Article
Vu de France
Le
« sarkoberlusconisme »
existe-t-il ?
Claudine Castelnau
1er mars
2008
L'expression peut sembler
barbare, bien que
régulièrement présente dans les médias
depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Silvio
Berlusconi lui-même n'hésite pas à dire que le
Président français l'a pris comme « modèle ». Modèle jusqu'où ?
L'universitaire Pierre Musso (1) s'est plu
à analyser ces convergences.
Les deux personnages sont issus de la
droite libérale, tous deux se
sont auto-proclamés hommes de
« rupture »,
avec une volonté affichée de réformer, de
« changer la
politique ». De faire une
autre politique « antipartitocratique » pour Berlusconi, une politique anti-politique
traditionnelle pour Sarkozy. Pourtant, leurs parcours pour
conquérir le pouvoir sont bien différents :
- Nicolas Sarkozy est un pur produit de la politique.
Il a fait toute sa carrière dans le Parti néo-gaulliste
depuis l'âge de 18 ans, a franchi toutes les étapes
et vaincu tous les obstacles, jusqu'à l'élection
à la Présidence de mai dernier.
- Silvio Berlusconi est un entrepreneur de
communication où il a passé les trente premières
années de sa vie professionnelle, avant d'entrer en politique
au début des années 90.
Pourtant, ces différences ne
cachent pas une convergence frappante : Nicolas Sarkozy comme Silvio Berlusconi, ont
le monde de l'entreprise comme modèle et
référent constant, avec ce « dogme » de l'efficacité, du management et de la
culture du résultat. Les deux hommes ont su aussi utiliser
avec maestria les techniques de la télévision et de la
communication pour la conquête et l'exercice du pouvoir.
- Silvio Berlusconi était déjà sur
les plateaux de télévision comme fournisseur de
divertissement populaire depuis trente ans lorsqu'il a lancé
son parti Forza
Italia (dont les cadres ont
été recrutés dans sa régie
publicitaire).
- Nicolas Sarkozy a un rapport très
étroit avec le monde économico-financier mais cultive
aussi des amitiés inconditionnelles dans la sphère des
médias et la mise en scène médiatique avec la
même intensité de son intimité comme de son
irrésistible ascension vers le pouvoir ressemble à s'y
méprendre à de la
téléréalité, qu'il aime.
Cette exposition médiatique permanente, cette
« vidéocratie » sarkoberlusconienne, cette « pipolisation » de la société n'est pas
innocente : elle sert d'abord à focaliser l'attention sur
leur personne, à susciter des réactions
émotionnelles, d'adhésion ou de rejet mais peut
importe ! Or, pendant que Nicolas s'affiche avec ses amis
célèbres et riches ou sa dernière conquête
ou que Sylvio fait le crooner, se pavane avec des starlettes de la
télé et que le public commente le spectacle, les grands
enjeux de politique et de société sont
vampirisés et les élus constamment
court-circuiter.
.Autre
convergence et phénomène nouveau en
politique où les gouvernants
sont habituellement plutôt gris et ternes, la mise en
scène sarkoberlusconienne du corps « toujours en
forme ». Que ce soit sur
le mode berlusconien élégantissime, toujours
bronzé, sourire inoxydable, ou sur le mode sarkozien, Rolex et
lunettes noires, démarche pressée, jogging incessant,
le message est celui de l'efficacité, de l'effort.
- Silvio Berlusconi parle de « démocratie
compétitive », il
se qualifie de PDG de l'Italie.
- Nicolas Sarkozy qui conseille à ses ministres
de « faire du
sport » est devenu
ouvertement le VRP des entreprises françaises à
chacun de ses voyages officiels. Tous deux affichent la
volonté de mettre en place un État libéral fort,
soulagé de son obligation de redistribution égalitaire,
une République d'actionnaires, de rétribution au
mérite.
Enfin tous deux ont une admiration pour l'« American way of
Life » souvent
citée comme une possibilité de réussite
individuelle, le
« rêve américain », et pourquoi pas latin ? Le sarkoberlusconisme
sait produire des rêves, raconter des histoires de héros
providentiels, de « Superman » tels Nicolas et Sylvio, qui ont fait le sacrifice
d'eux-mêmes pour que deux vieux pays, la France et l'Italie,
terrorisés par la mondialisation puissent
revivre !
- Silvio Berlusconi a construit son
personnage autour de la
télévision de divertissement, il gouverne par le
rêve en promettant aux Italiens le partage de sa
réussite sociale d'homme le plus riche d'Italie.
- Nicolas Sarkozy, un
Berlusconi sans les milliards, cultive l'image crispée du
shérif, du pouvoir distancié qui inquiète mais
promet aussi un rêve de sécurité aux plus faibles
et la compassion aux victimes.
Pourtant l'artiste Sarkozy commence à lasser
sérieusement son public, comme le chanteur de charme
Berlusconi s'est fait deux fois déjà
renvoyer a
casa avant sa tentative récente de remonter sur
scène...
1.
Pierre Musso Berlusconi., le
nouveau prince éditions de
l'Aube
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