Réflexion
La
laïcité
l'oecuménisme
un christianisme de l'espérance
parler de Dieu aujourd'hui
André
Gounelle
Ancien professeur de
théologie systématique et doyen de la faculté de
théologie protestante de Montpellier.
interview par Claudine
Castelnau
à la radio
« Fréquence prtestante »
.
23 décembre 2005
Claudine Castelnau : En pensant au bilan que l'on peut faire de
l'année 2005, vous avez donné la priorité
à la laïcité.
La
laïcité
André Gounelle : Il y a un
paradoxe dans la mesure où la loi de 1905 de
séparation des Églises et de l'État a
été faite dans un contexte polémique. La loi
elle-même est une loi d'apaisement qui a essayé de
réconcilier les Français et qui l'a passablement fait.
Tout le long du siècle, petit à petit, les choses se
sont arrangées. L'Église catholique a progressivement
accepté la laïcité (En 1905 c'est Rome qui
n'en voulait pas, alors que les évêques français
lui étaient plutôt favorables). On pouvait avoir
l'impression, il y a dix ans encore, que la commémoration
de 1905 serait consensuelle. Bien sûr il y a eu des
accrochages au sujet du problème de l'école , mais sans
aucun rapport de gravité avec les luttes de la fin du
19e siècle et du début du 20e.
Voilà qu'on voit maintenant surgir
des problèmes tout à fait nouveaux liés d'une
part à l'installation massive de musulmans en France et
l'apparition d'un islam de France et d'autre part à
l'apparition d'Églises évangélicales, souvent de
type ethnique qui n'entrent pas facilement dans le cadre de la loi
de 1905.
On prend dès lors conscience que
cette loi était pensée en fonction du ou des
christianismes (et dans une certaine mesure aussi du
judaïsme).
Le consensus auquel on était
arrivé est à remettre sérieusement en chantier.
C'est difficile car il y a une certaine atmosphère de passion
autour de cette loi.
Il y a aussi des problèmes beaucoup
plus fondamentaux.
- D'abord le
problème communautariste. Ce
mot a très mauvaise presse et tout le monde le est condamne.
Il me semble que ces condamnations reposent sur un malentendu. Ceux
qui condamnent le communautarisme n'ont jamais fait l'effort de lire
les grands penseurs communautariens qui sont des anglo-saxons. La
notion de communautarisme apparaît au Québec dans la
mesure où le Canada se trouve aux prises avec les
problème des Franco-Ontariens, des Québécois,
Inuits, des Amérindiens et qu'il faut bien trouver une
solution.
La tradition française est clairement
universaliste. Le citoyen est le même partout et on doit
appliquer à tous les mêmes règles, les
mêmes lois sans faire de différence en fonction des
opinions privées, des appartenances ethniques ou culturelles.
Cette solution a des mérites et notamment celui d'assurer une
très grande égalité.
Mais elle pose un problème car elle
ne rend pas compte des différences culturelles. Du coup, la
République pose un individu qui a perdu toutes ses
particularités.
En 1791 ou 92, le conte de
Clermont-Tonnerre a déclaré à l'Assemblée
nationale à propos du statut des Juifs, « il ne faut rien accorder à la
nation juive et tout accorder à l'individu
juif » Les Juifs sont des
citoyens comme les autres. Déjà à
l'époque, un certain nombre de penseurs ont répondu que
si on refuse aux Juifs le droit de respecter leurs interdits
alimentaires, de ne pas travailler le samedi, si on ne l'aide pas
à respecter son culte et à transmettre sa culture, en
fait on ne le respecte pas. On le fait passer par un moule qui ne lui
convient pas.
Aujourd'hui, on vit une crise grave de
société, crise sociales dans les banlieues. Notre
société n'arrive plus à intégrer,
à socialiser un certain nombre de gens qui font partie des
groupes ou des classes défavorisées. L'école qui
a longtemps rempli cette fonction ne le fait plus. Le service
militaire qui la remplissait plus ou moins bien pour les
garçons ne le fait plus non plus.
Ce sont en fait les groupes religieux qui,
actuellement socialisent. On a beaucoup parlé des imams
extrémistes, on oublie qu'à côté d'eux il
y a beaucoup plus d'imams modérés qui ont probablement,
sinon évité, du moins adouci un certain nombre de
conflits.
On oublie que dans les groupes ethniques
venant des Antilles et d'Afrique, ce sont les petites Églises
évangéliques qui assurent une certaine
socialisation.
Bien entendu, il ne faut pas tomber dans ce
que l'on caricature comme étant le communautarisme anglo-saxon
- ce qui n'est d'ailleurs pas tout à fait juste -
qui voit des communautés juxtaposées sans relations les
unes avec les autres. Mais des penseurs comme Taylor, Rolle et
d'autres, disent qu'une société ne doit pas être
seulement une communauté d'individus - règle de la
France - mais une communauté de communautés.
Personnellement je dirais une communauté de communautés
et d'individus. Autrement dit que les communautés soient
groupées. Savoir leur accorder la diversité et cesser
de vouloir un citoyen qui soit partout le même. Un citoyen qui
serait défini aussi par ses particularités propres,
qu'il pourrait vivre en échange, en dialogue avec les
autres.
Ce problème est fondamental. Il se
pose pour la société française, mais aussi pour
l'Europe et pour l'ensemble du monde. Comment allons-nous vivre ce
village global que nous sommes en train de construire à
travers des disparités considérables.
- Un second problème. La laïcité doit beaucoup à la
pensée du siècle des Lumières que je suis loin
de rejeter, bien au contraire. Il vaut la peine de s'y
référer. A la fin du 19e siècle et au
début du 20e siècle on voit
apparaître la distinction que les penseurs anglo-saxons
expriment à nouveau qui est celle entre le juste et le bon.
Ils disent que le bon est la conception que l'on a de l'existence. Un
bouddhiste, un musulman, un juif, un chrétien, un
athée, un communiste, un socialiste, un homme de droite, n'ont
de fait pas la même conception du bon. L'État n'a pas
à s'introduire dans ce débat entre les diverses
conceptions du bon, dans la guerre de valeurs. Par contre son
rôle est de veiller à ce que l'opposition des valeurs,
des idéologies ne dégénère pas en guerre
de religions. Que l'on ne se massacre pas au nom de la conception du
bien. L'État définit dans ce but des règles que
l'on appelle désormais le « juste ».
Cette pensée est celle de la
démocratie occidentale de type européen telle que nous
la vivons. Cette conception a son mérite.
Elle a néanmoins aussi une limite.
Qu'on le veuille ou non, toute définition de ce qui est
"juste" est marqué par une culture, par des héritages,
des influences. On s'aperçoit bien que selon qu'une
société a des racines bouddhistes, animistes,
catholiques, protestantes, elle ne définit pas le "juste" de
la même manière. Ces différences subsistent alors
même que la foi religieuse régresse ou disparaît.
Nous sommes souvent dans des sociétés
post-chrétiennes. Mais beaucoup de nos grands débats de
société - pensons à la bioéthique,
à la régulation des naissances - sont
marqués par des problématiques et des orientations qui
ont été celles de l'Église et du
christianisme.
Une société demeure animiste,
bouddhiste, même si la religion a disparu. Les gens du
19e siècle poursuivaient le rêve, l'utopie,
d'une universalité. Mais ils étaient victime de
l'illusion qui faisait croire à leur époque, que la
civilisation européenne était universelle. Ce qui les a
poussés, à imposer à travers la colonisation,
leur civilisation à des peuples qui pensent aujourd'hui qu'ils
pourraient vivre selon d'autres choix culturels.
Dans un pays pluriculturel, plurireligieux
comme le nôtre l'est devenu, la définition du
« juste » ne peut pas être considérée
comme intangible. A moins d'en faire une nouvelle
révélation théologique. On doit donc ouvrir un
immense débat pour redéfinir ensemble à chaque
moment, ce qui est « juste ». Le rôle de la laïcité, ne devrait
pas être le cas, comme cela l'a été
historiquement, d'essayer d'éliminer les idéologies,
les religions de l'espace public, mais d'organiser le débat
entre elles. Donc de consulter, d'écouter, de mettre en
relations, en veillant à ce que le débat ne devienne
pas combat et ne soit pas organisé totalitairement par un des
groupes.
Il y a une redéfinition philosophique
de la laïcité à opérer aujourd'hui, qui
créerait une laïcité différente et qui ne
serait pas un abandon de la laïcité.
.
Claudine Castelnau : Dans le
communautarisme à l'anglo-saxonne, des communautés coexistent sans lien entre
elles, sans même parfois le lien de la langue nationale, qu'ils
parlent très mal ou pas du tout. De plus, l'individu est
tellement noyé dans sa communauté qu'il n'a plus aucun
droit de s'exprimer librement.
André Gounelle : Ce sont
effectivement les deux dangers du communautarisme, qui comporte,
comme toute formule, ses points forts et ses dangers.
Plus que les États-Unis ou
l'Angleterre, je donnerai en référence le Canada, que
je connais bien pour y avoir enseigné et où je vais
souvent.
Je ne dis pas qu'ils aient trouvé la
solution idéale, mais il y a là une recherche pour que
les droits de l'individu ne soient pas abandonnés dans le
communautarisme - je parlais tout à l'heure d'une
« communauté de
communautés et d'individus », pas seulement une « communauté de
communautés ». Ils
s'efforcent de créer systématiquement l'échange.
J'ai vu dans des écoles du
Québec, des enseignants organiser autour des débats
où chaque élève s'exprimait en fonction de sa
religion et de ses valeurs. On leur apprenait à le faire sans
s'agresser les uns les autres. Chacun avait son identité mais
ce n'était pas une identité repliée sur
soi-même.
Le danger existe naturellement et le Canada
y est sensible. A New York on ne trouve pas facilement un chauffeur
de taxi qui parle anglais !
Toute formule a ses dangers et l'important
est d'essayer de trouver des compromis. Je ne plaide pas en faveur
d'une société communautarienne mais je plaide pour un
peu de communautarisme dans nos sociétés. Surtout en
pensant qu'actuellement l'unité de notre société
est en train de se défaire.
Claudine Castelnau : En sommes-nous capables ? Que diraient
aujourd'hui nos grands ancêtres protestants qui ont
été, en leur temps, si enthousiastes de la
laïcité et qui l'ont aidée à
naître ?
André Gounelle : Je ne sais pas
ce qu'ils diraient ou feraient. Mais je rappelle toujours le mot de
Jules Ferry qui demandait qu'on ne choque pas les
gens. « Tenez à vos
élèves des discours qui ne choquent
pas ». Il était
certainement ouvert à une certaine pluralité, bien
qu'il n'y ait certainement moins été que nous
actuellement.
L'œcuménisme
Claudine Castelnau : Les beaux jours de l'oecuménisme
semblent loin derrière nous.
André Gounelle : C'est vrai. L'année qui se termine a
été marquée par l'élection du cardinal
Ratzinger. Quelle que soit son
intelligence, que personne ne met en cause, ainsi que sa bonne
volonté et sa culture, les protestants ont néanmoins
très mal vécu son élection. Il est difficile de
ne pas y voir un geste relativement inamical de la part des
cardinaux. L'�cuménisme n'a pas été leur souci
premier. Le cardinal Ratzinger a été le
rédacteur du document Dominus
Iesous en 2000 qui est
très mal reçu par une partie de l'Église
catholique elle-même et par l'ensemble des protestants. Ce
document s'intéresse de manière première au
dialogue interreligieux. Il comporte un fameux paragraphe rappelant
une ancienne doctrine - certes jamais abrogée, puisque
l'Église catholique n'abroge jamais rien - mais qui
était en sommeil, interdisant d'appeler les communautés
protestantes du nom d' « Églises ».
Il y a là un geste mal reçu
par les protestants, même s'ils essayeront de jouer tout
à fait loyalement le jeu vis-à-vis du nouveau pape
Benoît XVI.
Mais il est vrai que Vatican II a
été une époque d'enthousiasme, d'euphorie. On
avait l'impression que l'unité était presque à
portée de main. Puis, cela s'est un peu refroidi.
Différentes commissions se sont mises au travail sur des
problèmes dogmatiques, comme la question des sacrements,
l'autorité dans l'Église, la justification par la foi.
Elles ont constaté un certain nombre de désaccords qui
demeuraient.
Ces désaccords se sont souvent
traduits par des frictions.
Le document luthéro-catholique sur la
justification par grâce a créé une
véritable friction, dans la mesure où juste
après sa publication le pape a publié des indulgences.
Il y a sans doute un malentendu sur ce point ; les
luthériens pensaient que les indulgences étaient
exclues et les catholiques comprenaient le contraire. Ce document
avait, il est vrai, un style un peu langue de bois, l'art d'escamoter
les difficultés, même s'il avait
l'honnêteté d'indiquer les désaccords à
côté des points d'accord.
Un véritable embarras, l'impression
d'avoir été floué a été
créé chez les protestants par cette publication.
Des problèmes ont également
surgi pour d'autres raisons. Par exemple à propos de
l'hospitalité eucharistique qui se pratiquait assez largement
auparavant et qui est désormais interdite. Le ministère
de la femme a aussi provoqué un contentieux, plus discret mais
très profond.
Il y a aussi un certain nombre de signes
positifs.
Le premier est la quantité de travail
théologique qui se fait en commun. Dans les facultés de
théologie, aussi bien catholiques que protestantes, les
théologiens se rencontrent et échangent amicalement.
Ils s'aperçoivent souvent que, sur tel ou tel problème,
les lignes de fracture les traversent plutôt qu'elles ne les
opposent.
C'est une nouveauté
intéressante.
La formation que les théologiens
protestants et catholiques recevaient naguère était
radicalement différente. Aujourd'hui ces formations se
recoupent. Les contacts entre eux sont nombreux, même si les
positions sont différentes. Il s'agit d'une avancée
considérable.
Au niveau des paroisses, on constate souvent
de bonnes ententes oecuméniques et l'oubli des directives
officielles. On y cultive une réelle amitié.
Pourtant le problème profond
demeure de savoir ce que l'on entend
par « unité ». Du côté catholique il y a
l'idée qu'il s'agit de s'entendre sur tout, d'avoir les
mêmes manières de prier, les mêmes manières
d'organiser la communauté, les mêmes doctrines, le
même langage. Les commissions inter ecclésiastiques qui
ont suivi Vatican II, cherchaient systématiquement des
accords, des consensus en éliminant ou en marginalisant les
points de désaccord, avec l'idée que lorsqu'on pense la
même chose, on est ensemble. Que pour s'aimer il faut penser la
même chose.
C'est sans doute le message des protestants,
notamment des réformée, de chercher à
découvrir la possibilité d'être en communion, en
amitié profonde, alors que l'on conserve des positions
différentes et qu'on ne cesse d'en débattre, d'en
discuter.
Il faut évidemment faire tout un
effort sur soi-même pour accepter les différences avec
l'autre et l'accueillir de manière positive.
Ce point n'a pas été encore
franchi et il faut absolument y arriver. Il n'est pas
nécessaire de croire la même chose pour prendre la
sainte cène ensemble ou pour entreprendre ensemble une action.
Il faut arriver à ne plus vivre les différences comme
des culpabilités.
La différence n'est pas coupable si
on la vit dans la bonne entente ; ce qui l'est est de vivre les
différences dans la haine.
La religion de
l'espérance
Claudine Castelnau : Nous vivons dans un temps de morosité
et de désolation !
André Gounelle : Un temps de
lassitude, de découragement. Beaucoup d'observateurs sociaux
le disent. On manque de projets crédibles
Lors de la récente crise des
banlieues on a pu entendre dire que la crise s'explique par l'absence
d'avenir pour les jeunes.
Un des messages du christianisme devrait
être de réagir fortement contre cet état
d'esprit.
Un colloque vient de se tenir à
Strasbourg sur Albert Schweitzer, le docteur de
Lambaréné, dont il ne faut pas oublier qu'il a
été un penseur et un théologien. Schweitzer a
une réflexion sur les religions qui me paraît tout
à fait intéressante. Il explique que dans le monde des
spiritualités on peut distinguer deux tendances.
- La première tendance considère que le monde où l'on est
créé, voulu, commandé par Dieu. Toutes les
autorités viennent de lui ainsi que tout ce qui se passe. On
est alors toujours en train de prêcher l'acceptation, la
résignation. On saisit tous les problèmes qui
surgissent lorsqu'une catastrophe naturelle se produit ! On a
entendu lors du tsunami ou du tremblement de terre en
Afghanistan : « c'est
la volonté de Dieu. C'est dur mais nous
l'acceptons. »
En Amérique aussi dans les milieux
évangéliques lors du cyclone Katrina.
Du coup on interprète la catastrophe
comme une punition pour lui donner un sens.
C'est l'antique sagesse
stoïcienne : le monde est ce qu'il est, on ne peut pas le
changer. Il faut donc nous adapter au monde, l'accepter.
Schweitzer dit que ces religions acceptent
le monde mais de manière non éthique, non
morale.
La prédication s'oppose à
toute révolte, toute modification d'un statu quo qui est bien
et dont il faut seulement découvrir qu'il est bien.
- La seconde tendance est inverse. Elle dit que le monde est la proie du mal, qu'il
est diabolique ; les tsunamis montrent que le monde est l'empire des
démons. Cette conception se trouve dans certains milieux dits
sectaires. Dans l'antiquité certaines sectes allaient jusqu'
considérer que le monde n'avait pas été
créé par Dieu mais par un démiurge ou un
démon soit maladroit, soit mal intentionné. La
spiritualité ne vise pas d'accepter ce monde mais de le fuir,
d'en sortir.
Naguère on disait sortir du monde
pour entrer en religion, ce qui est une formule
caractéristique.
Schweitzer dit de ces spiritualités
qu'elles sont celles de la négation non éthique du
monde et que le message du christianisme est à la fois
d'accepter et de refuser le monde. C'est une affirmation et une
négation éthiques.
C'est dans cette ligne que Schweitzer lit ce
qu'on appelle le message eschatologique, c'est-à-dire
l'annonce de la fin des temps, l'annonce du royaume qui vient. Il
s'agit bien entendu d'une affirmation mythologique. Nous savons tous
que ce sont des descriptions qui doivent beaucoup à la culture
apocalyptique. Cela signifie qu'elles contiennent une idée
profonde. L'idée que Dieu n'est ni celui qui se
désintéresse du monde, qui se trouve ailleurs ni qui
garantit, justifie et légitime le monde. Il est celui qui le
transforme.
« Voici, je fais toutes choses
nouvelles », parole du
prophète Ésaïe 65,17 reprise par
l'Apocalypse 21.4.
Schweitzer considère que le message
chrétien - et je partage entièrement ce point de
vue - est de dire qu'il y a toujours quelque chose à
faire. Il ne faut ni accepter, ni s'enfuir, il faut s'efforcer de
changer le monde, si peu que ce soit. Il faut donc cultiver
l'espérance.
Une espérance active. Il faut
l'opposer à toutes les morosités, à tous les
fatalismes.
Parler de Dieu
aujourd'hui
Claudine Castelnau : Pour prolonger ce que vous venez de dire,
comment parler de Dieu aujourd'hui ? Vous êtes promoteur
en France de la théologie du Process, c'est une manière
inhabituelle de parler de Dieu.
André Gounelle : La
théologie du process propose l'idée de Dieu qui est
mouvement., dynamisme créateur.
Il est frappant que la question de parler de
Dieu se pose comme elle le fait actuellement. On a assisté en
quelques dizaines d'années d'un net recul du langage sur Dieu,
de la référence à Dieu, de la notion de Dieu, de
l'idée de Dieu, de la croyance en Dieu, même et y
compris dans les milieux religieux. Comme si on n'osait plus, on ne
pouvait plus en parler.
Cette difficulté vient certainement
d'un discours sur Dieu classique et traditionnel qui masque Dieu
plutôt qu'il ne le fait apparaître.
Je ne veux pas dire que les
générations qui nous ont précédé
n'ont dit que des bêtises. Mais ce qu'elles ont dit l'a
été et avait un sens dans une culture
extraordinairement différente. Ces affirmations n'ont plus de
sens dans notre culture d'aujourd'hui.
Un exemple classique est celui des conciles
de Nicée Constantinople et Chalcédoine ont
définit la doctrine des deux natures en Christ, cela avait du
sens à l'époque. Ils reprenaient d'ailleurs des
catégories de la philosophie de leur temps. Les contemporains
comprenaient ce que l'on voulait dire à travers les mots que
l'on employait. Mais nous ne les comprenons plus. Ces formulations
sont des doctrines qui ne nous touchent plus, qui n'ont pas de sens
pour nous, qui nous paraissent absurdes et qui le sont effectivement
si l'on y réfléchit avec les catégories de notre
époque.
Pour parler de Dieu aujourd'hui, on peut
dire deux choses.
1
D'abord, le discours sur
Dieu a traditionnellement et depuis
toujours deux références.
- La première référence
vient des religions de la sagesse,
de la culture. Des religions qui essayent de découvrir Dieu
dans le monde, dans la réflexion, dans
l'intériorité, dans le travail sur soi. Trouver Dieu
dans ce qui nous entoure.
Ces religions sont méfiantes à
l'égard de toute révélation surnaturelle.
C'est notamment le cas dans la "confession
de foi d'un vicaire savoyard" de Jean-Jacques Rousseau, qui voit Dieu
partout dans la nature mais pas dans la Bible ni dans le
Coran.
- La seconde vient des
religions de la révélation, en particulier du
christianisme et de l'islam, selon lesquelles on ne peut pas parler
de Dieu à partir de soi car en s'y efforçant, on ne
parle que de soi. On ne peut parler de Dieu qu'à partir d'une
révélation qui est coupure avec la logique du monde,
les cultures, ce que nous pensons. Religion de la rupture.
Il me semble qu'il faudrait dépasser
cette opposition. Je propose l'image de la Belle au Bois dormant. La Belle dort dans un château et un prince la
cherche. La Belle est l'image de l'intériorité et le
prince est l'image de la parole extérieure, celle qui vient du
dehors.
Si la Belle ne rencontre pas son prince,
elle ne se réveillera pas et les virtualités qui sont
en elle ne se développeront pas.
Si le prince ne trouve pas la Belle, il
tournera en rond, il sera comme celui qui cherche constamment son but
sans jamais le trouver.
Il nous faut apprendre aujourd'hui, beaucoup
plus que les générations précédentes,
à joindre la sagesse et la parole extérieure.
C'est seulement si on parle de Dieu, en se
fondant certes sur l'Écriture, mais en fonction de ce que nous
vivons, pensons, de ce qu'est notre situation, que quelque chose se
passera et que le discours redeviendra censé.
2
Le second point que je voudrais
souligner est qu'on dit beaucoup
depuis 25 ou 30 ans, que nous vivons un changement de
culture, de civilisation. Que nous sortons de ce que l'on a
appelé l'ère moderne qui commence avec le
18e siècle et qui est marquée par la
raison, pour entrer dans une ère post-moderne.
Les analyses du post-modernisme, sont
complètement divergentes selon les auteurs qui donnent des
sens tout à fait différents à ce mot, insistent
toutes beaucoup sur l'art. L'homme
« moderne » est
l'ingénieur, le calculateur, le physicien, l'homme de la
technique.
L'homme « post-moderne » est l'homme de l'esthétique, de l'art.
Il est frappant de constater l'afflux du
public aux concerts, aux expositions comme ce n'était jamais
le cas autrefois. Actuellement l'art est ce qui ressemble le plus
à l'expérience du sacré telle qu'on la faisait
il y a un siècle. C'est là que l'homme post-moderne a
le sentiment de quelque chose qui le touche et qui le
dépasse.
Cela peut être l'art le plus
sophistiqué comme le plus fruste. L'art des grands concerts
comme l'art de celui qui gratouille une guitare. Peu importe, il y a
là quelque chose d'important.
Le château où le prince
trouvera et embrassera la Belle est peut-être celui de l'art.
Il y aurait, pour les Églises, les religieux, les sages, les
philosophes, ceux qui s'estiment porteurs d'une parole, à
prêter la plus grande attention à l'art. Non pas pour le
diviniser, mais pour l'accompagner. L'accompagner de manière
critique. Car l'expérience du sacré est quelque chose
de dangereux.
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