Article
Médicaments et
religions
9 janvier 2002
Dis-moi si tu es juif, protestant,
catholique ou musulman et je te dirai ce que tu fais de ton
ordonnance, comment tu te comportes vis-à-vis de
l'autorité médicale, si tu prends des
« tranquilisants », quel est ton rapport au
corps.
C'est sur l'idée (absente des recherches habituelles) que la
dimension culturelle et religieuse modèle les individus et
imprègne leurs conduites quotidiennes que Sylvie Fainsang
s'est lancée dans sa recherche ethnologique.
« Je me suis posé la
question de l'influence, très souvent inconsciente d'ailleurs,
de notre origine religieuse sur notre manière d'être.
Au-delà des comportements universels, d'autres comportements
sont à mettre évidemment en relation avec l'origine
religieuse. Un protestant, un catholique, un juif ou un musulman (les
quatre groupes étudiés) présenteront chacun des
constantes communes avec leur groupe culturel de
référence, qu'ils soient par ailleurs croyants ou
incroyants - ils peuvent avoir pris leurs distances avec la
religion, ils auront des conduites issues de leur éducation,
une empreinte culturelle spécifique. »
Sylvie Fainsang remarque aussi de
manière surprenante :
« On pourrait s'attendre
à ce que catholiques et protestants aient de nombreux points
communs puisque issus du christianisme et qu'il en soit de même
pour les juifs et les musulmans. Or, au contraire, juifs et
protestants se rapprochent considérablement dans nombre de
conduites, comme le font aussi catholiques et
musulmans ! »
L'ordonnance
Exemple ? Que fait-on d'une
ordonnance, cette feuille de papier
sur laquelle le médecin a inscrit le traitement de son
patient. A priori, on ne voit pas pourquoi un protestant se
comporterait autrement qu'un catholique, ou un juif qu'un musulman.
Et pourtant, répond l'ethnologue, les comportement sont
multiples :
« Lorsque les patients
catholiques décident de conserver leur ordonnance, c'est avec
le souci de pouvoir ultérieurement montrer au médecin
le traitement suivi précedemment. Chez les protestants,
l'ordonnance est rarement conservée, mais par contre elle est
recopiée dans un cahier avant d'être jetée, avec
l'idée de pouvoir s'y reporter au cas où l'on voudrait
recourir au même traitement. »
Alors pourquoi ne gardent-ils pas
l'ordonnance ?
« Probablement par
volonté de supprimer l'intermédiaire pour s'approprier
l'acte de prescription. Au-delà de la prise en charge de son
traitement, il y a évidemment la prise en charge de son propre
corps, le désir de gérer soi-même la situation,
alors que du côté catholique et musulman, le patient se
dépossède de son propre corps qu'il livre au
médecin, il se soumet beaucoup plus à l'autorité
médicale - comme à l'autorité en
général ».
Plus surprenant encore, les protestants brûleraient l'ordonnnance
dans la cheminée,
« L'explication
fonctionnelle ne dit pas tout ! Brûler n'est pas anodin,
il y a une valeur purificatrice dans ce geste, d'autant que les
autres papiers sont simplement jetés dans ces mêmes
familles. Probalement aussi le souci de ne pas laisser traîner
d'informations sur son corps, une grande pudeur. D'ailleurs, lorsque
j'ai fait mon enquête dans les familles, celles d'origine
protestante étaient beaucoup plus réservées et
montraient beaucoup moins facilement leurs ordonnances que les
catholiques beaucoup plus prompts à parler de leur
corps. »
Autre remarque, faite dans le milieu
musulman : certains attribuent
une valeur thérapeutique à l'ordonnance
elle-même. Ainsi, un homme souffrant du coeur qui avait
reçu une ordonnance de son cardiologue l'avait placée
sous sa chemise, comme il y aurait placé un objet
thérapeutique portant des versets coraniques dans une
thérapie tradionnelle.
Sylvie Fainzang s'est aussi intéressée au rangement de
l'ordonnance qui va de pair, dit-elle avec celui des
médicaments et présente, là encore, de grandes
différences entre catholiques et protestants : les
patients catholiques utilisent l'espace domestique collectif (buffet,
table, tablette de salle de bains) alors que les protestants les
rangent dans un espace « super
privé », intime. De
même, les catholiques conseilleront plus facilement à
d'autres de prendre un médicament qu'ils ont jugé
efficace ou conseilleront au médecin de le prescrire à
leur conjoint qu'ils accompagnent à la consultation alors que
les protestants considèrent que chacun doit avoir son
traitement et que les consultations se font rarement à
deux.
« L'expérience
individuelle, personnelle prime chez les protestants. Ainsi lorsqu'il
s'agit de suivre les prescriptions, les protestants qui ont un esprit
très critique, et valorisé par leur culture, vont
être beaucoup plus enclins à décider de ne pas
suivre telle ou telle prescription qu'ils jugent ne pas leur
convenir. Et ils le diront volontiers au médecin. Les juifs
agissent de même, discutant sans fin, posant des questions au
médecin - on questionne constamment son rabin, pourquoi
pas son médecin ? En revanche les catholiques garderont
une attitude extérieurement plus soumise, de peur de
mécontenter l'autorité médicale, même si
en réalité ils ne suivent pas la prescription !
Quant aux musulmans ils ne disent jamais qu'ils ne suivent pas le
traitement... »
Pour les mêmes
raisons, l'automédication est
une pratique protestante, dans un souci de se prendre en charge,
comme le recours à l'homéopathie avec dans ce cas une
dimension à la fois de remise en cause de l'aspect commercial
de la médecine officielle et de souci écologique, alors
que dans les familles juives qui ont aussi recours à ce type
de médication, on considère l'être dans sa
dimension holistique.
Une dimension qui joue aussi pour le choix du médecin, le
visage se révélant presque aussi important que les
compétences...
La consommation de
psychotropes vis à vis de
laquelle les protestants se montrent beaucoup plus réticents
que les autres groupes relève encore de ce souci de ne pas
être dépendant, de la peur de ne pas être
soi-même alors que pour les juifs elle est liée à
la crainte de perdre la mémoire, en relation avec l'injonction
biblique faite aux fidèles juifs de se souvenir (le verbe
« se
souvenir » apparaît
169 fois dans la Bible). Le souvenir, valeur cardinale de la
culture juive.
« La mémoire est
constitutive aussi d'une identité protestante, mais la
volonté prime de ne pas s'assujetir, de rester maître de
soi que l'on retrouve dans la gestion de la santé chez les
protestants. »
Comme l'attitude devant la
douleur avec une prégnance en
France de l'idéologie doloriste catholique encore forte
aujourd'hui chez les patients et dans le corps médical alors
qu'elle n'est nullement valorisée dans la théologie
protestante ni juive où « le corps doit bien fonctionner pour mieux
servir Dieu » la seule
considération étant les effets du traitement sur la
mémoire ou sur le c�ur, lieu d'où la penséede
l'homme s'élève vers Dieu pour les musulmans.
« En fait, sans enfermer
les individus dans leur appartenance culturelle, on peut noter que
croyants ou non, ils ont tendance à avoir des comportements
communs à l'intérieur des divers groupes. Par exemple,
avec leur médecin, représentant de l'autorité
médicale, ils ont une relation qui s'aligne sur celle que
traditionnellement les croyants ont avec l'autorité religieuse
du groupe ».
.
Luthériens ou
réformés
Aucun groupe n'est
homogène et à
l'intérieur de ces groupes il existe des traditions diverses.
Les protestants n'y échappent pas. Ainsi, Sylvie Fainzang
décèle des différence entre luthériens et
calvinistes. Les luthériens ont par exemple des attitudes
à l'égard de leur médecin, auquel ils accordent
une plus grande importance, ou de leurs ordonnances, qui sont plus
proches des catholiques que des calvinistes.
Influence de l'aire culturelle germanique dont ils sont pour la
plupart originaires ? Ou plutôt écho de la
différence sur le plan doctrinal ? En tout cas, le refus
de l'autorité ou une soumission moindre, politique comme
médicale... ou pastorale, serait plus fort chez les
réformés que chez les luthériens et plus fort
encore chez les réformés cévenols...
.
L'enquête a duré cinq
ans, dans l'Hérault et le
Gard, en milieu rural et urbain, auprès de malades, de
familles de malades, de médecins, d'infirmières, de
prêtres, rabbins, pasteurs, imams, d'aumôniers
d'hôpitaux...
« Médicaments et
société »,
Sylvie Fainzang, PUF collection Ethnologies Controverses
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