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Le sacré pour les Kanaks
de Nouvelle-Calédonie

 

 

Claudine Castelnau


 Article publié en décembre 1989
dans les Cahiers Protestants


 


31 octobre 2022

Sur cette terre de Nouvelle-Calédonie, les hommes n'en finissent pas de parler de terre. Jean-Marie Tjibaou qui disait si bien les choses essentielles touchant à son peuple et qui savait être mystique sans pudibonderie disait : «Rappelez-vous, ceux qui connaissent la Bible, la généalogie de Jésus fils de David, fils d'Abraham, fils d'Adam. Nous retrouvons le même schéma... C'est la relation avec la terre. Nous ne sommes pas des hommes sortis d'ailleurs. Nous sommes sortis de cette terre. »

Les armes ont tué et tueront probablement encore pour des histoires de terres. Pourtant il ne faut pas croire que la colonisation (et l'accaparement des terres par les Blancs) et la décolonisation (les anciens dépossédés voulant se réapproprier leurs biens) expliquent tout. La situation d'injustice faite au peuple kanak confiné sur un minuscule territoire (et sur les terres les plus pauvres pendant de si longues années) est insupportable, soit. Mais il y a beaucoup plus que cela: la relation du Kanak à sa terre est unique. Alors, qu'est-ce que la terre pour un Kanak ? D'abord un ensemble de sites portant des noms propres qui sont aussi des noms de famille : le père, qui transmet le nom, transmet un toponyme comme patronyme. Bien avant la colonisation, qui vit les Blancs s'installer sur les meilleures terres et refouler dans des réserves puis sur des terres médiocres le peuple kanak, l'espace était rigoureusement distribué. A la fois espace social et cultivable. Leurs terres perdues, les Kanaks ont gardé vivant le souvenir de ces anciens lieux dont ils portaient toujours le nom.


L'histoire du peuple kanak est donc une histoire de liens avec la terre. Alban Bensa, ethnologue français spécialiste de la Nouvelle Calédonie, me racontait son étonnement lorsqu'il fit ses premières enquêtes dans ce pays : aux questions qu'il posait sur la terre, ses interlocuteurs lui faisaient parcourir, à pied ou à cheval, des itinéraires précis qui allaient des habitats actuels aux anciens sites, lieux d'origine du groupe. « Revendiquer sa terre, c'est revendiquer son identité sociale, l'origine à la fois historique et mythique du groupe auquel on appartient. Mais à partir de ce premier habitat fondé par les ancêtres, le clan élargi s'est dispersé selon des itinéraires que les Kanaks revendiquent aujourd'hui comme leur bien foncier. » Cet ethnologue ajoutait : « la mémoire collective kanake, à travers une tradition orale extrêmement codée et rigoureuse, encore de nos jours, véhicule une sorte de cadastre des terres kanakes. Dire de quelle terre on vient, c'est dévoiler son intimité, son appartenance. C'est, en fait, décliner son identité. »

 

Témoignage émouvant, Maurice Leenhardt, missionnaire protestant en Nouvelle Calédonie qui se fit ethnologue par amour de ce peuple, racontait que les « engagés » kanaks de la guerre 14-18, au moment de mourir dans les tranchées du nord de la France, léguaient à leurs compagnons kanaks les noms des terres qu'ils allaient laisser à l'abandon pour que ces noms soient repris par d'autres...

 

Dès lors, on comprend cette revendication de la terre qui accompagne l'histoire de la Nouvelle Calédonie depuis des décennies : lorsqu'un Kanak réclame sa terre, c'est une composante primordiale de lui-même qu'il réclame. La restitution du sol au peuple kanak, c'est la reconnaissance, de fait, de sa souveraineté. Une souveraineté d'abord mythique et qui ne signifie pas forcément qu'elle s'accompagne d'une mise en culture, ce qui déclenche de multiples conflits avec les Blancs qui ne comprennent pas pourquoi on laisse des bonnes terres en friche alors qu'eux-mêmes les cultivaient. II faudrait aussi parler des cultures d'ignames, ces tubercules que chaque Kanak cultive dans un tout petit champ, mais dont la rentabilité est si forte que 200 à 300 têtes font vivre une famille de cinq personnes pendant une année ! La surproduction (on plante toujours plus qu'on ne consommera) est destinée aux échanges de produits identiques en quantité équivalente. « Ce n'est pas de l'économie ! » s'insurgent les Européens... Effectivement, nous sommes dans la sphère du cérémoniel, du sacré, qui fonde la cohésion d'un peuple. Que l'on soit leader politique sillonnant la planète ou professeur à Nouméa, on reviendra s'occuper de son champ d'ignames. Et si l'on vit en dehors de la Nouvelle Calédonie, on chargera l'un du groupe de veiller sur ses ignames : ne pas avoir son champ, c'est perdre ses liens à la tribu et donc sa crédibilité sociale.


C'est aussi perdre sa relation au sacré: parallèlement aux chefs de clans existe, en effet, une autre hiérarchie (sacrée ?), celle des Maîtres de la terre qui président à toutes les activités du monde kanak. Grâce aux relations qu'ils entretiennent avec les génies du lieu, ces Maîtres de la terre permettent la réussite, la fertilité agricoles. Discrets mais importants, c'est vers eux qu'on se tourne pour avoir l'autorisation de consommer la nouvelle récolte d'ignames comme pour trancher

dans un conflit foncier. Face cachée du chef, ces Maîtres de la terre mettent bien en évidence la relation, faite de respect et de demande à la fois, que les Kanaks entretiennent avec la terre.



Alors la question vient à l'esprit: comment peut-on vivre à la fois le religieux sur le mode traditionnel (rituel aux ancêtres, sorcellerie…) et en même temps faire profession d'appartenance au christianisme (catholique ou protestant) ? Ceux qui répondent font un détour obligatoire par l'histoire tourmentée du peuple kanak : le christianisme est arrivé en Nouvelle Calédonie comme une alternative au processus de colonisation. Il s'est interposé entre le pouvoir colonial, dans toute sa violence et sa logique (l'extinction complète des indigènes et la spoliation foncière intégrale), et le peuple kanak. Le christianisme est désormais vécu comme un mode de relation souhaitable et pacifique avec les Européens, malgré quelques bavures de missionnaires catholiques. Ce christianisme coexiste avec la religion traditionnelle : les élites kanakes, Jean-Marie Tjibaou le catholique comme Nidoish Naisseline le protestant, par exemple, ont tenté et tentent encore d'intégrer des éléments du christianisme dans la culture kanake pour la faire évoluer tout en préservant son identité.

La « religion », sous ses multiples facettes, est ainsi au centre des échanges sociaux comme elle est au centre de l'identité kanake, indissociable de la terre, déjà possédée, mais encore promise.

 

 



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