.
14 octobre 2017
Ce livre historique est si
vivant et le cours du récit si bien
mené qu'il se lit avec intérêt comme un roman.
Gilles Cosson set un excellent historien qui a
évidemment fait de considérables recherches
documentaires pour composer cet ouvrage. Il est
aussi un romancier très doué : il imagine
avec Tullius Metellus, un personnage important
dans les négociations entre le chef barbare
Alaric qui assiège Rome – et finit par la
prendre -, le pape Innocent III et
l’empereur Honorius.
Les chapitres alternent le récit historique, les
réflexions personnelles de Metellus rédigées en
italiques et celles – en d’autres
caractères encore – du secrétaire de
Metellus.
Celui-ci reste fidèle aux Dieux romains et
dialogue avec son « ami » saint
Augustin qui le menace de l’enfer s’il ne se
convertit pas au culte de
« Chrestos ». Les théologiens
historiens fronceront peut-être les sourcils à
cette lecture, ainsi qu’aux représentations que
Gilles Cosson nous propose de la spiritualité du
stoïcien qu’était Tullius Metellus – qui ne
priait par exemple certainement plus
Jupiter - du christianisme arien des
Barbares et des prises de position
d’Innocent III dont le titre de pape était,
à l’époque, à peine naissant. Il n’en demeure
pas moins que ces dialogues religieux ne sont
pas sans intérêt.
De multiples remarques nous situent bien dans le
monde de la fin de l’Empire romain et sont
certainement authentiques.
Ce livre est à la fois un plaisir et une
occasion de culture.
En voici quelques passages.
page 21
Le contrôle du Sénat ne laissait rien au
hasard... Mais chez tous, il sentait la stupeur
devant l'impensable : Rome, la capitale de
l'univers, inviolée depuis sa prise par les
Gaulois de Brennus voici huit cents ans, était
menacée d'être enlevée par un parti de Barbares
dont les légions autrefois n'auraient fait
qu'une bouchée. Alors, il sentait l'amertume
monter à sa bouche comme dans ses jeunes années
lorsqu'il lui avait fallu résister aux hordes
perses triomphantes. Mais s'y ajoutait cette
fois la débâcle sournoise de l'âge et il se
sentait las. Seule la conscience de la mission à
remplir le maintenait debout. On parcourait tous
les jours une trentaine de lieues au rythme des
cahots sur les lourds pavés et il atteignait la
halte fatigué, n'ayant plus qu'une envie :
celle de se reposer.
[...]
Sa sœur le reçut les larmes aux yeux et il eut
fort à faire pour la rassurer, lui remettant à
son départ un sauf-conduit reçu d'Alaric
lui-même qui obligeait les forces barbares à
respecter son porteur ainsi que ses biens. Mais
les récits qu'elle lui fit de l'atmosphère qui
régnait à Sorrente et à Naples, les relations
faites par les fuyards du Nord de la brutalité
sauvage des Wisigoths donnaient l'image d'un
pays livré à la terreur. Aucune force constituée
n'était plus en mesure de s'opposer à l'avance
des Germains. Le prix des denrées usuelles avait
vertigineusement monté et pour ceux qui ne
disposaient pas de moyens de subsistance
propres, la simple poursuite de la vie
quotidienne devenait une épreuve. On parlait de
brigands qui parcouraient les routes à la
recherche d'argent et de vivres et les gens
n'osaient plus se déplacer.
page32
Journal intime du secrétaire
Il ne se rend pas compte que le contexte des
relations avec les Barbares a complètement
changé. Lors du règne de Julien auquel il
revient toujours, l'installation au sein de
l'empire de peuples exogènes était limitée et
servir Rome était un honneur. Devenir citoyen
romain avec attribution d'un lopin de terre
après vingt ans de bons et loyaux services
militaires était une distinction enviée. Aussi
les Barbares se pressaient-ils aux portes des
légions, encore commandées en général par des
tribuns romains d'origine équestre et un choix
était effectué parmi les postulants. À la suite
des guerres victorieuses telles que Julien les
avait menées contre les Germains, les captifs
acceptaient sans rechigner de passer au service
de l'empereur en raison des espoirs qu'ils
entretenaient pour la suite. Les négociations
avec les chefs barbares telles qu'a pu les mener
Tullius étaient donc empreintes de respect de la
part même de nos adversaires et le représentant
de l'empereur avait droit à de grands égards...
Hélas ! Rien de cela n'existe plus
aujourd'hui: les légions sont composées
largement de Barbares enrôlés pour la solde, les
tribuns qui les commandent sont eux-mêmes le
plus souvent d'origine étrangère, quant à la
citoyenneté romaine, elle a été si galvaudée
qu'elle ne vaut plus rien, cela sans même parler
de la ruine des campagnes qui a ôté toute envie
de propriété aux légionnaires en fin de service.
L'on cite même des cas où la citoyenneté a été
refusée par ceux qui y avaient droit et qui
préféraient revenir dans leurs terres d'origine
sans autre titre que celui de leur ascendance.
Voilà qui est très difficile à comprendre pour
un homme de l'âge de Tullius.
page 62
Journal intime de Tullius Metellus
Que dire à mon vieil ami le centurion
Justin ? Qu'il vient toujours un jour où
ce qui a été fait aspire à se défaire ?
Qu'il n'est pas de ressources face à la
malédiction des Dieux ! Quant à toi
Augustin, si brillant dans l'usage de la
rhétorique, ne comprends-tu pas que l'Empire
se meurt et qu'il te faudrait te dresser avec
la toute la force de ton autorité morale
contre les Barbares qui se préparent à nous
submerger ? N'es-tu donc venu que pour
accompagner notre chute avec le fallacieux
argument que seule compte la vie
éternelle ? À quoi te serviront les
arguments en faveur de la cité de Dieu lorsque
nos filles seront violées, leurs demeures
pillées, leurs enfants éventrés ?
Qu'attends-tu pour brandir l'étendard de
Chrestos au devant de nos malheureuses
troupes ?
page 97
Toujours est-il que l'occasion s'est
présentée pour moi de me pencher sur le
problème des astres et de leur déplacement
relatif, question qui me passionne depuis
toujours... Ainsi ai-je pu me rendre avec
quelques amis sénateurs à une assemblée de
philosophes qui se réunissait comme si de rien
n'était. J’étais heureux de constater que,
malgré le côté officiel et même obligatoire de
la religion chrétienne, le prestige de la
philosophie demeurait intact dans la
population cultivée.
[...]
L'assemblée n'en comptait pas moins un certain
nombre de contestataires qui arguaient du fait
que l'homme étant le seul être doué de raison,
il était impossible que la Terre ne fût pas le
centre de l'univers. Et certes il était
troublant de penser que la planète qui nous
portait n'aurait été qu'un satellite parmi
d'autres du soleil, cela conduisant à
relativiser considérablement les certitudes
admises concernant le rôle particulier de
l'être humain, seul à même, jusqu'à plus ample
informé, de concevoir l'univers. L'assistance
était profondément divisée sur le sujet, les
chrétiens insistant sur le rôle unique accordé
à l'homme par Dieu, rôle incompatible avec la
théorie d'Hypatie.
J'eus alors l'occasion d'intervenir pour
faire valoir qu'il ne s'agissait pas d'une
théorie, mais bien d'observations faites avec
tout le sérieux nécessaire. Mais je sentis
bien vite que je n'avais pas convaincu les
chrétiens et un moment vint même où je me
rendis compte que j'allais être accusé
d'hérésie, ce qui m'inquiéta pour les siècles
à venir. Comment la science pourrait-elle
continuer à avancer si elle devait se trouver
sous le contrôle d'une doctrine
religieuse ? Voilà qui ne pouvait mener
qu'à une sclérose de la pensée, cela encore
plus si les Barbares devaient parvenir à
établir leur domination, leur inculture
générale ne pouvant aboutir qu'à des
conclusions absurdes. Il s'agirait dans ce cas
d'une terrible régression. Pour moi, élevé dès
mon plus jeune âge dans le culte de la
philosophie, je ne pouvais envisager sans
frémir une telle hypothèse, mais je m'aperçus
que j'étais loin d'avoir convaincu les
présents qui me jetaient des regards hostiles.
Si une assemblée de Romains distingués en
venait à mettre en question le principe même
de l’impartialité de l’esprit devant les
preuves de la science, le pire était à venir.
Retour vers libres
opinions
Retour
vers Gilles Cosson
Vos commentaires
et réactions