Libre opinion
L’esprit, l’âme et le corps
la dé-réformation de la religion
Mind, body and spirit
it's the de-reformation of religion
article précédemment publié dans le quotidien anglais The Guardian
traduction Gilles Castelnau
Linda Woodhead
professeur à l'université de Lancaster (Angleterre)
2 avril 2018
La pratique religieuse décline sans doute
mais la véritable religion individuelle connaît depuis 30 ans un considérable renouveau
Dans n’importe quelle librairie du Royaume Uni, le rayon religieux se trouve dans la partie « esprit, âme et corps ». La raison en est simple : en 30 ans, la religion a changé. Et le changement est si important que pense qu’on peut parler de dé-réformation de la religion. En d’autres termes les points qui caractérisaient la religion depuis la Réformation du 16e siècle ont maintenant disparu.
Pour la plupart des gens avoir de la spiritualité ne signifie plus appartenir à une communauté dirigée par des ecclésiastiques, confesser des dogmes immuables, participer à des rites traditionnels et maintenir des positions sociales conservatrices.
[...]
En effet, la présence à l’église a diminué de moitié entre 1950 et 1980. Puis à nouveau de moitié entre 1980 et 2005, jusqu’à ne toucher que 6,3 % de la population (statistiques de Christian Research).
Le contenu de la foi a, en même temps, évolué. Selon British Religion in Numbers la croyance en « un Dieu personnel » a diminué environs de moitié entre 1961 et 2000, passant de 57 % de la population à 26 %. Durant la même période, la croyance en « un esprit ou la force de la vie » a doublé, passant de 22 % à 44 %.
Actuellement 41 % de la population britannique croit aux anges, 53 % en une vie après la mort et 70 % en l’existence de l’âme, chiffres qui sont en forte augmentation. Il ne s’agit pas d’une attitude superstitieuse car, durant la même période, la croyance en l’astrologie et en la prédiction de l’avenir n’a pas augmenté.
En ce qui concerne l’identité religieuse, 72 % se sont déclarés chrétiens lors du recensement national de 2001. Mais le nombre des « sans religion » a constamment augmenté depuis : en 1983 ils étaient 31 %, en 2009, 51 % selon les British Social Attitudes.
Il y a aussi beaucoup plus de personnes se rattachant simultanément à plusieurs religions : bouddhisme, christianisme, islam reiki (ouvert à l’énergie universelle), agnosticisme. L’affirmation d’une identité religieuse stricte est une attitude aujourd'hui très contestée dans un marché religieux devenu immense.
Finalement où en est-on ? Certains disent que la véritable religion authentique décline en ne laissant qu’un reste vague et flou.
Je pense que c’est exactement le contraire : la véritable religion – celle qui est vécue quotidiennement par les gens – est vivante et prospère et par contre les formes religieuses hiérarchiques, institutionnalisées et doctrinales sont désormais laissées de côté.
C’est cette véritable religion-là qui assume maintenant le rôle fondamental d’aider les gens dans leur vie quotidienne, dans leurs relations avec les vivants et avec les morts et les soutient dans leurs difficultés.
C’est d’ailleurs bien pourquoi les anges, les cathédrales, les pèlerinages et les retraites vont très bien et les ouvrages traitant de l’« esprit, l’âme et le corps » ont remplacé les livres de théologie sur les rayonnages des grands magasins.
Pourquoi s’en étonner ou prendre une attitude dédaigneuse ? Dans nos sociétés libérales et consuméristes chacun est libre et responsable de ses choix. On ne veut plus qu’on nous prêche ou qu’on nous catéchise, on veut être actif dans nos recherches et expérimenter librement ce qui nous intéresse.
Cela ne veut pas dire que nous sommes contre les traditions, que nous refusons systématiquement de nous dire « chrétiens » lors des recensements, que les jeunes musulmans arrêtent de lire le Coran ou que les jeunes catholiques tournent forcément le dos au pape.
Nous apprécions les traditions, mais nous tenons à découvrir et à analyser nous-mêmes les idées émises de milieux qui ont notre confiance.
Il serait erroné de penser qu’il y a dans le monde six ou huit grandes religions ou traditions précises dans lesquelles on peut choisir de se reconnaître sans plus. Les monopoles ont disparu. Les responsables religieux n’ont plus la même autorité que naguère. L’identité religieuse est désormais plus individuelle, plus intéressante aussi.
L’ennui est que l’on ignore ces changements est que notre manière de penser les religions comme si elles étaient immuables nous conduit à une sorte de fondamentalisme. Et nous laissons les extrémistes religieux comme d’ailleurs aussi les incroyants radicaux, qui ne sont qu’une minorité dans notre monde, répéter que les seules véritables religions dignes de ce nom sont les conservatrices les plus dogmatiques.
Ne laissons plus le monopole de la parole religieuse à ces minorités extrémistes qui désorientent la majorité de ceux qui sont en recherche de spiritualité.
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