Article
Les enfants
et la publicité télévisée
30 mai 2003
La télévision ne cesse d'être interpellée
depuis ses origines. Son
procès est régulièrement instruit et son
influence néfaste proclamée.
« En revanche, remarque
Monique Dagnaud, sociologue et membre du CSA de 1991
à 1998, est-ce parce que la publicité irrigue
profondément la culture des pays développés qu'
elle est beaucoup moins présente dans le débat public
et que peu de critiques se manifestent - sinon de groupes
antipub ou antimondialisation qui ne représentent qu'une
fraction minime de la population -, sur son influence et sa
remarquable faculté d'emprise sur les esprits ?
Alors que cette préoccupation serait certainement
justifiée devant la manière dont l'univers marchand,
via la publicité, cible les jeunes, plus vulnérables
que les adultes face à sa force de
persuasion. »
D'ailleurs lorsque est sorti l'an dernier
son rapport « Les enfants, acteurs courtisés de
l'économie marchande »1,
commandé par le ministre de l'Education nationale Jack Lang,
elle a été surprise de l'écho très fort
qu'il a reçu du côté des experts de l'enfance,
des parents, des enseignants :
« Il n'y a pas de grand
débat national sur la question mais un débat
caché dans le monde des enseignants par exemple où l'on
est très sensible à la question des marques, le
rôle qu'elles jouent dans les relations entre enfants, leur
stratégie pour pénétrer à
l'école ! On touche là toute
l'ambiguïté de notre société qui est
consciente de l'entrée précoce de l'enfant dans le
monde de la publicité télévisée, un
univers dont on connaît les dérives et en même
temps accepte le système - tout le monde consomme et veut
consommer ! »
Les pouvoirs publics peuvent-ils inventer
des parades, des moyens de
résister ? Certes, ils sont soumis à la directive
européenne Télévision sans
frontière qui encadre la
publicité, mais... la France s'est contentée pour
l'instant de la traduire a minima, contrairement à d'autres
pays, comme la Suède, qui a mis en place une
réglementation très restrictive sur la publicité
destinée aux enfants. Dont deux dispositions
importantes : il ne peut y avoir de publicité
télévisée autour des programmes destinés
aux enfants, ni d'injonction directe envers l'enfant (la
publicité doit s'adresser aux parents, l'enfant n'étant
jamais sollicité directement).
« La Suède a une
politique extrêmement protectrice vis-à-vis de l'enfant,
notamment sur la publicité à la
télévision, qu'elle avait tenté de promouvoir
lorsqu'elle a présidé la Commission européenne.
Sans succès devant le lobby industriels/publicitaires... Il y
a une différence certaine sur la conception de
l'éducation entre pays du Nord de l'Europe (y compris la
Grande-Bretagne et l'Allemagne) où l'on estime qu'elle engage
collectivement la société et pays latins (Espagne,
Italie, France) où l'éducation relève des
parents presque exclusivement. »
On prétend, en France, que sans
publicité on ne pourrait
offrir des émissions télévisées.
« Si se serait
incohérent de supprimer la publicité sur les
chaînes commerciales qui en vivent, la question mérite
d'être posée de l'utilité des chaînes de
service public si leur financement dépend pour 1/3 des
rentrées publicitaires... » répond Monique Dagnaud.
Elle a proposé au ministre une
chaîne pour enfants,
financée par les chaînes publiques. Et sans
publicité. Il y a une demande de chaînes pour enfants,
dit-elle : celles qui existent actuellement sont payantes
(1/4 des foyers y sont abonnés) mais des enquêtes
montrent que les enfants qui y ont accès les regardent pour la
moitié du temps qu'ils passent devant la
télévision.
« J'ai proposé aussi
une émission d'information critique sur la consommation, comme
il en existe une en Suède une fois par semaine avant le
journal télévisé : les enfants y jouent une
demi-heure de sketches qui visent à les faire parler de
l'argent de poche, à démonter les mécanismes de
la publicité, de la consommation. C'est une émission
ludique, impertinente, regardée par
700 000 téléspectateurs (sur 9 millions
d'habitants). Ma proposition qui prend en compte ce que nous disent
les psychologues, à savoir que les enfants ne construisent
leur esprit critique qu'entre 7 ans et 10 ans, n'a pas
débouché concrètement pour
l'instant. »
Notre interlocutrice relève encore
l'appauvrissement des programmes
pour enfants (beaucoup de rediffusion, des programmes bon
marché d'origine américaine ou japonaise même
s'ils sont moins présents que dans les années 90.
Les émissions pour enfants sont jugés peu
intéressantes économiquement et du coup
diffusées le matin tôt ou en fin d'après-midi,
même si le CSA a mené l'offensive pour que les
diffuseurs français investissent dans des programmes
français ou européens. Il manque aussi des
documentaires pour enfants, des émissions interactives,
« on se contente trop
souvent de dessins animés plus ou moins
réussis ».
Au delà de ces réflexions
que suggère le rapport, il
reste un constat alarmant : il ne faut pas sous-estimer la
créativité de la publicité, qui depuis une
vingtaine d'années a profité à fond de
l'évolution de la société - augmentation du
pouvoir d'achat, prise en compte du temps libre, transformation des
relations dans la famille où tout se négocie
désormais, les enfants intervenant sur la moitié des
achats de biens familiaux...
« D'où
l'intérêt à les faire entrer le plus tôt
possible dans ce monde de la consommation. Un monde où
l'enfant est sécurisé, dont il est le héros
positif, valorisé car on s'adresse directement à lui en
courcicuitant les adultes. La télévision dans son
ensemble accompagne une culture des émotions fugitives,
à fleur de peau, du zapping où l'on passe d'une
émotion à l'autre comme d'une chaîne à
l'autre, de la "glisse" sur écran. La publicité
télévisée totalement intégrée
à la vie conforte l'idée d'un monde immense
réservoir de plaisir auquel on doit avoir accès et qui
ne s'épuise jamais ».
___________________________
1.
Enfants, consommation et
publicité télévisée, Monique
Dagnaud, Les études de La
documentation française, 2003
.
Quelques
chiffres
La quasi disparition de la
« fiction-jeunesse » et la relative montée en puissance du secteur
dessin animé résultepour une bonne part de la
possibilité de déclinaisons multiples (édition
vidéo, produits dérivés...)
Les recettes des produits dérivés peuvent couvrir
jusqu'à 70 % du coût de production. Ainsi la
série Tintin (39 épisoes de 26 mn) a
généré 9,1 millions d'euros de produits
dérivés pour un coût de 13,1 millions et
Babar (65 épisodes de 26 mn) 12,2 millions
d'euros de produits dérivés pour un coût de
22,4 millions. La pression économique tend dès
lors à privilégier ces programmes qui ne coûtent
pas trop cher à la chaîne.
Au point qu'on peut se
demander si la série
télévisée n'est pas finalement conçue
comme le dérivé d'une autre opération
commerciale (jeu vidéo, jeu internet, gamme de jouets, voire
CD-Rom, vêtements, disques etc.) !
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