au ministère de l'Église que les
autres.
Procréation et
importance de la famille
Le principe de la
procréation, but de la
sexualité, est souvent avancé dans la discussion de
l'homosexualité. Les homosexuels n'ayant évidemment pas
en vue la procréation pervertiraient ainsi la loi de la nature
instaurée par Dieu. Cet argument a une place fondamentale dans
la réflexion éthique catholique ; il est parfois
aussi utilisé dans le protestantisme.
Il serait d'ailleurs logique de viser en même temps les autres
formes de sexualité qui excluent également la
procréation, comme la contraception, la masturbation, la
sexualité non génitale entre mari et femme etc.
On peut noter qu'habituellement le protestantisme ne prend pas en
compte le but poursuivi et ne s'oppose pas à la
contraception.
Sur quelle base peut-on, dès lors, utiliser le concept de loi
naturelle pour condamner l'homosexualité ? Une base
pourrait être le principe de « la sainteté du foyer et de la
famille » qui, aux
États-Unis tout au moins, est très respecté et
dont l'homosexualité semble être une violation
inacceptable.
Mais il est vrai que ce principe est plus une coutume sociale qu'un
base théologique : dans les Évangiles, les prises
de positions de Jésus à l'égard des liens
familiaux ne sont guère encourageantes !
Arguments
bibliques
Mentionnons les passages
bibliques les plus
fréquemment utilisés contre l'homosexualité et
examinons pour chacun d'eux, s'il touche effectivement à un
principe fondamental de la foi ou s'il ne représente qu'une
prescription occasionnelle, secondaire ou liée à une
civilisation révolue.
On trouvera sans peine ailleurs des études plus
complètes que celle-ci. Nous nous bornerons dans le cadre de
cet article à l'étude du Lévitique et de
l'épître aux Romains.
- Lévitique
Tu ne coucheras point avec un
homme comme on couche avec une femme. C'est une
abomination. 18.22
Si un homme couche avec un homme comme on
couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose
abominable ; ils seront punis de mort : leur sang retombera
sur eux. 20.13
On remarquera que ces deux
passages ne précisent pas
raisons de cette interdiction ; la loi naturelle de la
reproduction n'est mentionnée ni ici ni ailleurs dans la
Bible. Dans la mesure où l'interdiction est placée dans
le « Code de la
sainteté » du
Lévitique, en relation avec des prescriptions cultuelles comme
l'interdiction de consommer du sang ou d'avoir une relation sexuelle
avec une femme pendant ses règles, on pense
généralement qu'elle fait partie du domaine rituel qui
ne nous concerne plus aujourd'hui et non du domaine
éthique.
- Épître aux Romains
Dieu les a livrés
à des passions infâmes : car leurs femmes ont
changé l'usage naturel en celui qui est contre nature ;
et de même les hommes, abandonnant l'usage naturel de la femme,
se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les
autres, commettant homme avec homme des choses infâmes, et
recevant en eux-mêmes le salaire que méritait leur
égarement.
Comme ils ne se sont pas souciés de connaître Dieu, Dieu
les a livrés à leur sens réprouvé, pour
commettre des choses indignes, étant remplis de toute
espèce d'injustice, de méchanceté, de
cupidité, de malice; pleins d'envie, de meurtre, de querelle,
de ruse, de malignité, rapporteurs, médisants, impies,
arrogants, hautains, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles
à leurs parents, dépourvus d'intelligence, de
loyauté, d'affection naturelle, de miséricorde.
1.26 ss
Pour Paul, l'homosexualité des
Romains est donc signe de la
dépravation humaine à laquelle Dieu les a
abandonnés ; elle est donc un indice du jugement de Dieu.
En tout état de cause, Paul n'entend pas exclure les
homosexuels du monde de la grâce divine mais au contraire
montrer à quel point ils en ont besoin.
Finalement, ni la citation du
Lévitique, ni celle de l'épître aux Romains ne
semblent décisives pour justifier la condamnation de
l'homosexualité.
Solidarité avec
les exclus
Le fait que Dieu est le soutien des
pauvres, des exclus, des
opprimés est une affirmation constante de tout l'Ancien
Testament et de l'enseignement de Jésus. Peut-on penser
aujourd'hui que les homosexuels sont particulièrement exclus
et opprimés ? On peut en discuter ; ils le sont
sûrement d'une certaine manière : on invoque
parfois contre eux les lois existantes manière inattendue et
discutable ; ils sont fréquemment calomniés,
insultés, menacés, parfois discriminés sur leurs
lieux de travail.
S'ils sont menacés, l'Église doit de les défendre et
exiger pour eux la protection de la loi. L'Église
méthodiste américaine, entre autres, reconnaît ce
principe et le met parfaitement en pratique.
Il est d'ailleurs de notre
vocation de soutenir
également toutes les minorités qui en ont besoin, par
exemple les femme et les Noirs, en témoins de la
volonté miséricordieuse de Dieu.
La vocation au mariage,
au célibat
Certains disent que lorsqu'une tendance
irrésistible à
l'homosexualité rend tout mariage impossible, le
célibat et l'abstinence sexuelle sont la seule issue possible.
Cette position est fréquemment soutenue par des protestants
comme Billy Graham. Mais lorsque le célibat est imposé
par la nécessité, il n'est plus la vocation librement
acceptée qu'il devrait demeurer.
D'autres
admettent la possibilité d'une union durable et fidèle,
entre partenaires du même sexe, fondée sur un amour
mutuel.
D'autres encore s'efforcent d'explorer de nouvelles voies,
au-delà du célibat ou du mariage ; de rechercher
une « nouvelle
moralité » dans le
cadre de la pensée chrétienne, une sorte de
« mariage
ouvert ».
En tout état de
cause, l'Église du Christ ne
pourra véritablement venir en aide aux homosexuels que dans la
certitude inébranlable que Dieu n'abandonne jamais les
siens.
Pour une éthique
de la fidélité
Finalement nous ne pouvons en tout
cas proposer aucune règle de
conduite définitive aux homosexuels. Nous sommes pour le
moment dans le temps de la réflexion, de la prudence, de
l'approfondissement.
L'amour entre partenaires du même sexe est-il de même
nature que l'amour hétérosexuel qui conduit normalement
au mariage ?
Une relation d'amour
fidèle et durable,
même vécue dans l'homosexualité, ne rend-elle pas
à la réalité de l'amour de Dieu un
témoignage d'autant plus important que notre monde est
couramment égocentrique et individualiste ?
Les homosexuels qui recherchent la
troisième voie dont avons
parlé situeront leur fidélité dans la question
fondamentale : « Que
me demande Dieu quant à ma sexualité ? Quant
à mon partenaire ? Comment puis-je rendre gloire au
Christ sauveur ? »
Les hétérosexuels ne
manqueront pas d'être
attentifs aux réponses que les homosexuels apporteront
à ces questions car ils sont souvent à la recherche
d'un équilibre dans leur mariage ou dans le célibat
qu'ils n'ont pas non plus trouvé eux-mêmes.
Une vie
chrétienne fidèle
Examinons enfin les
tentations spécifiques que
les homosexuels peuvent être amenés à rencontrer.
1 La tentation de
l'irresponsabilité. Dans
quelle mesure le choix d'un style de vie homosexuel (s'il s'agit d'un
choix) permet-il d'éviter les responsabilités
habituelles à l'égard de son entourage, de son
conjoint, de sa famille ? Cette tentation serait le contraire
d'un style de vie petit-bourgeois ?
2 La tentation du fatalisme. Les homosexuels sont-ils tentés de capituler
sans résistance devant le poids de leur passé, de leurs
gênes, de leur éducation, de leurs parents et de
renoncer à lutter pour leur liberté ?
3 La tentation de l'assimilation. Les homosexuels sont-ils tentés de
s'identifier à des prochains analogues à
eux-mêmes, de trouver une sorte de protection en s'associant
à des êtres « semblables » par peur d'assumer sa différence à
l'égard d'un prochain qui serait « différent » : femme, héréro, etc.
4 La tentation de l'autonomie. Les homosexuels sont-ils tentés
d'éviter les sentiments de respect et d'amour dans leurs
relations sexuelles ? Cette tentation serait le contraire du
sentiment de propriété privée
qu'éprouvent certains hétérosexuels à
l'égard de leur conjoint.
Conclusion
Le fait de poser ainsi
simultanément les deux
questions de la tentation et de la vocation chrétienne
évite de tomber soit dans une dénonciation soit dans
une justification de l'homosexualité qui sont également
à proscrire. A la lumière du Christ, homosexuels et
hétérosexuels apparaissent ensemble comme des
pécheurs pardonnés, et sont pareillement appelés
à la liberté et à la fidélité.
Ces quelques
réflexion les interpellent
également les uns et les autres. Elles sont un appel à
une réflexion commune ; elles doivent évidemment
être précisées et améliorées. Des
éléments d'approfondissement sont à rechercher
autant dans la tradition judéo-chrétienne que dans le
dialogue avec les milieux homosexuels.
C'est toujours d'une recherche commune que jaillit la
lumière.
Traduction Gilles
Castelnau
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