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JOB

le problème du mal


Un éloge de l’absurde

 

Alain Houziaux

 

Editions du Cerf

237 pages

Interview d'Alain Houziaux
sur la radio juive RCJ

 

recension Henri-Jacques Stiker

 

28 février 2020

Les écrits sur le livre de Job, dans la Bible, sont innombrables. C’est le sous-titre de l’ouvrage d’Alain Houziaux qui marque l’originalité de l’approche. Le thème de l’absurde est le leitmotiv de ces 237 pages. En suivant l’exégèse actuelle l’auteur distingue trois parties, de plumes et d’inspirations différentes : le Prologue (chapitres 1 et 2), la confrontation entre Job et ses amis (ch. 3 à 38), le discours de Dieu (ch. 38 à 42). Ces trois morceaux spécifiques concourent pourtant à mettre en relief l’absurdité du monde et à faire surgir Job à un consentement à un Dieu totalement autre que celui de son judaïsme traditionnel et des religions abrahamiques.

Le Prologue met en scène, mais sur une autre scène que celle que peut connaître Job, Satan et Dieu qui conviennent d’une sorte de challenge au sujet de ce juste, sans que celui-ci n’en sache rien. Ce qui commande le destin de Job se passe ailleurs. Et non seulement Job n’y peut rien mais il n’en sait rien. Ce qui positionne Dieu comme l’absolument silencieux, inconnaissable, radicalement autre. Quant au rapport entre le Satan, qui est le bras armé contre Job et Dieu qui lui donne la liberté d’éprouver Job, il ne sera pleinement intelligible que lors du discours final de Dieu.

Mais ce que Alain Houziaux fait ressortir est l’absurdité, que Job accepte, dans laquelle il se trouve, illustrée par cette phrase de Kierkegaard « L’absurde est le critère négatif de qui est plus haut que l’intelligence humaine. » Ce que nous voyons comme l’absurde et le mal, c’est ce qui contredit nos schémas, représentations, théories, dogmatismes humains ; c’est la marque d’un Ailleurs qui nous est inaccessible, comme une tache aveugle est la marque d’une lumière en excès.

Job présente une personnalité marquée par une forme d’anarchisme, de besoin de vengeance, voire une forme de délire de persécution. Ainsi Job vit une sorte de « cauchemar » où se mêlent fantasmes, délires et hallucinations. Ce point est fondamental pour comprendre la nature du Dieu de Job. Il est le vecteur d’un destin implacable, arbitraire et aveugle qui « retourne sa veste sans qu’on sache bien pourquoi » (p. 41-42). Car là est et sera le scandale. Jusqu’au bout que Job est un « juste souffrant », ce qui contredit tout ce que l’on croit de Dieu. L’angoisse de Job n’a rien à voir avec l’angoisse détectée par les psychanalystes, elle est le sentiment de l’absurde car à certaines questions il n’y a pas et ne peut y avoir de réponses. Comme Dieu se tait et ne peut que se taire car il n’est pas celui que l’on croit, il a lui-même les attributs de l’absurde « injuste, inconséquent, incompréhensible » (Albert Camus).

Pour en revenir directement au problème du mal, il faut dire que Job considère que Dieu est l’auteur du mal. Ce qui n’est pas exceptionnel dans la Bible, et ailleurs. Mais la question ici n’est pas « pourquoi il y a le mal ? ». Les explications sur ce point ne manquent pas et Alain Houziaux les passe en revue (voir son résumé p. 98 par exemple) et les amis de Job en présentent quelques unes. Mais Job les refuse. Pour lui, la question est: Pourquoi y a-t-il du mal « pour rien », sans raison, de manière absurde ? Il n’y a pas de mal en soi, il suffit de regarder ce qui se passe dans la nature et le monde. Le mal est une manière de penser (Spinoza), c’est à quoi nous ne consentons pas. Comme le résume Paul Ricœur « Le mal c’est ce qui est et ne devrait pas être, mais dont nous ne pouvons pas dire pourquoi cela est » (cité p. 88).

C’est à cause de cela même que Job l’attribue à Dieu, il l’attribue à Dieu ; dans la mesure même où il n’y a pas d’explication. Ce qui veut dire que nous en revenons au Prologue : Dieu est Absconditus, caché, Tout-autre, tout-autre que tout-autre. Il est le nom de l’Ailleurs, il désigne le « hors-champ » qui échappe à notre entendement, à notre connaissance, à notre intelligence, notre intuition, notre imagination (p. 95). C’est pourquoi Job dira qu’il n’a qu’une chose à faire, c’est de mettre la main sur sa bouche et ne plus parler. Notre compréhension est « stupide » (Job. 12.16-29). Cette idée, ou sentiment, que nous sommes le jouet de forces obscures est très partagé dans l’humanité, y compris aujourd’hui dans notre société évoluée et donc le Dieu auteur du mal n’a pas disparu.

Mais il faut se demander pourquoi Job, et d’autres après lui, font le « saut de la foi », en croyant que c’est Dieu qui lui inflige ses souffrances et dispose le monde comme il est disposé, « pour rien ». Buter sur un paradoxe, sur une contradiction, une aporie - et tels se présentent le mal et même le monde tout entier - génère, au moins chez Job, l’idée d’une transcendance, d’une verticale selon une expression favorite d’Alain Houziaux qui cite ici Simone Weil. Job confesse Dieu comme l’explication de l’inexplicable, le mal et la souffrance sans raison, pour rien. L’inexplicable n’est pas expliqué mais il est rapporté à Dieu. L’auteur a cette formule très lumineuse que la Transcendance est instituée par « paradoxalité instauratrice » (p. 119). Ou encore cette autre formule audacieuse « Instituer Dieu, c’est L’ériger en tant que Principe de l’absurde » (p. 127).

Il faudra revenir sur cette idée de Principe, mais achevons la lecture de l’ouvrage, avec le discours de Dieu. Dans le livre de Job, Dieu en effet se tait jusqu’au moment où il reprend la main. Pour dire quoi ? Non pour se justifier, pour donner une explication, mais pour développer une vision d’histoire naturelle, selon l’expression de René Girard qui voit bien que dans ces chapitres parlent d’astronomie, de météorologie, de zoologie avec pour finir Behemoth et Léviathann, sortes d’animaux mythiques, image également du danger et de l’absurde. Il n’est pas difficile alors de rapprocher ces deux vedettes du Satan du prologue. Ce monde chaotique, qu’Alain Houziaux met en perspective avec la Jardin d’Eden, échappe aux notions de bien et mal. L’homme n’a acquis le sens du bien et du mal que par une forme de « péché originel » lorsqu’Adam et Eve ont mangé le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal.Transgression qui les livre à une connaissance partiale qui les empêche de voir le monde dans sa vérité devant Dieu, dans le « regard » de Dieu.

On peut alors comprendre que Job puisse affirmer qu’il a « vu » Dieu, après ce parcours souffrant et énigmatique par où il est passé. Renonçant à toutes ses idées, si l’on résume, il voit le monde dans la lumière de Dieu, monde sans sens, sans signification, par delà le bien et le mal, mais aussi sublime et par conséquent merveilleux, beau, miraculeux. Job, selon Alain Houziaux, consent à la Nécessité (concept grec sur lequel il s’explique), à un certain anarchisme, à l’arbitraire et à un Dieu « pour rien ». « Pour rien » prend différentes acceptions : sans espoir de récompense évidemment, sans attendre que Dieu soit ceci ou cela, en le servant gratuitement. Et pourtant Job croit que Dieu existe, de façon inconditionnelle. Cela ouvre à un art de vivre que Dieu enseigne à Job : l’humour, l’amour de la vie et pour la vie, l’humilité et la modestie.

Je ne saurais mieux finir mon exposé du livre qu’en citant cette belle phrase de l’auteur : « Le monde est pour rien, mais il est aussi élan vers le Pour rien. Le monde chante la gloire du Pour rien ; il chante Dieu qui est, sur le monde, la lumière, la parole, la grâce, la bénédiction, la donation du pour rien. Dieu est lui-même le Pour Rien, la Source du pour rien qui déverse ce pour rien sur le monde, qui en fait la loi de vérité du monde, qui en fait, si l’on peut dire, le sens du monde » (p. 216)

Avoir été autant que faire se peut en peu de mots, fidèle à la pensée d’Alain Houziaux ne dispense pas de se poser à son tour des questions. Non des objections qui voudraient prendre l’auteur en défaut, ce qui est ridicule, mais des interrogations. Alain Houziaux trouve dans sa tradition protestante une possibilité de rejoindre l’expérience de Job, la célèbre sola gratia, dont il parle de façon magnifique à la fin du livre. En résumé, en citant l’auteur « La prédication du Sola gratia énonce d’abord ce que disent l’Ecclésiaste mais aussi Nietzsche : tout ici-bas est inscrit dans l’insignifiance, la vanité et le non-sens. Puis elle ajoute : mais c’est sous le soleil de la grâce. Le monde est de ce fait transfiguré et consacré comme un hymne à la gloire de ce Dieu de grâce » (p. 229).

Je suggère que l’on peut trouver chez un auteur catholique, certes métaphysicien original, un écho à ce que développe Alain Houziaux. Je résume outrageusement ce que Stanislas Breton appelle « le Rien par excès » qui lui est imposé par la double méditation du néoplatonisme et par sa réflexion sur la Croix du Christ comme kénose du divin. Tout le monde des déterminations qui forme l’univers est autonome, il est comme il est, livré à l’historicité et au divers. Il n’a pas de cause, au sens où celle-ci contiendrait ses effets mais la raison est amenée à poser le Principe « Ce par quoi ce qui est est ce qu’il est n’est rien de ce qui est » telle est la formule que Stanislas Breton reprend sans cesse. Ce qui se dit aussi, comme « le Principe donne ce qu’il n’est pas et n’a pas. »

Pour être simple je reprendrai la métaphore du comédien, que Breton n’hésite pas à appliquer à Dieu. Le comédien engendre tous les personnages qu’il joue mais il n’en n’est aucun. Dieu nous échappe sans cesse mais engendre ce qui n’est pas lui, toutes les objectivations mondaines, et donc aussi religieuses. C’est donc un Rien par excès contrairement au rien par défaut, telles que sont toutes les puissances qui se disputent le monde. Comme le dit Paul Ricœur rendant compte de la pensée de Stanislas Breton « il est fasciné par la puissance du rien, à la fois réducteur et générateur » (Philosopher par passion et par raison, Stanislas Breton, Jérôme Million, 1990, p. 128).

Le rien par excès, qui est aussi ce que signifie la Croix, est donc le principe critique par excellence et d’abord des représentations de Dieu. C’est là que Breton donne toute sa place à l’expérience mystique forcément critique mais expérimentant qu’elle a à faire avec l’inaccessible, selon la formule ramassée de Michel de Certeau. La pensée de Stanislas Breton rejoint parfaitement la nécessité où est Job de renoncer à toute représentation de Dieu et à se situer au-delà de tout principe de raison comme de toute cause, y compris la causa sui spinoziste. Pour autant le rien par excès n’est pas pensé comme engendrant l’absurde, mais comme l’écart radical, la prise de distance absolue, l’inatteignable, qui nous laisse la liberté de penser et d’agir. Ces réflexions n’ont d’autre but que de souligner la richesse de l’analyse de Alain Houziaux qui peut nous faire partir dans différentes directions sans trahir le livre de Job, si particulier dans le corpus biblique.

 

 

Recension Olivier Pigeaud

parue dans Libresens

 

Le livre biblique de Job est, dit-on, le livre biblique qui a attiré le plus de commentateurs. Alors pourquoi un livre de plus à son sujet ? Parce qu’Alain Houziaux est à la fois philosophe et théologien, et parce que ce qu’il écrit est toujours très original, donc stimulant pour la réflexion et la foi.

On peut résumer son propos avec ce seul mot, « absurde », qui conclut le sous-titre du livre. Une absurdité que l’on retrouve à chaque étape de la lecture du livre : celle du prologue, celle des discours de Job, celle de la réponse de Dieu et celle de l’acceptation de Job.

À chaque étape Alain Houziaux, sans donner un commentaire suivi des différentes parties du livre, centre l’attention du lecteur sur la pointe des questions existentielles en jeu. Bien entendu, ce n’est pas que les récits et discours du livre de Job soient absurdes ou délirants, mais c’est l’absurdité des réponses théologiques traditionnelles et finalement surtout l’absurdité de la vie et de Dieu lui-même qui se découvrent, de façon cachée ou évidente au fur et à mesure de la lecture. Une absurdité « pour rien », mais pas mortifère car elle peut entrer en résonance avec le sublime, le miraculeux, l’émerveillement et la grâce.

Alain Houziaux n’est pas le premier à proposer une interprétation globale très originale ou dérangeante du livre de Job. Il a lui même lu Kierkegaard, René Girard, le remarquable et pas assez connu Philippe Némo, dans Job ou l’excès du mal et bien d’autres auteurs. Mais sans doute est-ce lui qui va le plus loin dans la remise en question de qui est Dieu et de ce qu’est la vie. Une mise en questions vitale. Laissez-vous remuer par elles !

Une interrogation, annexe, qui me vient est celle de savoir comment s’articule le Dieu absurde du livre de Job - qui est peut-être celui de l’Ecclésiaste - avec le Dieu de la plupart des autres livres de la Bible. Difficilement, sans doute, et j’en conclue qu’il est indispensable de mettre en valeur la diversité extraordinaire des théologies bibliques, qui fait la richesse de l’Écriture. On la trouve y compris dans le texte d’Alain Houziaux qui, à de nombreuses reprises, propose plusieurs explications ou interprétations possibles.

 

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