Réflexion
Presse
« people »
Claudine
Castelnau
15 avril 2006
Plusieurs millions d'exemplaires de la presse people sont lus
chaque semaine, dévorés par un public pas toujours
populaire. Rêve ? Divertissement ?
Échappée hors de la vie réelle ? Du
courage, peut-être, pour supporter la grisaille du
quotidien et qui sait quelque dynamisme pour continuer à
espérer qu'un jour aussi... Alors, n'aurait-on pas mieux
à offrir que cet opium du peuple en utilisant les ressources
du phénomène de peoplelisation
à d'autres fins sociales, politiques ou tout simplement
d'information grand public ?
________________________________________
La presse people c'est
Paris Match, Point de vue, VSD, Gala,
Voici, Public, Closer et
d'autres magazines encore que mon kiosquier désigne d'un geste
fataliste et qui montent à l'assaut de son étal, bien
visibles avec leurs couvertures criardes et saturées
d'informations. Un afflux de titres impressionnant, sans compter ceux
que l'on annonce pour les mois à venir ! C'est ce qu'on
appelle la presse
échotière, la
presse d'indiscrétions, dans le monde médiatique. En un
mot, la presse people.
Mais d'abord, pourquoi cet anglicisme
people ?
Utilisé en France à partir des années 90
avec des publications comme Voici ou
Gala, ce mot people se
veut manifestement un coup de vernis
« branché » sur une presse échotière
déjà ancienne et plutôt poussiéreuse comme
Ciné-Miroir,
Cinémonde... On utilise
désormais un ton nouveau, plus relâché, une mise
en page éclatée où l'image,
détournée, remontée, a une place centrale.
Elle justifie et consolide l'information : « Elle a le ventre un peu rond ?
Est-elle enfin enceinte ? » L'air un peu hébété sur un
cliché flou ? « Il traverse une mauvaise
passe. »
Le rôle des paparazzi et autres
pourvoyeurs d'images volées,
ou posées, de la vie privée des
célébrités est devenu incontournable. Enfin et
surtout le champ des personnalités surexposées, ces
gens en vue du moment, s'élargit : au monde des
princes et princesses dont lady Diana fût l'icône
médiatique incontestée, et des vedettes de
cinéma s'ajoutent les sportifs comme le footballeur anglais
David Beckham et sa femme Victoria, les stars ô combien
éphémères de la télévision, les
présentateurs et autres animateurs du petit écran, et
dernièrement les hommes et femmes politiques et leur
famille... En fait les people, on dit
même les beautiful
people, c'est-à-dire les
gens que désignent cette presse éponyme « constituent une élite, un monde
privilégié ; ils sont à la mode,
célébrés dans les médias et leur
existence dorée est inaccessible à la majorité.
Or, par une sorte de paradoxe, ces personnages-là sont
très... populaires. On pourrait même avancer
l'idée que leur inaccessibilité est à la mesure
de leur popularité », relève un spécialiste des
médias. ( 1 )
La presse people
prétend donner au commun des mortels des informations exclusives, vraies ou fausses, peu
importe, de ces étoiles inaccessibles, de leur
intimité, surtout amoureuse dans leurs villas de rêve ou
sur leur yacht, où nous sommes serions invités, le
temps d'une photo ou d'un potin, à jeter un oeil furtif. En
réalité, ne soyons pas dupes, il s'agit avant tout
d'une « mise en
scène » permanente
de ces prétendues informations et de leur dévoilement.
Mise en scène à laquelle se prêtent souvent les
célébrités du moment parce qu'elle leur permet
de construire leur image ou de rester présentes, lorsqu'elles
sont en perte de célébrité, dans le coeur des
gens. Quitte à dénigrer cette presse
échotière, à s'en plaindre, à lui faire
des procès pour atteinte à la vie privée !
Dans ce registre de l'information indiscrète, le magazine se
joue souvent de la curiosité de son lecteur, parfois avec
humour et l'invite fréquemment à faire preuve de sens
critique. Ainsi, l'annonce en une que tel acteur « quitte le domicile
conjugal », alors que
l'information en page deux se réduira à une nouvelle
dérisoire : il quitte sa maison pour accompagner sa fille
au jardin public. Ou encore la critique drôle et sans
concession d'un dérapage vestimentaire ou de conduite,
sanctionné par une photo. Et un commentaire acerbe.
On relèvera aussi que dans nombre
de ces publications people se
retrouve ce qu'un chercheur appelle « l'effet de compensation
symbolique »
( 2 ).
Plus simplement dit, il s'agit pour le magazine d'amener ses lecteurs
à comparer leur vie de gens ordinaires à celle des
célébrités et de montrer que, finalement,
l'argent, l'esbroufe des vedettes, ne fait pas le bonheur, que les
aventures douloureuses, les trahisons, divorces, insuccès
professionnel et autres malheurs ne leur sont pas
épargnés. « Le fait d'exposer cette tristesse des
people semblerait être un moyen d'établir une sorte de
prime à la consolation des
lecteurs. » Toute
l'ambiguïté de la presse people est là :
objectivement complice des conduites tapageuses qu'elle
médiatise par la photo, elle ne cesse d'exalter en même
temps la fidélité conjugale et le bonheur familial
à durée garantie !
Va-t-on vers une « peoplelisation » de notre
société ? La
réponse est oui ! Il semble de moins en moins possible de
cantonner le people dans une
catégorie médiatique précise. Et au delà
de la presse spécialisée dont c'est l'unique fonds de
commerce, ou de rubriques journalières très
alimentées en faits people sur le
Net, l'approche people se
retrouve désormais dans la grande presse, des hebdomadaires
d'actualité aux quotidiens. Par capillarité, des
organes de presse comme Le Monde, Le
Figaro, Libération, etc. sont
conscients d'attirer un nouveau public et d'augmenter leurs ventes en
posant le pied sur le terrain people. Des
rubriques comme « Les
gens », « Ces
gens-là » et
d'autres fleurissent. Mais le people s'est
enrichi de la politique, des relations internationales...
Témoin cette confidence, citée par un sociologue des
médias, d'un photographe d'actualités à qui son
journal demandait aujourd'hui des clichés « plus sexy », plus « people » des hommes et femmes politiques et chefs
d'État ! Leur vie privée intéresse et ils
jouent le jeu, plus ou moins contraints. Influence américaine
où l'on ne craint pas de s'exposer ? Paris-Match est un
précurseur en la matière qui a bâti son
succès sur cette approche people, à mi-chemin entre
presse d'actualité et presse d'indiscrétion, même
si les indiscrétions sur la vie privée des
people se sont longtemps faites avec l'accord tacite ou
négocié des intéressés.
Pourquoi cet engouement pour le
récit people ? Pour
l'exotisme social et géographique sûrement. Pour
s'évader dans un monde de rêve, vivre par procuration un
conte de fées quasi permanent, même si la
tragédie n'y est pas toujours absente. Un monde de
tonalité globalement rose... comme on lit la presse du coeur
ou les romans d'amour Harlequin ! Une manière de se
détendre, de prendre du plaisir à perdre son temps
futilement dans un monde qui en donne peu d'occasions, d'oublier les
duretés de l'existence. Une mise entre parenthèses,
lucide, de la vraie vie, pour un instant hors du temps. Car au vu des
enquêtes sur la presse people, il
ressort que les lecteurs ne sont pas dupes, ils ne sentent en rien
engagés dans une processus de vie par
procuration : « Je me
dis que leur vie, c'est leur vie et que c'est impossible que
certaines choses de leur vie m'arrivent, comme l'argent. Eux c'est
eux et moi c'est moi »,
dit une lectrice interrogée.
Il demeure que les lecteurs de cette
presse aiment qu'on leur raconte
des
« histoires »
même s'ils sont conscients qu'elles sont hautement sujettes
à caution. Le style échotier qui sait mélanger
habilement la fiction au vrai, le réel au vraisemblable et au
faux en un brouillage savant engendre un plaisir ludique individuel
et collectif. Composer sa propre vérité est une
démarche individuelle. Mais quand la presse people fournit
les informations discutables et discutées d'une conversation
people, c'est un authentique « jeu de
société »,
de cohésion sociale qui se met en place. « Dans ce plaisir de la devinette
collective réside peut-être l'une des clés de
l'engouement pour le récit
échotier ». Et qui
n'a jamais discuté, à perte de souffle parfois lors
d'un dîner cet été, sur le sort
préoccupant de deux couples celui d'un présentateur de
journal télévisé ou d'un homme politique
français ?
_____________________________________________
Notes
1. Philippe Marion. De
la presse people au populaire médiatique. Revue Hermès n° 42, CNRS
éditions,
2. Revue
Réseaux n° 23, consacrée aux
« récits
médiatiques ». Voir
l'article de Jamil Dakhlia « L'image en échos. Formes et
contenus du récit people »
Cet article paraîtra
dans le numéro de juin 2006 du mensuel
« Évangile
et Liberté »
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