Article
Cinéma
américain
7 mars 2003
« Le cinéma
américain entretient des liens particuliers, une relation
ambiguë et passionnante avec l'histoire [...] Contrairement à ce qui a longtemps
prévalu chez les historiens, il est donc de notre rôle
de prendre en compte la puissance de ses images qui ont
façonné la mémoire des Américains, la
nôtre aussi »,
écrit Jacques Portes professeur d'histoire
nord-américaine (Paris 8). D'autant plus,
remarque-t-il, que les metteurs en scène américains
sont convaincus depuis les origines - David Griffith est le
premier d'entre eux avec « Naissance d'une
nation » -, qu'ils
font oeuvre d'historiens, ce qui n'est pas le cas dans le
cinéma français à de rares exceptions comme Abel
Gance.
« Des pans entiers de
l'histoire des États-Unis sont plus connus par les films que
par les livres d'éminents historiens. Aux États-Unis
les cinéastes prétendent, comme Oliver Stone et son
film sur le président Kennedy J.F.K. (1991), que leur version
historique est aussi bonne que celle d'un spécialiste...
Qu'elle soit plus influente, concède l'historien, c'est
sûr ! Et d'ailleurs le succès de J.F.K a
été tel qu'il a abouti à l'ouverture des
archives de Dallas concernant l'assassinat de Kennedy, ce que
réclamaient en vain les historiens depuis des années.
Il n'est pas faux non plus, et cela complique le jeu, que dans
certains cas des films comme "Autant en emporte le vent" (1939,
guerre de Sécession), "Casabianca" (film de propagande
de 1942) ou plus récemment "Il faut sauver le soldat
Ryan" (débarquement en Normandie), aient un apport historique
non négligeable. »
Mais de toute
façon, qu'elles soient
conformes ou non à la « vérité
historique », l'important
pour le chercheur est que ces images reçues comme des images
véridiques alors même qu'elles sont très
élaborées, marquent le spectateur de manière
indélébile. A leur manière, elles fabriquent une
histoire parallèle à l'Histoire et donneraient raison
d'une certaine manière aux prétentions des metteurs en
scène...
Ainsi, le cinéma américain a-t-il imposé avec
le « western », abondamment traité par Hollywood
depuis 1903, une vision de la conquête de l'Ouest
américain, même si elle n'a pas grand chose à
voir avec la réalité historique « totalement ensevelie sous la
légende ».
Costumes, décors, situations, sont une création totale
devenue une histoire en elle-même et l'imaginaire
développé par le public américain comme
européen sur la conquête de l'Ouest est directement issu
du western. La narration cinématographique en a
été marquée et les films de guerre
représentant les conflits auxquels l'Amérique participe
emprunteront largement au western qui permet d'affirmer des valeurs
patriotiques et guerrières et un combat pour une
« cause
juste », à savoir
la victoire des valeurs démocratiques fondatrices des
États-Unis...
Il faudra du temps pour que le
cinéma américain
raconte autrement cette conquête de l'Ouest, comme dans
« Little Big
Man », inversion totale
par rapport à un western classique ou « Danse avec les
loups » qui n'est pas
dépourvu d'ambiguïté mais brise les codes du
genre.
« La puissance du
cinéma est indéniable et les historiens n'ont pas
toujours été entendus lorsqu'ils ont tenté un
travail d'explication sur cette conquête "coloniale" fortement
idéologique, brutale, du racisme qui l'accompagnait et du sort
terrible fait aux Indiens. Le western est un cas limite de
création d'une histoire
parallèle. »
Avec la présence d'un certain
G.W. Bush à la tête de
l'Amérique qui baigne dans
cette culture, en a les références et les expressions
et cultive l'image de cow-boy texan, n'est-ce pas le mythe de l'Ouest
qui ressurgit inlassablement ? Plus précisément,
qu'en est-il des liaisons du cinéma américain et de la
politique ? Si le Président actuel n'a pas de liens
directs autres que par l'utilisation du mythe, ses
prédécesseurs depuis les années 60 ont su
utiliser les ressources du cinéma et Hollywood se concilier
souvent leurs bonnes grâces.
La classe politique, la presse et l'élite intellectuelle
américaine n'hésitent pas à faire
référence au cinéma, note notre interlocuteur,
ce que l'on n'oserait jamais faire en France où l'on convoque
plus volontiers la culture littéraire classique pour illustrer
un discours, lancer un slogan électoral.
« Les Présidents
américains sont aussi très conscients et soucieux de
gérer au mieux leur image. John F. Kennedy, dont le
père était producteur de cinéma, l'avait fort
bien compris. Ayant baigné dans ce monde qui l'a laissé
ébloui, il a su utiliser les ressources de l'image tout au
long de sa carrière politique, en se mettant en scène
de manière permanente, comme s'il était son propre
producteur...
Il envisage toute sa vie politique comme un film et ses relations
avec Marylin Monroe disent son intimité avec Hollywood
- on se souvient de la scène hollywoodienne fameuse
où elle chante "Happy Birthday Mister President" lors d'une
soirée à Madison Square Gardens.
Pourtant, le cas extrême de symbiose entre le cinéma et
le monde politique demeure Ronald Reagan. L'un des acteurs de
Hollywood les mieux payés de son époque avant de faire
une longue carrière politique (deux fois gouverneur de
Californie puis deux mandats à la présidence), il
gardera son surnom, "The Gipper", d'un rôle tenu au
cinéma... Avec sa femme Nancy, ancienne actrice,
s'achève la mutation de l'homme politique en acteur,
clé de sa popularité : on aime ce personnage
familier et chaleureux dont les actions tirent peu à
conséquences. Comme s'il faisait "du cinéma" ! Les
Européens n'ont pas compris ou pas admis cette connivence des
Américains avec un ancien acteur. »
Bill Clinton, qui a de nombreux liens
avec des acteurs et baigne dans
cette culture cinématographique, fournit un autre type de
président « hollywoodien » et attache une importance extrême à son
image. D'ailleurs, pour la première fois dans l'histoire du
cinéma américain, le film « Primary
Colors » mettra en
scène la vie d'un Président en exercice et de sa femme
(les Clinton) avec le mimétisme étonnant de John
Travolta. Jacques Portes relève encore l'enracinement dans
l'actualité du cinéma américain.
« Il y prend directement
nombre de ses sujets et depuis les années 20, les studios
américains avaient assez d'argent pour payer de très
bons écrivains et scénaristes professionnels qui
adaptaient avec créativité et
originalité - ce n'est plus vrai actuellement
où les studios tirent leurs profits de films à grand
spectacle avec effets spéciaux et scénario indigent,
véritables produits industriels ciblés à partir
d' études de marché... Cette actualité qui
nourrissait le cinéma explique qu'il ait été
traversé par tous les événements sociaux et
politiques depuis sa naissance et qu'il s'en soit emparé, pour
le meilleur ou pour le moins bon. »
C'est ainsi que Hollywood accompagne la
guerre froide et la chasse aux
sorcières au temps du maccarthysme, célèbre la
démocratie américaine et ses institutions et se plie
à la censure qui depuis une décision de la Cour
suprême de 1915 a ôté à ce puissant
médium de masses la garantie de la liberté d'expression
au nom de son influence morale :
« La censure est
inséparable du cinéma américain et les
producteurs ont inlassablement tenté de la contourner, de la
négocier ou de pratiquer l'autocensure pour ne pas tomber sous
le coup de la critique politique ou morale. Le PCA (Production Code
Administration), bureau de l'autocensure des studios ne
disparaîtra qu'en 1966. Mais... les citoyens
américains ont très tôt donné leur opinion
sur les films. Ils ont su faire pression pour l'instauration d'une
censure et manifester de manière spectaculaire contre des
films qui les choquaient ou donnaient une mauvaise image
d'eux », constate Jacques
Portes.
Lorsque le système s'est
libéralisé, les films
ont fait l'objet d'une attention renouvelée de la part des
communautés ethniques, sexuelles. Des Églises aussi,
à la pointe du combat pour la censure. Alors que le lobby
cinéma était presbytérien, les producteurs pour
la plupart juifs, le code de censure fut rédigé par un
jésuite ! Un code reflétant une morale moyenne
fait d'éthique familiale et de conservatisme politique que
partageaient les protestants américains.
Si la liberté d'expression prévaut à partir
de 1951, les catholiques intégristes rejoints par des
protestants fondamentalistes tentent en 1988 de faire interdire
« La dernière
tentation du Christ » de
Martin Scorcese.
« Ces protestations
témoignent surtout de la vigueur du sentiment religieux parmi
les Américains et les producteurs font tout pour se
prémunir contre d'éventuels remous. Preuve de la
puissance sociale du cinéma. »
« Histoire et cinéma aux
États-Unis »,
Jacques Portes, Le dossier n°8028, La documentation
Française
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