Les mystères du vaudou
Laënnec Hurbon
directeur de recherches au C.N.R.S. et professeur à l'université de Port-au-Prince
Ed. Découvertes Gallimard
176 pages
recension Gilles Castelnau
9 mars 2010
Ce remarquable petit livre (176 pages quand même !) abondamment illustré de photos en couleurs présente cette religion si mal connue de manière claire, très documentée et agréable à lire. On ne saurait trop s’intéresser au Vaudou alors que les terribles malheurs de Haïti promeuvent une flambée des spiritualités évangéliques, charismatiques, catholique et protestantes toutes plus ou moins directement associées au Vaudou. En voici des passages qui donneront peut-être envie aux internautes de l’acquérir.
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Dans la langue fon, parlée au Bénin, vodun signifie une puissance invisible, redoutable et mystérieuse, ayant la capacité d'intervenir à tous moments dans la société des humains. La déportation vers le Nouveau Monde de millions d'esclaves noirs a entraîné la reconstitution dans les Amériques de croyances et de pratiques africaines, sous des formes et des appellations diverses: candomblé au Brésil, santeria à Cuba, obeayisne à la Jamaïque, shango cult à la Trinité, ou vodou en Haïti.
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« Wanga », « baka » et loups-garous. Dans la langue des pratiquants du vaudou planent quelques lourdes ambiguïtés sémantiques : ainsi « manger quelqu'un » signifie capturer son âme par des rites de sorcellerie. Mais c'est dans on propre dispositif de croyances et de pratiques que le vaudou a de quoi bousculer les préjugés ethnocentristes et autres modes cartésiens de rapport au réel. Le pouvoir de l'imaginaire y est en effet sans limite.
Tout vaudouisant est convaincu qu'on peut capter les forces surnaturelles, les enfermer dans des bouteilles ou dans des paquets, qu'on appelle wanga, et avec eux préparer et jeter des mauvais sorts. Des conflits ou des rivalités entre familles, entre voisins ou amis d'un même quartier ou d'un même village fournissent souvent des occasions à l'emploi de wanga. Il s'agit là de magie défensive, qui n'aboutit pas à la mort. Tout au plus, un wanga provoque une maladie ou des échecs divers. Mais son action demeure limitée, et n'a d'efficacité que sur la personne ciblée.
Tel n'est pas le cas pour l'utilisation de ce qu'on appelle baka, puissance maléfique matérialisée sous la forme de nains, de petits monstres ou d'animaux. Le propriétaire lui-même n'est pas à l'abri, car le baka, qui a toujours soif de sang, lui demande parfois en échange de ses services de livrer un membre quelconque de sa famille.
D'autres activités relèvent de la sorcellerie proprement dite et visent à produire le dépérissement progressif d'un individu. Les « loups-garous » qui s'y adonnent sont des sorciers habités par des esprits insatiables auxquels on attribue le pouvoir de sucer le sang des enfants, transformés en animaux pour mener à bien leur entreprise. On deviendrait loup-garou par héritage de sa famille, ou par l'imprudence qu'on a manifesté en achetant des esprits mauvais.
Vivant mais privé de volonté : le zombi
Hector Hyppolite, peintre et grand initié eu vaudou, présente (ci-dessus) deux zombis fraîchement tirés de la tombe et conduits par le oungan vers le champ où ils seront mis au travail. Morts-vivants, les zombis sont conscients mais dépourvus de volonté. La zombification est tenue par le vaudouisant comme la punition suprême, car elle ramène l’individu à la condition d’esclave, contre laquelle, précisément, le vaudou s’est élaboré.
La pratique de sorcellerie la plus redoutée est la réduction à l'état de zombi. Déjà « mort » et enterré, le zombi est ramené à une vie semi-consciente pour servir ensuite comme esclave sur une plantation. Ce sont les oungan « servant des deux mains » (c'est-à-dire les prêtres vaudou pratiquant la magie et la sorcellerie) qui connaissent le secret et la dose exacte du poison à administrer pour rendre l'individu apparemment mort et pouvoir le réveiller dans la fosse où il a été mis. Périodiquement, des rumeurs de zombi retrouvé dans un marché ou dans une foule parcourent le pays.
D'après les croyances populaires, la zombification consiste à capturer l'une des âmes d'un individu. Dans cet état, le zombi est conscient de tout ce qui lui arrive, mais ne dispose pas de volonté propre pour réagir ; il est comme téléguidé par le oungan qui l'a envoûté. Véritable mort-vivant, il a les yeux hagards, marche avec raideur et a une voix nasillarde qui symbolise qu'il est de l' « autre monde ». On raconte souvent aussi que les zombis, redevenus conscients, retournent d'eux-mêmes à leur fosse.
La peur de la réduction à l'état de zombi va jusqu'à pousser certaines familles à s'assurer que le mort soit vraiment mort, en empoisonnant le cadavre.
Reprises de la pieuse hagiographie catholique, les figures de saints qui ornent les murs des péristyles
des temples vaudous sont des évocations de lwa.
La Mater dolorosa est Ezili Freda
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Vaudou et symboles chrétiens. Les lwa qui interviennent auprès des vivants sont multiples ; peut-on pour autant assimiler le vaudou à un polythéisme ? Il faut d'abord considérer que les lwa ne sont pas des dieux mais des génies surnaturels qui servent d'intermédiaires entre Dieu et les hommes. Comme dans la plupart des régions d'Afrique, le monothéisme est de rigueur. Dans le cadre du vaudou, le dieu suprême chrétien a été adopté, mais on retrouve en lui les caractéristiques de l'être suprême africain. A la fois lointain et proche, il est trop grand pour s'occuper des humains, et confère le rôle d'organisation du monde aux lwa, avec lesquels les humains peuvent établir des contrats.
Consultation des lwa.
Sur l'autel sont posés pêle-mêle bouteilles, cruches, plats,
colliers, pierres sacrées, bougies, emblèmes de lwa et ingrédients
servant à la préparation des potions et des paquets magiques pour protéger les clients
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Les lwa sont dédiés au service des humains, mais ils n'accordent leurs faveurs que s'ils sont bien reçus et bien nourris. Ils ont besoin d'un dispositif d'accueil très précis pour se manifester. Possession, initiation et mariage mystique sont les formes privilégiées de contact étroit avec les lwa. Car seule la familiarité avec eux permet à l'individu de connaître son destin, à défaut de pouvoir le modifier.