Affronter des monstres
en 2006

Paolo
Uccello
Florence, 15e siècle
musée Jacquemart-André
30 décembre 2005
Saint Georges, sur son cheval blanc,
attaque le dragon qui allait
dévorer la princesse. Il porte son armure de combat, il se
dresse sur ses étriers et ajuste sa lance.
Il est habile et décidé, son coup est précis et
décisif. Le combat va être tout de suite terminé.
La lutte aura été facile.
La scène est évidemment
symbolique. Le dragon est même plutôt rigolo avec sa
queue aux enroulements bien réguliers, ses petites jambes et
ses ailes décorées de beaux points noirs et de rainures
bien dessinées. La princesse garde les mains jointes, comme en
prière.
Uccello peint dans la Florence des
Médicis. Avec Fra Angelico,
Donatello, Della Robia et tant d'autres, il participe à faire
émerger le monde de l'immobilité gothique vers le grand
renouveau de la Renaissance.
Voyez comme ses personnages sont encore
figés. Voyez aussi comme ils savent bien ce qu'ils veulent et
comme leur personnalité, certes toute mythologique, est forte
et affirmée.
Uccello n'a pas cru une seconde à la
réalité de son dragon. Et le cheval de saint Georges
n'a pas l'air non plus très vrai. C'est une scène
fantastique qu'il nous montre, dans un monde abstrait,
surréaliste avant la lettre.
Justement le surréalisme
désigne une vérité. Et en ce début d'année 2006 ce
tableau nous interpelle : le monde inconnu de la nouvelle
année serat-il menaçant, comme on nous le dit ?
chargé d'angoisse, de soucis, de conflits, de
défaites ? Inquiétant dragon qui nous
guette !
Mais si nous montons sur notre cheval blanc,
dit Uccello, si nous tenons ferme notre lance - qui est pointue,
n'en doutons pas - si nous laissons flotter sur nos
épaules le drapeau de Dieu, la victoire sera donnée. Et
ce ne sera pas si difficile que nous aurions pu craindre, car les
dragons batailleurs se révèlent souvent moins horribles
qu'on ne craignait.
Même s'il est vrai que certains
d'entre eux sont véritablement dangereux, puissances mauvaises qu'on ne peut vaincre.
Ainsi Pilate et les Pharisiens ont eu raison
de Jésus. Pourtant dans sa défaite même,
n'était-ce pas un esprit vainqueur qui gonflait sa poitrine et
lui donnait le courage qu'on a vu lorsque, sans fléchir, il
affrontait la foule et Pilate ?
En vérité, la force
intérieure qui nous est donnée dépasse
infiniment ce que nous demandons et pensons.
Une lectrice
écrivait mercredi dernier
dans la page courrier de Libération :
Depuis plusieurs jours,
j'entends à la radio : « les Français
font chauffer leur carte bancaire comme jamais »,
« ils auraient dépensé entre 500 et
700 euros pour Noël », « il y aurait eu
tant de transactions bancaires tel jour, avec des pics à
11 heures et 18 heures » ...
A qui veut-on faire croire que la France
consomme avec allégresse, et que le Français moyen a le
coeur en fête ? ...
Quand je regarde autour de moi, quand je lis
la presse, je vois un pays où la paupérisation et la
précarisation sont de plus en plus manifestes, où
à Paris les files s'allongent pour manger un peu de
soupe ...
Alors, de grâce, épargnez-nous
ces volées de poudre de perlimpinpin que l'on nous jette
à la figure pour nous convaincre, de quoi d'ailleurs ?
Que tout va très bien ? Pauvre de nous.
Cette lectrice devrait puiser en elle le
courage et la lucidité qui animaient saint
Georges, pour affronter le malheur
des temps, au lieu de voiler la réalité dans un
fatalisme mélancolique : Il n'est pas vrai et il est
déprimant de répéter que tout va mal pour tout
le monde ! La radio dit vrai : jamais les riches n'ont
été si riches. La presse dit aussi vrai : les
files d'attente aux restaurants du coeur s'allongent, car jamais les
pauvres n'ont été si nombreux.
Ce dont souffre la France n'est pas de
pauvreté mais de la folie d'un système. Le malheur est
sans doute que notre peuple est mal gouverné, puisque l'argent
va de plus en plus aux uns et rarement aux autres.
Le malheur est sûrement que notre vie dépend beaucoup
trop de la Bourse et de ses manipulateurs, des fonds de pension, et
du commerce mondial, sans que les gouvernants y puissent rien.
Mais il est malsain de se lamenter. Saint Georges est un
modèle. Il voit juste et regarde droit. L'Esprit qui l'anime
est celui que Dieu fait monter en nous et qui suscite l'assurance et
le courage de la lutte.
La victoire, en 2006, est dans nos
coeurs. Montons sur notre cheval
blanc et bondissons, ajustons bien notre coup de lance, puisons en
nous la claire détermination qui convient à des hommes
dignes de ce nom et regardons nos dragons en face. Ils ne pourrons
pas nous désespérer car Uccello a raison : c'est
un Esprit de victoire qui nous est donné.
Retour vers
spiritualité des images
Vos
commentaires et réactions
haut de la page
|