1er janvier 2010
Dans l’histoire du christianisme, probablement aucune idée n’a joué un rôle aussi néfaste que celle de l’unité de l’Église. Elle a légitimé le maintien de doctrines établies (même mauvaises), la poursuite d’habitudes dominantes (parfois détestables), la soumission à un clergé fortement hiérarchisé et centralisé (souvent abusif). Elle a étouffé la créativité et la vitalité des croyants.
Elle a favorisé les routines et fait barrage aux innovations. En son nom, on a imposé le silence, mis au pas, exclu et persécuté.
Le parti unique des États totalitaires tue la démocratie sous prétexte d’en éviter les dérives.
De même, par une peur souvent sincère (ce qui ne la rend pas moins nocive) des querelles, l’unité de l’Église supprime la liberté des croyants. Je ne suis pas sûr qu’elle mérite une « semaine de prière ».
En la rompant, les Réformateurs ont plus et mieux servi l’Évangile que ceux qui, à leur époque, sont restés dans les rangs afin de la préserver.
Unité et Union
Plutôt que sur l’unité, il faut insister sur l’union. Les deux mots se ressemblent, on les emploie souvent l’un pour l’autre. Pourtant, ils n’ont pas le même sens.
L’unité est, en général, liée à une institution. Elle veut y abolir les différences. Elle demande que les individus qui en font partie gomment particularités et désaccords pour se conformer aux mêmes principes, aux mêmes règles et aux mêmes pratiques. S’ils sont tous pareils et ne se distinguent en rien (ce qui, heureusement, n’arrive jamais), alors on peut considérer qu’elle est parfaite.
L’union concerne des personnes. Elle implique que chacune échange, partage et chemine avec l’autre tout en gardant sa spécificité. Au lieu de marginaliser ou d’éliminer les dissentiments, l’union les place au cœur d’une relation où on respecte l’autre dans ce qui lui appartient en propre (et non dans ce qu’il a de commun avec tous) : on l’écoute parce qu’il a quelque chose à nous dire qui nous est étranger ; on lui parle pour lui faire part de quelque chose qui est en nous et qu’il ignore.
L’union est parfaite (ce qui, malheureusement, n’arrive jamais, sauf peut-être entre Dieu et Jésus), lorsqu’on est ensemble sans être ni devenir identiques.
L’œcuménisme
Le Nouveau Testament ne parle jamais de « l’unité de l’Église ». Quand Jésus prie que « tous soient un », il s’agit de l’union des croyants et non d’une institution unitaire.
Les écrits du Nouveau Testament témoignent d’un étonnant pluralisme doctrinal et ecclésial. L’idée d’une unité primitive de l’Église qui se serait ensuite dégradée et rompue relève du fantasme ; les textes la démentent. Au fil des siècles, souvent avec de bonnes intentions (l’enfer en est pavé), on a voulu construire l’unité de l’Église, ainsi en instituant une papauté censée l’incarner et la maintenir, ou en rédigeant des textes de « confession de foi » que tous devraient accepter. Chacune de ces tentatives a entraîné des conflits et a opposé les chrétiens entre eux.
L’histoire nous enseigne que la volonté d’unité empêche l’union ; elle crée inévitablement divisions et zizanies. Faut-il en conclure que l’œcuménisme est une chimère ? Pas forcément. Le protestantisme du siècle dernier a ouvert (peut-être sans en avoir clairement conscience) un chemin fécond : celui d’une union des Églises. Elles ne cherchent pas à s’unifier, mais décident de se rencontrer, d’échanger, de tenir compte les unes des autres, bref de vivre et de travailler en réseau, sans fusionner, mais sans se combattre ou s’ignorer.
Je pense, entre autres exemples, à la Fédération Protestante de France et surtout au Conseil Œcuménique des Églises. On a souvent considéré ces regroupements comme des « expédients provisoires », des étapes nécessaires sur la route qui mènerait à l’objectif souhaité : une Église unique.
Personnellement, je ne partage pas cet avis. J’y vois des unions d’Églises qui vivent, plus ou moins en bien, le « qu’ils soient un », ce dont une Église unique est incapable.