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Lolitas en kiosques
la presse des 6 - 12 ans
« Lolitas » hypersexy, brouillage
des genres dont le marketing se joue, ni enfants ni adultes,
malaise : est-ce un mouvement de fond ou de mode ? Une
plongée dans la presse fillette (5 - 12 ans) donne
quelques clés de compréhension et quelques
questionnements supplémentaires...
20 juin 2004
La presse
fillette ? Au kiosque à
journaux les couvertures colorées s'offrent sous plastique
transparent avec un gadget très prisé (pendentif,
tongs, perles, etc.). Une dizaine de titres mensuels dont
Julie, Manon,
Princesse, Les p'tites sorcières, Les P'tites
princesses, Barbie Magazine,
occupent le créneau - certains comme Manon (
6 - 8 ans) ou Julie
(8 - 12 ans) tirent respectivement à
80 000 et 140 000 exemplaires. Si la presse fillette
n'est pas un phénomène nouveau, elle paraissait
déjà au début du XIXe siècle,
elle s'était absentée des années durant. Pour
mille raisons, dont le féminisme et la mixité
obligatoire des années 70 ne sont probablement les
moindres. A l'époque, n'aurait-on pas pris pour une
provocation l'appel évident à des valeurs
« féminines », même s'il est plus subtil que dans les
Lisette, La Semaine de
Suzette ou Bernadette de
naguère ?
La presse fillette
d'aujourd'hui est, ,sans état
d'âme, réservée aux filles, promeut un univers de
filles dont les garçons sont les grands absents. Mais la
différence avec les ancêtres ne tiendrait-elle pas dans
cette autonomie qu'on encourage les jeunes lectrices à
revendiquer, dans cette exigence de reconnaissance de leurs
goûts, de leurs stars, de leurs marques, un mouvement dans
lequel les adultes sont entraînés, consentants ou
non !
Autre différence
essentielle : ces fillettes
apprennent très tôt à gérer les relations
avec les copines et avec... les copains de coeur (les garçons
n'existent généralement que dans cette relation). Et
surtout à mesurer leur séduction. Il faut plaire,
plaire encore et cette presse joue à fond sur l'apparence :
conseils donnés pour
« personnaliser son look », vêtements recommandés - des pages
de publicité pour des vêtements de marque chers,
même si dans la partie rédactionnelle on balance le
conseil opposé : attention ne dépense pas
futilement, ne t'attache pas aux marques, l'apparence n'est pas le
seul critère pour être bien avec les
copains !
Dès 6 ans on trouve
aussi la bonne vieille rubrique
courrier - courrier du coeur compris -, lieu de
balbutiements des soucis amoureux - « Je suis amoureuse mais je ne sais pas
s'il m'aime » - des
disgrâces physiques, du souci de l'apparence qui trahit
l'inquiétude de ne pas être conforme. Le
stéréotype « minceur » se glisse
déjà au travers de conseils : tu es ronde, tu es
mince, choisis tel vêtement, ne grignote pas... Le
courrier a pour fonction évidente de relier les
lectrices mais ne donne-t-il pas en même temps au magazine
l'autorité du savoir sur les conduites à tenir ?
Les parents dont on sait qu'ils contrôlent très peu ou
pas du tout ces lectures, comme le contenu des jeux vidéo des
garçons d'ailleurs, devraient y être attentifs.
Si l'on ne trouve plus les
stéréotypes sexuels classiques (ménage, cuisine, enfants) la fillette est
bien modélisée, formatée pour un univers
féminin convenu où elle navigue d'interviewes de stars
en reportages sur un métier « social », de rubriques animalières à celles de
bricolage, récurrentes celles-là et toujours
connotées intérieur : décoration de la chambre, cadre pour
ses photos, déguisements, en journal intime fortement
valorisé - une expression de soi qui n'est jamais
proposée qu'aux filles.
« Finalement, explique Corine Destal de l'université de
Bordeaux qui a travaillé sur cette presse, les filles telles qu'on les montre dans la presse
fillette correspondent à l'image de la femme moderne en
miniature. On leur insuffle déjà qu'il faudra "assurer"
sur tous les plans sans omettre cette touche de frivolité et
de superficialité en même temps que de modération
si "typiquement" féminines. Ce qu'on attend des filles ?
Qu'elles contrôlent tout, les garçons étant
largement dévalorisés dans cette
presse »
Signe de régression de la cause
des femmes que cette presse fillette
centrée sur un univers hyperféminisé ?
« En tout cas très
frileuse, peu novatrice, dangereuse lorsqu'elle encourage finalement
les adultes à cautionner les relations "amoureuses" de leurs
filles dès l'école primaire ! Prépare-t-on
des objets sexuels pour demain ?
Et des lectrices de la presse féminine plus que du "Monde" ou
de "Libération" » ?
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