Dialogue interreligieux
La politique de la
foi
« The Left Hand of God
Taking Back Our Country From the Religious
Right »
rabbin Michael Lerner
HarperSanFrancisco : 408 pages,
$ 24.95
Recension par le Rev.
Ed Bacon
pasteur de l'Église
épiscopale All Saints, Pasadena, Californie
25 mai 2006
« l'Amérique que
nous aimons » est en danger, écrit le rabbin Lerner. Il enracine sa
critique dans les valeurs morales et spirituelles de l'ancienne
tradition prophétique.
Lerner se refuse à séparer
pratique religieuse et action sociale et politique. Il subit ainsi
l'influence de son professeur du séminaire juif, le rabbin
Abraham Joshua Heschel, qui enseignait que le pasteur Martin Luther
King se situait dans la ligne des prophètes
hébreux.
Dans ce livre, Lerner, qui est rabbin de la
synagogue libérale Beyt
Tikkun de San Francisco,
édite aussi la revue Tikkun qui lutte
pour « réparer,
améliorer et transformer le monde ». Il prolonge au 21e siècle l'enseignement de son
professeur.
Il estime que l'Amérique traverse
une crise spirituelle.
D'un côté il y a ce qu'on a pu
appeler « une conscience
impériale ». La
Droite, avec ce que Lerner appelle de l'idolâtrie,
révère son propre pouvoir, et poursuit ses affaires
malgré les appels des pauvres, des opprimés et des
marginaux.
D'un autre côté les
libéraux manquant de courage moral et du moindre jugement
politique se montrent incapables de résister aussi bien
à la domination impériale de l'Église que de
celle de l'État. Les compromis auxquels se laissent aller la
gauche entraînent une lassitude politique qui finit par
ressembler à la de la complicité avec les forces
dominantes.
Lerner se sent particulièrement
concerné par les millions d'électeurs qui ne sont pas vraiment conservateurs mais qui, lors
des dernières élections, ont néanmoins
voté Républicain parce qu'ils étaient
séduits par le sens de la vie prêché par la
Droite religieuse. Ils y trouvent un sentiment d'appartenance
honorable et sans prétention et le refus d'une vie sans
idéal.
Paradoxalement - et cela
mériterait réflexion - ils en arrivent à
voter contre leur intérêt bien compris.
Lerner parvient à ces conclusions en
s'appuyant sur les travaux de l'Institut de réflexion sur le travail et la
santé mentale [Institute for
Labor and Mental Health] qu'il dirige depuis 23 ans et qu'il a
lui-même fondé en 1977.
« Les psychologues,
responsables syndicaux et sociologues qui collaboraient à cet
Institut, écrit-il, étaient invités à
trouver notamment la réponse à la question
fondamentale : comment se fait-il que des gens dont les
intérêts économiques devraient pousser vers la
gauche votent au contraire fréquemment à
droite ? »
La réponse qu'ils ont trouvée
est qu'ils sont fondamentalement en « quête de
sens », à la
recherche d'une
« spiritualité politique ». Un cadre spirituel capable de donner du sens
à leur vie et qui leur permet de participer à un
mouvement qui dépasse leurs buts et leurs
intérêts économiques personnels. « S'ils ne le trouvent pas à
gauche, ils le cherchent tout simplement à
droite. »
Lerner fait valoir que ceux qui partagent
cette attitude sont parfaitement respectables. La gauche scierait la
branche sur laquelle elle est assise si elle s'avisait de les
mépriser en les considérant comme moins intelligents et
évolués que l'élite progressiste.
Lerner attache une grande importance
à ce « besoin de sens ». La gauche se doit, dit-il, de reconnaître que
« les gens désirent
un monde juste et fraternel, une ambiance de vie, d'énergie et
d'authenticité. Une existence enracinée dans une
communauté qui les reconnaisse pour ce qu'ils sont au plus
profond d'eux-mêmes, avec leurs défauts et leurs
limites. On a besoin de se sentir engagé dans un mouvement
créateur, de participer à un idéal qui soit plus
que de gagner de l'argent et acquérir des biens
matériels. »
C'est la Droite qui, jusqu'ici, a
proposé tout cela alors que la Gauche en est loin et semble
ignorer jusqu'à l'existence de ces besoins
fondamentaux.
Lerner distingue, en effet, deux conceptions
théologiques :
- La théologie de « la main droite de
Dieu ». « Elle voit l'univers comme effrayant et
agité par les forces du mal... Elle fournit leur
crédibilité religieuse aux conservateurs : Dieu
est le vengeur, le héros céleste que l'on peut invoquer
afin qu'il use de violence afin de réduire les forces du mal,
soit tout de suite, soit dans un avenir certain. Le monde est plein
de dangers. Il faut combattre et dominer les autres avant qu'ils ne
nous combattent et ne nous dominent ».
- La théologie de « la main gauche de
Dieu ». « Elle voit Dieu comme l'énergie
aimante, bonne et généreuse qui anime l'univers. Elle
nous encourage à ressembler à ce Dieu
d'amour ».
Lerner reconnaît que la
théologie de la main droite existe effectivement dans les
Écritures des grandes religions du monde. Mais il n'est pas
d'accord avec l'usage qu'en fait la Droite religieuse pour promouvoir
une suprématie totalitaire à la manière du
pasteur évangélique Pat Robertson qui déclare
qu'il faut « diriger le
monde pour Dieu. »
Les textes bibliques
généralement employés pour justifier la
volonté de suprématie - aussi bien dans le
judaïsme que dans le christianisme - ont été
écrits à l'intention des opprimés pour les
assurer que Dieu entendrait leurs cris, interviendrait pour les
libérer et établir un règne de justice et de
paix. Le rabbin Lerner pense donc que noyau dur de la Droite
religieuse, qui ne représente d'ailleurs qu'une
minorité de la société américaine,
pervertit la religion en appliquant aux puissants les textes
primitivement destinés aux malheureux. La grande
majorité de ceux qui votent pour la Droite religieuse le font
parce qu'ils « recherchent
avant tout une vie spirituelle, une assurance et de l'amour et qu'ils
désirent entendre parler ainsi de
Dieu ».
Lerner appelle à promouvoir une
politique qui ne fera plus le jeu
des puissances d'argent et pense que le salut de la religion passe
par la recherche d'une
« spiritualité de gauche » qui remplacerait le triomphalisme religieux actuel.
La gauche se composerait alors de trois groupes de pensée
désormais réconciliés : les laïcs, les
« spirituels non
religieux » et les
« religieux de
gauche » et
l'Amérique serait sauvée.
Je suis, comme le rabbin Lerner, un
pasteur enraciné dans la
tradition des anciens prophètes. Je pense comme lui, que
l'avenir des États-Unis et aussi du monde doit se faire dans
la paix et le respect de l'homme. J'espère comme lui qu'une
énergie spirituelle se manifestera avec suffisamment de force
pour permettre une profonde mutation sociale.
Cette énergie apparaît lorsque
des gens s'engagent dans des groupes où la dignité de
l'homme est explicitement affirmée dans une ambiance de
prière et d'action sociale concrète. De tels groupes
constituent de puissantes oasis d'espoir dans le monde de crainte qui
est le nôtre.
Le rabbin Heschel enseignait que chaque
instant de notre vie touche au sacré. Son élève
le rabbin Lerner publie ce livre qui lance à tous ceux qui se
soucient des États-Unis un appel clair à construire un
avenir plus beau et plus juste - ce qui est une tâche
sacrée.
Traduction Gilles Castelnau
Retour
Vos
commentaires et réactions
haut de la page