Article
Paradis
verts
Résidence secondaire
à la campagne
6 mai 2003
Ah ! Le retour au pays, la
nostalgie des origines, des
traditions, des fêtes, le ressourcement « authentique » au plus proche de la nature... Le désir de
campagne se décline en France sur tous les tons... Un discours
nourri de clichés au regard des motivations réelles du
désir de campagne aujourd'hui.
Que signifie « aller
à la campagne » ? De quelle nature, de quelle vie de village, de quel
désir de terre, de pierre, de racines s'agit-il, alors que
notre pays se découvre, après l'avoir longtemps
nié, comme une société urbanisée
(10 % seulement de Français vivent directement du monde
agricole) ?
Double discours : en même temps qu'une campagne
différente naît, sous nos yeux, autour de nos villes,
que nous tissons d'autres rapports de citadins avec elle, nous
paraissons toujours faire difficilement notre deuil de nos fantasmes
opiniâtres de campagne idéalisée, « sanctuarisée ».
Pourquoi ? L'anthropologue
Jean-Didier Urbain1 pointe le
fait que les géographes ne sont même pas d'accord entre
eux pour la définir ! Une terre sans rivage ? Sans
montagne ? Sans ville ? Pour nombre de nos compatriotes, la
campagne c'est le sentiment d'éloignement, positif ou
négatif, le « non-urbain », le pays du « rien », associé à beaucoup d'ennui... ou un
discours politiquement correct, régionaliste, identitaire sur
le « vrai
pays », les valeurs
retrouvées ; c'est la campagne d'un tableau de Millet ou
l'irrésistible église de village d'une certaine affiche
électorale du candidat Mitterrand... Et pourtant, cet
« éclatement des
villes sur la campagne »
existe bel et bien et l'on compte plus de 3 millions de
résidences secondaires recensées comme telles, sans
parler du phénomène de « cabanisme » et autres caravanes implantées à
longueur d'années dans un camping, ce qui double probablement
ce chiffre officiel.
« Aller à la campagne a
donc un sens et ce n'est en tout cas pas le monde perdu du
passé que l'on vient y chercher ! Lorsqu'on pose la
question des motivations profondes du "désir de campagne", ce
n'est ni la santé, ni l'air pur et la nature (1 %), ni
les contacts avec les gens du pays (1,2 %) qui sont
invoqués ! Par contre le silence, le calme, être
entre soi en famille, sont des motifs forts.
Paradoxalement, on aime une campagne vide, c'est notre "désert
de proximité", et ce vide est le signe d'une renaissance. Nous
nous sommes réinventés un espace vacant autour des
villes, où comme Robinson sur son île nous pouvons
redécouvrir un temps à nous, le maîtriser sans
être astreint à des rythmes sociaux, nous inventer des
isolats temporels, être maître du monde derrière
la haie doublant le grillage de son jardin. D'où la relation
généralement a minima du résident secondaire
avec les autochtones. »
L'anthropologue remarque que, contrairement à l'Angleterre,
urbanisée dès la seconde moitié du
XIXe siècle, le mouvement d'urbanisation ne touche
la France qu'à partir des années 1930.
« La campagne
française se "britannise" alors, si l'on peut dire, sans
épaisseur sociale, sans paysans ; ce n'est plus un lieu
de production mais un lieu d'agrément, un jardin
esthétique, paysager. Et c'est bien là le désir
réel du résident secondaire : l'esprit qu'il
insuffle à son "domaine", il veut qu'il déborde et
inonde son environnement. Que toute la campagne soit à l'image
de son jardin, ni troublée, ni souillée par la
production et l'agriculteur un jardinier-paysagiste dont on attend
qu'il est une conscience non seulement écologique mais
esthétique. D'où ces innombrables procès
où des résidents secondaires attaquent le chant d'un
coq trop matinal à leur goût, l'odeur des vaches des
voisins paysans ou encore le son des cloches de l'église du
village. On voit bien que la campagne et la nature recherchées
ont peu à voir avec la
réalité ! »
Lorsqu'on consulte les
études, les enquêtes
sur le tourisme vert, les gîtes ruraux, les chambres
d'hôtes, on constate que la campagne en tant que destination
touristique est peu attirante, que l'agrotourisme ne concerne que
2 % des agriculteurs et que le désir de nature s'est
déporté vers la mer ou la montagne, vécues comme
une rencontre avec le
« naturel ». Le
désir de culture a investi les villes, on fréquente les
parcs à thèmes, animaliers, à condition qu'ils
soient proches d'une agglomération. Que reste-t-il de
particulier à la campagne qui la rende attirante (60 %
des résidences secondaires s'y trouvent et le marché
progresse) ?
Jean-Didier Urbain répond que « c'est le vide qui en fait son attrait, un
lieu de dispersion, contrairement à la concentration des
villes, de la mer ou de la montagne. Un lieu où l'on peut
surprotéger sa vie privée, d'où le peu
d'empressement des résidents secondaires à
échanger un esprit de quartier contre un esprit de clocher,
à se mêler des affaires locales ! Les
résidents secondaires se placent dans une relation
d'abstention sociale et politique. Le phénomène
"secondaire", le dédoublement, induit un flottement social qui
fait qu'on ne se sent plus impliqué nulle
part. »
Le « rurbain » est un
véritable polygame résidentiel, vivant en ville mais aimant le calme, le vide et
rêvant d'un monde à lui, d'une vie alternative en
contrepoint. Il va trouver à la campagne ce sentiment
d'éloignement confortable sans aller très loin... Et
dans son nomadisme permanent entre la ville et son « paradis vert » où il disparaît momentanément,
on l'aura compris, la vie villageoise, le retour à la terre ne
le préoccupe guère, sinon à cultiver et à
jouir de son propre jardin.
1.
« Paradis verts.
Désirs de campagne et passions
résidentielles »
Payot
La plage
n'attire plus autant qu'avant
« Depuis son invention comme
loisir de masse dès le XIXe siècle,
on a moqué, raillé, critiqué,
méprisé cet usage [vacancier] du bord
de mer, note Jean-Didier Urbain1 [�] La plage est
ainsi. Elle répugne, mais on y va tout de même. Il est
donc de bon ton de dire qu'on n'y va pas ou "à cause des
enfants".
Histoire ancienne, il n'en reste pas moins que la plage a
triomphé de la campagne et que ses jours ne sont pas en
danger. Un Français sur 400 y allait
en 1900 ; 1 sur 40 s'y rendit en 1936 ;
1 sur 4 aujourd'hui ».
Depuis la fin des
années 90 le destin de la plage est sans conteste triomphant et
celui de la campagne déclinant : selon le CREDOC (Centre
de recherches pour l'étude et l'observation des conditions de
vie), à l'été 1996 et 1997,
47,6 % des vacanciers français sont allés au bord
de la mer, 18,1 % à la montagne et seulement 14, 4 %
vers une autre région de France, malgré tous les
reportages enthousiastes sur la France profonde et l'attrait d'une
nature
« authentique ».
D'où vient aussi l'idée
reçue et resservie chaque
année à la fin du printemps que le tourisme vert et
autres séjours à la ferme sont dans l'air du
temps ? La tendance lourde, année après
année est bien à la désaffection
vacancière des campagnes... pour un voyage immobile,
« dos au monde, au bord du
vide et de l'immensité ». Sur la plage.
1. « Les vacances »Jean-Didier Urbain,
Le Cavalier bleu, col. Idées
reçues, 126 p.
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