Article
Complainte
pour le loup

Le Grand retour du loup. Édition
Cabédita
5 juillet 2000
Dans la région du
Queyras, où les premiers
loups sont arrivés récemment, des commerçants
ont affiché une Complainte du loup :
J'arrive du Mercantour ou
d'Italie,
Peu m'importent les frontières.
Je ne t'ai pas demandé la permission,
Mais c'est dans ma nature.
Queyrassin tu es,
Queyrassin je suis...
La peur et la haine sont mauvaises conseillères.
Je ne veux pas la guerre,
Peut-être seulement te fasciner.
Nous sommes si peu
Et déjà tant de rêves...
Et certains sont prêts à se
battre pour pouvoir rêver.
Comme Michel Phisel - éleveur dans les Hautes-Alpes,
150 bêtes, un troupeau familial qu'il garde dans les
collines. Amoureux de la
vie, ainsi se définit-il, il
rêve à haute voix afin que chacun ait enfin sa place sur
notre terre, y compris le loup.
Sans minimiser les contraintes non négligeables que
l'apparition du sauvage a fait
naître, il s'insurge contre cette nature dénaturée,
banalisée, ordonnancée en fonction des désirs
des hommes. Un plan d'eau avec trois canards, c'est très
« nature », dit-il en riant, mais des cormorans
qui prélèvent simplement leur ration de poisson, tout
le monde veut les flinguer !
Quant au loup, il dérange les
habitudes, évidemment...
Il n'était pas prévu par
les éleveurs qui avaient
cessé, pour des raisons financières entre autres, de
faire garder leurs troupeaux : tandis que les moutons
pâturaient seuls, les éleveurs travaillaient à la
ferme. Le loup arrivant, on
redécouvre l'utilité du berger dans la
montagne. (C'est ainsi que
l'été dernier des associations de protection de la
nature ont fait la démonstration qu'en payant un aide-berger
aucun mouton n'a été attaqué durant
l'été dans le Queyras, ni par les loups, ni surtout par
les chiens errants dont les prédations ne sont pas
remboursées, contrairement au loup...) La profession est revalorisée !
On pourrait aussi parler du loup
comme un plus pour la région et le tourisme,
bénéficiaires de cette présence. Même si
personne n'aperçoit jamais un museau de loup, la région
en est comme réenchantée...
Mais, pour notre
interlocuteur, l'irruption du loup
va plus loin, elle touche à l'existentiel et provoque
l'occasion de faire le point sur la place de l'homme sur notre
planète :
Entre naturalistes, qui veulent
minimiser l'impact du loup, et éleveurs, qui crient à
l'égorgement et ont parfois l'impression qu'on choisit le loup
contre eux, je ne veux pas choisir.
Chacun doit trouver ou retrouver sa place sur notre terre et
cohabiter avec l'autre, au lieu de vouloir s'approprier sa part de
nature.
Les piétons trouvent qu'il y a trop de
vététistes dans la montagne, les éleveurs qu'il
y a trop de promeneurs, les chasseurs trop de ramasseurs de
champignons qui les dérangent. Le loup arrive ? Il y a
trop de loup !
Qu'en pensent ses collègues
éleveurs ?
Ils refusent de discuter et me
foutent dehors ! Bah ! Dans un petit village, la vie est rude,
on le sait bien, et la vengeance, mesquine ou pas, s'exerce contre
celui qui dérange. Et, en attendant, ils continuent à
laisser leurs bêtes seules.
(Il y a un berger pour 400 bêtes dans les Abruzzes
où les loups sont 600, alors que certains troupeaux de
1 000 ou 2 000 bêtes sont abandonnés à
eux-mêmes côté français...)
Michel Phisel a apprivoisé la
vie lors d'une très longue
maladie durant sa jeunesse. D'où cette envie
irrésistible d'y mordre à pleines dents et de la
partager :
La vie, c'est magnifique, tout le
monde doit pouvoir en jouir, l'homme comme le renard, le blaireau ou
le loup...
L'humanité tout entière est en danger lorsque l'homme
croit pouvoir régenter la Création selon ses
désirs. La frontière entre le
« nuisible » et l'utile, le
« sauvage » et le
« civilisé » risque de se faire de plus en
plus ténue, pour les hommes comme pour les bêtes ou les
plantes.
Quant au loup, il avance malgré l'homme... et toutes les
pétitions des importants et les plan loup des uns et
des autres. Il est dans le Mercantour, le Queyras, la
Haute-Maurienne, probablement a-t-il atteint le parc de la Vanoise
où on l'attend depuis longtemps, peut-être les Landes,
le Cantal, il a traversé la vallée du Rhône,
invisible.
On n'arrive pas à le cadrer,
il se meut dans un espace sauvage, il est libre. Dans notre monde
policé, il résiste. Grâce à lui, on peut
encore rêver !
Le loup, Claude-Marie Vadrot, Actes Sud Junior,
mai 2000.
Retour vers
"Articles"
Retour vers "Respect
de la Nature"
Vos
commentaires et réactions
haut de la page