Article
Billy Graham
« globe-trotter » de
Dieu
2 février 2003
Peu d'hommes se sont attirés, au XXe
siècle, autant de critiques
acerbes et de commentaires moqueurs dans la presse française.
Rançon de l'impact populaire et médiatique hors norme,
commente l'historien Sébastien Fath, pour un
évangéliste hors norme, qui depuis plus d'un
demi-siècle a sillonné la terre au fil d'un
ministère d'une constance inébranlable.
« Ni Jean-Paul II, ni
Martin Luther King, ni Gandhi n'ont parlé à un public
cumulé aussi fourni, plus de 100 millions d'auditeurs
dans 84 pays différents. » Alors, pourquoi un succès planétaire
pour ce prédicateur protestant baptiste
américain ? Né en 1918 en Caroline du Nord,
c'est un enfant de la Bible
Belt (la ceinture de la Bible), ces
États du Sud marqués par une forte présence
évangélique depuis le début du XIXe
siècle sous l'influence de « réveils
religieux » baptistes et
méthodistes - actuellement les quatre-cinquièmes
des habitants de ces États sont fidèles de l'une de ces
deux dénominations.
« C'est dans ce creuset
évangélique que naît et grandit Billy Graham et
qu'il entre en contact avec la mythologie revivaliste
américaine. (il fait
l'expérience de la « conversion » à 16 ans, lors du passage d'un
prédicateur dans sa ville et décide alors d'être
évangéliste, c'est-à-dire professionnel de
l'évangélisation). C'est à cette tradition conversionniste,
conçue comme une réorganisation complète et
positive de l'existence à la suite de la rencontre avec
Jésus-Christ, et militante par l'engagement ici et maintenant
que se rattache Billy Graham ».
Une culture religieuse
évangélique typiquement
américaine, l'« evangelicalism », qui gagne actuellement en Amérique latine,
en Asie du sud-est, en Afrique (200 millions d'individus s'en
réclament dans le monde, 500 millions avec les
pentecôtistes), au détriment des autres tendances
protestantes. Depuis les années 60, Willam Franklin
Graham, dit « Billy », est le prédicateur
incontournable sur le terrain avec ses « croisades » de conversion comme dans les allées du
pouvoir et c'est encore à lui, malgré son grand
âge et sa maladie, que George W. Bush fera appel pour
conduire le service solennel à la cathédrale nationale
de Washington au lendemain du 11 septembre.
Il est l'« icône » religieuse de l'Amérique contemporaine, au
sommet de sa popularité, cité 44 fois en
50 ans dans les sondages Gallup parmi les 10 personnes les
plus admirées des États-Unis, pour son rôle
religieux. Pourquoi cette starisation d'un
évangélisateur ? Quel rôle religieux ?
Il faut bien comprendre le système Billy Graham, nous rappelle
Sébastien Fath :
« Au delà du charisme
personnel réel de l'évangéliste et de son
rayonnement se trouve une infrastructure, la BGEA (Billy Graham
Evangelistic Association qui emploie 500 salariés),
véritable entreprise mondiale de
l'évangélisation avec des intérêts
financiers considérables, qui organise les campagnes lorsqu'on
la sollicite et fait un travail professionnel sur l'image du leader
charismatique. »
Dès le milieu des
années 50, la
notoriété de la star de l'évangélisation
de masse aux antipodes de l'intellectuel ou du théologien
s'est construite mais, contrairement aux stars hollywoodiennes, non
pas autour de sa personne mais en référence au Dieu de
la Bible :
« Il ne faut jamais oublier que
si la BGEA est une entreprise, c'est avant tout une entreprise de
conversion qui mobilise autour d'un message chrétien
évangélique (l'accent
mis sur la lecture de la Bible parole de Dieu, la conversion
personnelle par laquelle on devient un « born again
christian » et la
piété régulière). On remarquera pourtant, après
50 ans de croisades et plus de 100 millions d'auditeurs,
que les "convertis" totalement extérieurs aux Églises
ne représentent qu'une infime minorité des gens
touchés. La dimension principale est bien plutôt la
remobilisation des fidèles - ce que les sociologues
qualifient de "spiritualité de l'exceptionnel" - lors de
rassemblements périodiques (Billy Graham et d'autres) qui
permettent une sorte de "recharge en énergie convictionnelle"
et ne se traduisent pas forcément ni dans la durée, ni
dans une appartenance religieuse
précise. »
Finalement, Billy Graham aura d'abord voulu par delà les
dénominations religieuses délivrer un message
« universel » et jouer un rôle de stimulation du
militantisme chrétien. En même temps, il aura
été le grand prêtre d'une religion civile
à l'américaine, cette « sacralisation de
l'être-ensemble »
que l'on a vue se manifester après le 11 septembre.
Il aura tenté d'incarner, dit Sébastien Fath,
« un magistère moral
relativement onctueux, bien éloigné des figures de
prophètes de l'Ancien Testament, partenaire religieux
soutenant les institutions et chargé de mettre en �uvre le
messianisme américain : l'Amérique "under God"
(sous le regard de Dieu) a un message pour le monde
entier. »
__________________________
Billy Graham, pape
protestant ? Sébastien Fath, ed. Albin Michel
.
Billy Graham
pape protestant ?
A première vue tout oppose Billy
Graham et Jean-Paul II. Le
premier est issu d'une tradition protestante fortement anticatholique
et anti institutionnelle, à plus forte raison lorsque
l'institution se présente comme
« sainte ». L'autre vient de la Pologne
ultracatholique.
Ils se rencontreront pourtant à quatre reprises, partageant la
même certitude que sous l'influence du christianisme le
communisme s'effondrera. Et qu'il faut
réévangéliser la société
contemporaine, même si leur démarche sur ce point
diffère considérablement.
Tous deux ont un ministère
planétaire et sont des
figures charismatiques. Si Billy Graham est à ses
débuts un « entrepreneur indépendant
» jouant sur son charisme
personnel, alors que Jean-Paul II n'est que l'émanation
de l'institution, ce dernier conscient de la réticence de la
modernité au religieux institutionnel s'engage de plus en plus
dans le jeu du charisme personnel, tandis que le prédicateur
baptiste découvre la nécessité de l'institution
pour rendre visible le protestantisme à l'échelle
mondiale.
Là s'arrête la
comparaison : les institutions
de Billy Graham présentes sur les cinq continents regroupent
des évangéliques de diverses dénominations et
sont destinées avant tout à former laïcs et
évangélistes pour permettre à chacun d'avoir un
accès direct à son Dieu, par la lecture de la Bible et
sans qu'aucune médiation se substitue à
l'exégète. Billy Graham, inscrit dans la culture
protestante, est au fond bien plus une star qu'un pape, commente
Sébastien Fath. A moins de considérer, comme le disait
Boileau, que « tout
protestant est pape, Bible à la main »
...
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