Spiritualité des images
La tapisserie du
Jugement dernier
Pays-Bas du Sud
vers 1500-1520
Département des objets
d'art
Aile Richelieu, 1er étage,
salle 8
Gilles
Castelnau
1er juin 2006
Cette immense et magnifique
tapisserie, remarquablement bien
conservée, montre, sous
l'autorité d'un grand Christ en majesté, des anges aux
belles ailes multicolores accueillent d'un côté au
paradis, des hommes et des femmes dont les mains tournées
pieusement vers le haut indiquent qu'ils ont vécu comme il
convient. De l'autre côté, les anges armés de
grandes lances à la crosse en forme de croix, repoussent
d'autres hommes et femmes, qui ont pourtant l'air bien sympathiques,
vers d'horribles démons symboles de l'enfer.
Elle est terrible cette
spiritualité médiévale, cette conception de la vie en noir et blanc
qui partageait - pour l'éternité -
l'humanité entre justes et injustes, autorisé et
interdit, acceptables et inacceptables. Le tout sous
l'autorité et la direction d'un Christ transformé en
juge impitoyable, et d'anges au visage impassible, repoussant les
malheureux « damnés » à l'aide de lances dont le manche est en
forme de croix ( ! ).
Le monde féodal, qui touchait alors à sa fin,
structurait l'humanité en une pyramide de vassaux soumis
à des suzerains, eux-mêmes redevables à plus
élevés, jusqu'au roi, à l'empereur, au Christ et
à Dieu. A chaque échelon, l'orgueil de chacun lui
faisait considérer comme offense exigeant réparation
tout manquement à son « honneur ». Chacun pensait ainsi et c'est tout naturellement
que l'on considérait le Christ et Dieu.
Les vitraux des églises, où
l'on était censé apprendre le catéchisme, ne
montraient guère, en effet, les scènes de la Bonne
Nouvelle, comme les repas fraternels auquel Jésus invitait les
« pécheurs » et tout le monde, l'accueil souriant du père
à son enfant prodigue, ni bien sûr les menaces de
Jésus contre les Pharisiens. On y voyait par contre de
nombreux jugements derniers comme celui de la tapisserie, ou des
scènes immobiles comme des madones à l'enfant, des
Jésus sanguinolents sur la croix ou surtout les
« saints » caractérisés par le fait qu'ils
étaient toujours du « bon
côté »
malgré les tourments qu'ils supportaient patiemment.
Pourtant les idées nouvelles de la
Renaissance faisaient leur chemin.
Déjà au 14e siècle,
les mystiques du Rhin, à la suite du dominicain Maître
Eckhart, avaient ouvert la voie à un amour de Dieu et du
Christ souriant et paisible. Mais le pape Jean XXII avait
condamné Maître Eckhart et sa spiritualité
heureuse et détendue ne s'était pas
répandue.
En Italie, la première Renaissance (le quattrocento, les
années 1400) représentait les hommes et les femmes
du temps avec humanité, respect, les portraits
pénétrant leur âme, exprimant leurs
sentiments.
Léonard de Vinci,
la Belle Ferronnière (Louvre, 1490)
Aux Pays-Bas, les peintres Memling, van der Goes,
Jérôme Bosch avaient déjà manifesté
l'irruption des temps nouveaux. A Rotterdam, Érasme exposait
sa conception d'un humanisme chrétien. La Renaissance se
développait au point qu'en 1521 - la tapisserie étaient
encore neuve - Charles Quint qui gouvernait les Pays-Bas de
manière très conservatrice, y rétablissait
l'Inquisition. Gageons que la tapisserie a dû lui
plaire !
Autoportrait de
Jérôme Bosch âgé (Bibliothèque
muncipale d'Arras)
En France, l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés
était un centre de réflexion humaniste et
théologique avec notamment Jacques Lefèvre
d'Étaples et au Louvre, Marguerite d'Angoulême, la soeur
aînée de François Ier.
En Allemagne, la Réforme se répandait, les peintres
Cranach et Durer y adhéraient. Luther avait publiait ses
95 thèses en 1517 pour protester contre les
« indulgences » selon lesquelles on pouvait payer Dieu pour obtenir
sa miséricorde à l'égard de nos manquements qui
offensaient son honneur et sa justice.
Au moment où elle est
tissée, cette tapisserie est
une des dernières manifestations de la pensée gothique
féodale qui disparaissait.
Les femmes damnées
(détail de la tapisserie)
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