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Gilles
Castelnau
19 mai 2007
La renaissance religieuse
apportée par le protestantisme
encore partiellement
protégé par l'Édit de Nantes d'Henri IV,
amenait le catholicisme français du XVIIe siècle a
un semblable mouvement intense de spiritualité :
Instruction du clergé, grandes missions organisées dans
les campagnes, essor des institutions charitables (que l'on pense
à Vincent de Paul et à son aumônerie des
galères, par exemple, ainsi qu'à sa fondation des
Filles de la Charité en 1633), développement et
approfondissement de la vie monastique.
Philippe de Champaigne est un catholique
participant de tout coeur à ce mouvement. Sa peinture
manifeste la transcendance présente dans les humains qui
s'ouvrent à elle et qui est source d'assurance, de paix,
d'harmonie heureuse. Réalité secrète,
appréhendée seulement par la foi.
Philippe de Champaigne n'a jamais voulu collaborer à l'atelier
de Rubens à Anvers, dont l'idéologie baroque et
l'exubérance théâtrale entend faire passer au
niveau du sensible ce qui doit demeurer caché dans le secret
de la foi. Champaigne ne comprend pas que Rubens peigne des angelots
volant entre ciel et terre pour établir une relation directe
et visible entre le monde céleste et sacré de Dieu avec
la réalité quotidienne d'ici-bas.
Pierre-Paul
Rubens L'arrivée de Marie de Médicis à
Marseille
Louvre, Richelieu, 2e
étage, salle 18
Cet étonnant
tableau entend justement rendre
sensible et évidente, la gloire presque divine de la nouvelle
reine, dont Champaigne pense qu'elle ne doit pas et ne peut pas
l'être. Si l'on a pu dire que l'artiste doit rendre visible ce
qui est invisible et invisible ce qui est visible et dans les
tableaux religieux humaniser le divin et diviniser l'humain, la
pudeur de Philippe de Champaigne le lui interdit. La vraie grandeur
n'est jamais théâtrale, quant à Dieu, il est
toujours incognito dans le secret des coeurs.
L'opposé du baroque est la
modération janséniste de Port-Royal avec son
ascétisme, sa pudeur, sa fière humilité. Les
deux filles de Philippe de Champaigne s'y sont retirées. L'une
d'elles est gravement malade mais les prières, les messes et
le rayonnement de la Supérieure, la mère Agnès
lui apportent la guérison. Philippe de Champaigne est tout
entier tourné vers Dieu.
Certains tableaux du Louvre font partie de
l'exposition de Bruxelles et notamment celui représentant la
mère Agnès et la soeur Catherine, fille de Champaigne.
Mais on peut voir au Louvre la mère Angélique Arnauld,
abbesse de Port Royal (1654).
Ses mains sont tout naturellement
posées sur un missel et sur
un chapelet aux perles luisantes et à la simple croix de bois
peinte. Elle est assise sur un humble et rustique fauteuil de paille,
mais elle est impressionnante dans son grand habit blanc à la
belle croix rouge ; la fermeté de sa bouche et de son
menton marquent son énergie. Son petit sourire et sans doute
amical mais marque une volonté certaine. Ses grands yeux noirs
brillent d'une profonde lumière méditative. Le visiteur
est transpercé, intimidé, invité à
l'introspection, à la repentance peut-être, à la
conversion aux choses essentielles sûrement. Puritanisme des
jansénistes, si proche de celui des calvinistes de
l'époque.
Dans sa rage contre cette force de
caractère qui échappait à son contrôle,
Louis XIV fera, plus tard, détruire les bâtiments
de Port-Royal comme il fera raser tous les temples protestants de
France. Philippe de Champaigne ne manque pas de représenter
ces bâtiments derrière mère Angélique dans
leur noblesse raide et froide. Leur clocher pointe vers le ciel. Le
ciel est bleu mais chargé de nuages gris annonçant la
pluie et le froid mais un rayon de soleil luit sur la pelouse.
Philippe de Champaigne
Portrait d'Homme
Louvre, Sully,
2e étage, salle 31
Le « Portrait
d'Homme » qui semble, au premier abord, une
représentation ordinaire,
révèle, à l'examen, la vie intérieure
profonde et sereine, secrète et pudique de cet homme ,
étranger à toute apparence prétentieuse. On a
d'ailleurs pu penser qu'il était un membre de la famille
Arnauld familière de Port-Royal.
Sa noblesse est marquée par sa
manchette de dentelle assortie à son magnifique col. Mais son
rebord est d'un gris sobre et son col n'est pas grand. Il ne porte
pas perruque. Ses longs cheveux sont fins, ondulés mais sans
apprêt trop marqué, doucement éclairés
néanmoins ainsi que son grand front. Son habit est d'un beau
satin noir, luisant mais sans les rubans et les décorations du
temps. Sa petite moustache et son petit bouc sont discrets, blonds
mêlés de quelques poils blancs.
On ne sait si son regard, dirigé hors
du champ du tableau, est méditatif ou attentif à ce que
nous ignorons, ou les deux. Mystère de la pensée
intime.
Dans la même pièce du
Louvre quatre autre tableaux de
Philippe de Champaigne :
La Translation des corps de
St-Gervais et de St-Protais
Le Prévôt des marchands et les échevins de la
ville de Paris
La vierge de douleur au pied de la croix
Le Christ en croix.