Interview
La mafia
une puissance
économique
Interview de
Clotilde
Champeyrache
docteur en économie et
maître de conférence à Paris 8
par Claudine
Castelnau
à la radio Fréquence
protestante
23 février 2005
Claudine Castelnau. Au terme de « mafia », les
mafieux préfèrent, dit-on, le terme de « cosa
nostra » (notre chose).
Clotilde Champeyrache. On utilise dans tous les pays ce terme de
« mafia », mais il ne faut pas le confondre avec
celui de « criminalité organisée ».
La mafia est une forme spécifique de criminalité
organisée, s'appuyant sur une association qui survit de
manière durable en Italie du Sud et notamment en Sicile. Elle
se sert de la violence ou même de nos jours de la seule menace
de la violence. Elle infiltre aussi bien les activités
illégales que les activités strictement légales.
C'est l'une de ses particularités.
Claudine Castelnau. On parle beaucoup de la mafia, le cinéma, la
littérature en donnent une image parfois romantique.
Néanmoins on n'a jamais étudié
sérieusement les conséquences de son activité.
Vous êtes vous-même allée chercher l'information
dans les comptes-rendus de procès, vous avez lu les rapports
de la Confédération des commerçants de Naples
vous avez cherché à étudier ce qui se passe
concrètement sur le terrain.
Clotilde Champeyrache Le problème qui se pose est celui de l'
« omerta », le silence : celui qui parle est
le « traître »,
« l'infame » comme on dit. De plus la population
est véritablement dépendante de la mafia, ce qui fait
qu'il faut du courage voire de la folie pour dénoncer la
mafia.
La mafia est aussi l'organisation criminelle secrète qui
fournit du travail en Sicile notamment mais aussi à Naples,
en Calabre. C'est pourquoi il est très difficile d'avoir des
informations.
En tant qu'économiste j'ai cherché de ce
côté : on n'y trouve pas grand chose. Au
début des années 1990 des efforts ont
été faits en Italie mais ils sont retombés.
Aux États-Unis des travaux ont été faits qui ne
traitent pas spécifiquement de la mafia mais en
général d'activités criminelles.
J'ai trouvé des informations sûres et qui ne sont pas
simple on-dit chez les sociologues, chez les historiens et chez les
politologues et dans les minutes des procès.
Claudine Castelnau. Vous rappelez la loi Rognoni-La Torre qui a permis
notamment la confiscation des biens de mafieux.
Clotilde Champeyrache. Elle permet effectivement la confiscation de tous les
patrimoines mafieux, y compris les entreprises. Cette loi est
très importante. Elle a été votée
en 1982, suite à l'assassinat du député Pio
La Torre. On a vu apparaître des entreprises tout à
fait légales mais qui sont de propriété
mafieuse, ce qui montre bien que la mafia ne se limite pas à
la contrebande de cigarettes, à la drogue et à la
prostitution mais est présente dans des secteurs comme celui
du bâtiment, le tourisme, l'agriculture et tous les secteurs
économiques vitaux de Sicile.
Claudine Castelnau. Pourquoi cette envie d'accumuler richesses et
pouvoir, quand on considère que les mafieux n'ont pas de vie
ostentatoire : les mafieux ne s'étalent pas avec de
grosses voitures, des maison somptueuses et des bijoux de toutes
sortes et des femmes entretenues sur un grand pied.
Clotilde Champeyrache. Un sociologue allemand, Henner Hess, a dit que
c'était précisément cela qui distinguait le
mafieux du gangster. Le mafieux n'affiche pas sa richesse. Au
contraire. Souvent il vient d'une classe pauvre et veut se poser non
pas tellement en personnage riche mais plutôt en juge de paix,
en personne respectable de la société locale.
Claudine Castelnau. C'est ce qu'on appelle un « homme
d'honneur ».
Clotilde Champeyrache. C'est l' « homme d'honneur » qui
remplace l'État et s'efforce donc de se présenter comme
inséré dans la société sans être
pourtant considéré comme écrasant. Beaucoup de
repentis diront n'avoir pas été très riches et
avoir abondamment redistribué l'argent gagné, ce qui
doit être en partie vrai dans la mesure où nombreux sont
ceux qui vivent de l'assistance mafieuse, y compris les mafieux
pauvres et qui bénéficient en prison de cette
assistance.
Claudine Castelnau. Est-ce un côté Robin des
Bois ?
Clotilde Champeyrache. C'est effectivement ce côté Robin des
Bois qui a fait de la mafia un mythe que l'on retrouve notamment au
cinéma.
Claudine Castelnau. Cette redistribution ne se fait pas à
n'importe qui.
Clotilde Champeyrache. Bien sûr. Elle permet à la mafia de se
perpétuer. Il s'agit d'un système social et
dévoyé. La redistribution sert aussi à se
concilier la population. Lorsqu'une enquête demande à
quelqu'un en Sicile s'il serait gêné que son patron soit
un boss mafieux, on obtient à 70 % la
réponse : « Non ! pour moi l'essentiel est
d'avoir un travail ».
Claudine Castelnau. J'ai entendu dire à Catane : c'est la
mafia qui m'a permis d'obtenir une place au cimetière pour mon
vieux père, une place dans une maison de retraite pour ma
vieille mère, un travail pour moi.
Clotilde Champeyrache. C'est là le rôle médiateur de la
mafia. Ces places au cimetière et dans une maison de retraite
n'ont pas été créées par la mafia ;
celle-ci se pose en intermédiaire qui en réglemente
l'accès. Ces places auraient parfaitement pu être
attribuées selon des critères normaux en l'absence de
la mafia.
Claudine Castelnau. La conférence de l'ONU de
décembre 2000 a donné une définition
officielle du délit d'association mafieuse.
Clotilde Champeyrache. Le terme de mafia ne doit pas être
galvaudé. Néanmoins il ne s'applique pas qu'à
l'Italie du sud. 124 pays sont signataires de cette
définition qui désigne une réalité que
l'on retrouve dans d'autres pays : elle mentionne la force du
lien associatif, de l'intimidation, de la violence et la
volonté de participer à l'économie légale
et illégale.
Ce dernier point est important. On a l'impression que parce que la
mafia a infiltré l'économie légale elle se
légitimerait et disparaîtrait d'elle-même en
abandonnant progressivement ses activités illégales
pour ne plus faire que du légal qui lui paraîtrait plus
rentable et plus sûr. Mais ceci est loin d'être la
réalité.
Claudine Castelnau. Vous dites que les organisations mafieuses sont des
formes particulières de criminalité organisée
dans de nombreux pays.
Clotilde Champeyrache. Une « organisation mafieuse » est
ce lien associatif dans la durée qui fournit une sorte
d'alternative dévoyée à l'État,
fonctionne avec ses règles propres, recourt à la
violence, possède une hiérarchie et se livre à
des activités légales et illégales.
Claudine Castelnau. La hiérarchie caractéristique de la
mafia sicilienne est moins présente dans le cas de la camorra
napolitaine.
Clotilde Champeyrache. Lorsque je mentionne une hiérarchie, il ne
s'agit pas forcément d'une « coupole »
sous laquelle les responsables mafieux se réunissaient.
L'existence d'une telle coupole a d'ailleurs été
contestée. Certains repentis en parlent alors que d'autres
disent que cela n'a jamais existé.
La mafia, ce sont des « familles » qui
momentanément font des alliances entre elles. La
hiérarchie est interne à ces familles. Ces alliances se
recomposent ce qui provoque les mouvements violents que l'on constate
en ce moment à Naples. Des clans prennent le pouvoir au
détriment d'autres de manière extrêmement
violente : ces derniers temps, la mafia connaît plus de
morts dans ses propres rangs du fait de ses règlements de
compte qu'elle n'en tue à l'extérieur
d'elle-même.
Claudine Castelnau. Que peut-on dire d'autres mafias, comme celle des
Pouilles ou de celle de Sardaigne ?
Clotilde Champeyrache. En Sardaigne on parle plutôt de
« brigands ». Le mouvement sarde se situerait
moins dans la recherche du pouvoir. Ce sont plutôt des gens
marginalisés. La mafia sarde n'a pas la tendance
traditionnelle de la mafia sicilienne de se lier à la classe
politique italienne afin de l'influencer.
Par contre dans les Pouilles et la Basilicate, deux régions
épargnées jusqu'ici par le phénomène
criminel, on constate l'émergence d'associations de type
mafieux. Ce qui est surprenant est qu'elles apparaissent dans les
Pouilles et en Basilicate qui sont deux régions très
pauvres, contrairement à la Sicile où la mafia
apparaissait dans les régions les plus riches.
En Sicile naissent d'autres mouvements comme la
« stidda » (l'étoile) dont on a peur et
dont on ne sait pas encore comment elle va se positionner par rapport
à la mafia. On peut s'attendre à des mouvements
violents comme chaque fois que deux groupes entrent en
concurrence.
Un chant calabrais traite de l'omerta, la
loi du silence. Elle fait partie d'un album de chansons populaires
interdit en Italie dans la mesure où il incite à la
violence en faisant l'apologie de la mafia.
Pendant que la carabine
chante
Le « traître » hurle et meurt
Cette loi dure et amère
Brise le coeur du « traître »
Personne ne voyait ni ne savait rien
Celui qui se tourne vers Dieu
Honore les saints.
Coupable ou innocent
Personne n'a rien dit
Omerta, omerta, telle est la loi de notre société
Des lois qui ne pardonneront jamais
Ceux qui ont rompu les règles du silence.
Claudine Castelnau. Parlons de l'importance économique de la mafia
que vous avez plus précisément
étudiée.
Clotilde Champeyrache. Je me suis intéressée à
l'infiltration de la mafia dans l'économie légale et
j'ai essayé de comprendre pourquoi on en parlait si peu. J'ai
notamment travaillé à partir des procès de
mafieux. J'ai pu identifier deux modalités de
pénétration de la mafia dans des entreprises
légales.
D'une part la mafia elle-même peut créer une
entreprise ; d'autre part, ce qui est plus subtil et se
répand de plus en plus, la mafia s'empare d'une entreprise
légale déjà existante et ayant une bonne
réputation. Elle pénètre dans le capital et
transforme l'entreprise en entreprise mafieuse.
Claudine Castelnau. Vous donnez deux exemples que vous avez trouvé
dans les procès où ce mécanisme a
été démonté. Une entreprise napolitaine
de travaux publics que l'on voit avec ahurissement se vider
progressivement de ses capitaux et son personnel remplacé par
des mafieux.
Clotilde Champeyrache. C'est bien la dangerosité de la mafia dans
l'économie légale d'être un
phénomène qui peut passer complètement
inaperçu. Dans le cas particulier que vous citez il s'agit
d'une entreprise qui avait très bonne réputation sur le
marché de Naples. Elle a commencé à
connaître des problèmes sur les chantiers : du
matériel cassé, des incendies, sans que l'on sache
exactement ce qui s'était passé. Le responsable de la
société s'est trouvé en difficulté
financière. On lui a proposé de s'engager dans un
consortium pour traiter une importante commande publique. Il devait
pour cela apporter des capitaux qu'il ne possédait pas. Comme
par enchantement on lui a présenté un ami qui avait
justement une somme importante qu'il ne savait comment utiliser et
qu'il acceptait de prêter. Ce personnage était
évidemment envoyé par la mafia. Il a progressivement
pris toute la place, a remplacé les administrateurs, mais a
conservé sa place au directeur qui lui était utile
à cause de sa réputation de probité et de son
carnet d'adresses.
Claudine Castelnau. Vous dites dans votre livre que pour accéder
aux marchés publics il est nécessaire d'avoir une bonne
réputation ce qui était le cas de ce directeur.
Clotilde Champeyrache. Le marché des travaux publics a
été une manne financière considérable
pour la mafia d'Italie du sud dans les années 1970-80,
notamment lors du tremblement de terre de Naples de 1981
où il a fallu tout reconstruire et où la mafia s'est
emparée de quasiment tous les marchés.
Claudine Castelnau. Il y a encore des Napolitains pour lesquels rien n'a
encore été reconstruit si longtemps après et qui
vivent toujours dans des préfabriqués
provisoires.
Clotilde Champeyrache. Ceci est tout à fait vrai. L'argent des
subventions a bel et bien été distribué et s'est
évaporé en cours de route.
La mafia dispose d'observateurs surveillant le tissu productif local,
observant les entreprises de bonne réputation qui peuvent
connaître des difficultés de trésorerie et qui
sont chargés de prendre contact avec elles pour leur proposer
une aide (intéressée).
Claudine Castelnau. Vous parlez de l'usure et du racket.
Clotilde Champeyrache. L'usure consiste à suppléer le
système bancaire italien qui est fragile et dont les
prêts sont aléatoires, notamment dans le Sud, surtout
pour les non-mafieux.Ce système de blanchiment d'argent sale
est très répandu en Italie du sud.
Le racket permet de mélanger de l'argent propre et de l'argent
sale jusqu'à ce que personne ne puisse plus tracer une
frontière nette entre ce qui est légal et ce qui ne
l'est plus. Une activité légale étant conduite
par un criminel, la mafia devient ainsi impossible à
identifier.
Claudine Castelnau. Concrètement, vous dites que 15 % du
produit intérieur brut italien est produit par les entreprises
légales-mafieuses.
Clotilde Champeyrache. Certes l'argent circule donc et de la richesse
légale est produite. Mais les entreprises dominées par
la mafia ne sont pas efficientes, la mafia freinant leur
compétitivité et leur efficacité.
Claudine Castelnau. Vous dites aussi que l'on dispose d'une information
abondante de la part de la Justice, du ministère de
l'intérieur, de la société civile. Mais si on
sait tout cela, pourquoi ne peut-on pas éradiquer la
mafia ?
Clotilde Champeyrache. Il est vrai que la mafia est très connue. En
Sicile on connaît le nom des mafieux. La population a
adressé ce reproche aux politiciens venant faire leurs
discours anti-mafia : « Puisque tout le monde sait le
nom des mafieux, arrêtez-les et le problème sera
résolu ». Mais juridiquement on ne peut pas
arrêter une personne sur sa seule réputation. D'autant
plus qu'elle a sans doute une importante couverture politique.
On le sait notamment par les confessions des repentis. Mais on se
souvient que le premier de ces repentis, Leonardo Vitale, s'est fait
assassiner en 1973, par la mafia car la police avait
oublié de le protéger.
Claudine Castelnau. Il y a eu une campagne anti-mafia mise en place dans
les années 1980 et on a eu une impression
d'efficacité. Des municipalités ont, par exemple,
été mises sous administration directe de Rome, leur
Conseil municipal ayant été noyauté par la
mafia.
Clotilde Champeyrache. Les années 1980 ont été
effectivement le moment du maxi-procès de Palerme. Les juges
Falcone et Borselino ont mené un combat énorme, ont
fait un grand nombre d'arrestations. Ils ont tous deux
été assassinés. L'émotion a
été immense dans la population et chez les politiques
mais peu à peu elle est retombée et personne n'a pris
la relève. Evidemment par peur.
Les repentis ont probablement été
découragés aussi. L'un d'eux, le fameux Buscetta a
écrit un livre où il disait se refuser désormais
à de nouvelles révélations par amertume et
peur.
Andreotti, l'ancien Premier ministre n'a pas été
condamné malgré les graves révélations
faites à son sujet.
Claudine Castelnau. Est-ce en Calabre que l'on parle de rites
d'initiations introduisant dans la mafia ?
Clotilde Champeyrache. Ce n'est pas seulement en Calabre. Des repentis ont
parlé de ces rites d'initiations pour devenir
« homme d'honneur » et entrer dans le circuit
mafieux jusqu'à la mort. Toute une imagerie existe. On se
perce le doigt pour faire tomber de son sang sur une image sainte que
l'on fait brûler alors que l'impétrant doit la tenir
jusqu'au bout en se brûlant ainsi les doigts. On lui rappelle
alors que c'est par le feu qu'il périra si jamais il
trahissait.
De tels récits reviennent fréquemment dans les discours
des repentis mais il est difficile de savoir ce qu'il en est
vraiment.
Claudine Castelnau. Les repentis ont intérêt à
conserver une façade de société secrète
entretenant le mythe montrant une mafia aussi inoffensive que les
francs-maçons ou l'Opus Dei.
Clotilde Champeyrache. Une société secrète,
ajoutent-ils, agissant d'ailleurs pour le bien global de la
société. Ils disent aussi que la mafia remonte au temps
de la résistance contre l'occupation espagnole ou
française. Ils s'efforcent de se faire passer ainsi pour des
justiciers agissant en faveur des pauvres.
Ils justifient leur dénonciation de la mafia en accusant
celle-ci d'avoir changé et de ne plus respecter les
règles honorables en se lançant dans la drogue et la
prostitution.
Claudine Castelnau. Parlons de la confiscation des biens des
mafieux.
Clotilde Champeyrache. Elle est difficile et prend du temps dans la mesure
où il est difficile de démêler quels sont les
coupables dans une entreprise qui a été envahie par la
mafia. Il ne faut pas léser les innocents. Et les
séquestres qui sont provisoirement effectués nuisent
souvent à l'activité de l'entreprise, ce qui fait
qu'elle peut être mise en faillite avant que la confiscation
ait été réellement effectuée.
Claudine Castelnau. On peut aussi confisquer des biens mobiliers, des
immeubles, des tableaux, des voitures et jusqu'à des animaux.
C'est d'ailleurs plus aisé que de confisquer une entreprise
dont le fonctionnement serait alors compromis, ne serait-ce
qu'à cause de la pression de la mafia !
Clotilde Champeyrache. Le problème s'est posé à partir
du moment où on a réellement commencé à
mettre en oeuvre ces mesures de séquestre et de confiscation
qui concernaient aussi les entreprises.
En 1992 il a été
décidé d'affecter les entreprises confisquées
à une destination dite sociale, afin de faciliter le retour
des entreprises sur le marché après qu'on les ait
assainies de leur propriétaire mafieux. Les difficultés
sont évidemment énormes, ne serait-ce que parce qu'on
ignore la nature de leur activité lorsqu'elles étaient
tenues par les mafieux : avaient-elles une activité
réelle ou n'étaient-elles que des couvertures pour des
entreprises illégales, servaient-elles à blanchir de
l'argent ? Dans le cas, notamment des entreprises de tourisme il
est impossible de savoir si leur argent provient effectivement de
clients qui sont réellement venus.
En ce qui concerne les travaux publics, il est impossible
d'évaluer si les appels d'offre avaient été
réellement libres.
Il est aussi difficile d'évaluer à quel prix
céder ces entreprises à d'éventuels repreneurs
qui ne se manifestent d'ailleurs pas en masse.
Un paradoxe de la situation est d'ailleurs que l'entreprise n'est
stigmatisée comme mafieuse qu'après avoir
été justement blanchie par la loi !
Claudine Castelnau. Ce système gère évidemment un
appauvrissement de la région. Certains propriétaires
préfèrent vendre leur entreprise plutôt que de
continuer à être rackettés sous la menace.
Clotilde Champeyrache. La mafia se greffe sur les zones les plus riches de
Sicile et de Calabre, mais crée une situation de mauvais
développement dans la mesure où elle exerce une
contrainte sur les activités. Elle provoque un départ
des élites vers les régions plus libres du nord de
l'Italie et vers l'étranger. De plus les contraintes mafieuses
incitent en fait les entrepreneurs à limiter d'eux-mêmes
leurs activités, à ne pas trop réussir de
façon à ne pas gêner un mafieux concurrent.
Ces entreprises vont alors végéter afin de ne pas se
faire racketter et ne pas attirer l'attention de la mafia.
Claudine Castelnau. Qu'en est-il des entreprises sous-traitantes de la
mafia qui reçoivent d'elles tantôt un contrat,
tantôt une possibilité d'activité ?
Clotilde Champeyrache. Dans le bâtiment les entreprises, qu'elles
soient sous-traitantes ou non sont en général mafieuses
elles-mêmes. Une entreprise mafieuse importante se propose pour
accepter un contrat qu'elle est seule capable d'assumer. Elle
sous-traite ensuite cette activité aux entreprises qui
l'effectueront, en tenant compte du territoire sur lequel elles sont
actives. Chacun construit son kilomètre d'autoroute sur le
territoire qu'il contrôle.
Une loi a été passée interdisant de sous-traiter
exagérément.
D'autres entreprises, sans être mafieuses sont néanmoins
satellites de la mafia et bénéficient de temps à
autres de ses faveurs en échange de services rendus, comme
d'embaucher du personnel mafieux.
Claudine Castelnau. La mafia est une pompe à subventions
Clotilde Champeyrache. Oui. Toutes les importantes subventions
attribuées au sud de l'Italie au moment du tremblement de
terre, notamment celles destinées aux travaux publics, ont
effectivement été récupérées par
la mafia, au point que l'on ne peut plus dire si l'État
déboursait ou si la mafia aspirait !
C'est d'ailleurs ainsi que s'explique le discours de la Ligue du Nord
disant que les contribuables sont fatigués d'entretenir par
leurs impôts la mafia du Mezzogiorno.
Claudine Castelnau. Y a-t-il des espoirs
d'amélioration ?
Clotilde Champeyrache. Il y a actuellement beaucoup d'agitation dans la
camorra de Naples. Par contre on constate en Sicile un étrange
calme qui prélude peut-être à la tempête.
Il n'y a plus, en ce moment, ni assassinats de mafieux ni de non
mafieux en Sicile. Mais la mafia est toujours dénoncée
par les repentis ; elle est toujours présente et toujours
aussi illégale.
Le silence protecteur est toujours là.
Claudine Castelnau. On s'est aperçu qu'un mafieux recherché
depuis 17 ou 20 ans demeurait chez lui, s'était
marié à la mairie, avait fait baptiser ses enfants
à l'église mais que pourtant personne ne l'avait
vu.
Clotilde Champeyrache. En politique les choses ne bougent guère. Les
procès anti-mafia sont fortement ralentis.
Claudine Castelnau. Se mobilisera-t-on un jour au niveau
européen ?
Clotilde Champeyrache. Il y a eu des réactions lorsqu'on s'est
aperçu qu'après avoir pompé l'argent italien, la
mafia se tournait vers les subventions de l'Europe.
En Sicile, les aides à la production agricole sont largement
exploitées par la mafia. Le juge Falcone en plaisantait en
disant que s'il existait autant d'orangers en Sicile qu'il y en avait
de déclarés, il faudrait que la superficie de la Sicile
augmente considérablement !
On a aussi vu un troupeau de vaches domicilié piazza Navona au
centre de Rome !
On espère une réaction venant de la Commission
européenne. Mais celle-ci s'intéresse actuellement
plutôt au sud-est de l'Europe, notamment à l'Albanie
où la mafia albanaise est active.
L'ouverture des frontières facilite évidemment le
développement d'une criminalité mafieuse dans les pays
de l'Est.
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Clotilde Champeyrache
Entreprise légale,
propriétaire mafieux, comment la mafia infiltre
l'économie légale
édition CNRS.
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