L'évêque
J. Spong
Réflexion sur
l'homosexualité
Rédigée
à la demande de l'Archevêque de
Cantorbéry
à l'intention de
la Conférence de Lambeth
été 1998
7 octobre 2002
On ne débattait pas d'homosexualité au siècle
dernier, dans l'Église.
Aujourd'hui la discussion fait rage, dans toute la
chrétienté, en public et en privé. Notre
Communion anglicane menace, même en certains lieux, de se
diviser en groupes antagonistes ; des menaces d'excommunication
ont déjà retenti chez les uns et chez les autres, des
invitations à quitter l'Église. Des paroles blessantes
et méprisantes ont été prononcées, allant
parfois même jusqu'à des violences physiques.
La question est posée en termes bibliques, éthiques et
théologiques, mais ceci ne doit pas cacher deux conceptions
différentes de l'homosexualité.
Pour les uns, l'homosexualité est
coupable, exercée par des
dépravés ou des malades mentaux et
considérée comme un péché par Dieu,
l'Écriture et la tradition. L'Église ne saurait
l'accepter sans se dresser contre la volonté divine et se
détourner alors des principes chrétiens les plus
sacrés.
Les tenants de cette conception considèrent que leurs
contradicteurs sont indiscutablement infidèles au Christ,
à la Bible et aux valeurs chrétiennes,
l'homosexualité les ayant détournés de la foi
chrétienne.
Les autres considèrent, à
la lumière de la science moderne, que l'homosexualité est une orientation
minoritaire mais naturelle et normale de la sexualité ;
simple réalité, elle ne provient ni d'un libre choix ni
d'un conditionnement psychologique ; on peut la comparer au fait
d'être gaucher, qui est également une déviation
de la norme habituelle, statistiquement minoritaire et cause jadis de
discrimination et de persécutions.
Ces membres de notre Église considèrent la
sexualité comme moralement neutre ; pour eux,
l'homosexualité comme aussi
l'hétérosexualité peuvent être
vécues de manière soit destructrice soit heureuse. Ils
estiment que l'Église doit valoriser toute vie sexuelle
permettant l'épanouissement de la personne, qu'il s'agisse
d'homosexualité ou
d'hétérosexualité.
Les partisans de ce point de
vue croient que la connaissance
moderne du cerveau humain et de son fonctionnement disqualifie les
condamnations d'autrefois ; ils remarquent que
l'homosexualité existe chez des animaux que l'on ne juge pas
susceptibles de réflexion ni de liberté de
décision.
Ils remarquent aussi que les homosexuels ne choisissent pas plus leur
orientation que les hétérosexuels, mais qu'ils en
prennent seulement conscience.
Quant à l'argument que l'homosexualité contredit
l'Écriture, ils rappellent que l'Église a
renoncé à bien d'autres condamnations rendues caduques
par de nouvelles découvertes de la science ou par
l'évolution des m�urs. Ainsi en a-t-il été pour
l'affirmation que la terre tourne autour du soleil, pour
l'illégitimité de l'esclavage, pour l'obéissance
indûment exigée des femmes, pour l'épilepsie
considérée comme provoquée par un démon.
Il faut reconnaître que chacun de ces exemples a pourtant
été, à son époque, justifié par
des citations de la Bible et considéré comme une
décision fondamentale.
La division concernant
l'homosexualité est grave.
Chacune des deux positions est soutenue avec constance par des
évêques dignes de respect. Les deux parties
considèrent que leur attitude est la seule fidèle
à Dieu. Les sentiments sont nobles et les solutions
difficiles. Il est aussi des membres de notre Communion anglicane qui
demeurent incertains, prennent une attitude plus neutre et ne se
sentant pas capables, pour l'instant, d'opter pour une des deux
tendances.
La proposition que nous faisons à la Conférence de
Lambeth entend éviter deux écueils : durcir le
débat et abandonner l'exigence de vérité. Il ne
s'agit pas non plus d'un compromis qui ne serait pas acceptable pour
un tel sujet.
La démarche en deux étapes que nous proposons devrait
permettre une avancée commune dans laquelle aucune des deux
positions ne serait sacrifiée.
La première étape serait de
faire, en tant
qu'évêques de Lambeth, un effort consciencieux pour
délimiter les points sur lesquels nous sommes tous
d'accord.
La seconde serait de présenter nos désaccords aussi
objectivement que possible et sans esprit de jugement. Nous voyons
dans cette double démarche le plus grand service que la
Conférence de Lambeth puisse rendre aujourd'hui à
l'Église.
Nous proposons donc de ne voter cette
année aucune motion qui
ferait triompher un camp sur l'autre. L'Église est si
profondément divisée qu'une victoire, qui ne serait, de
toute manière, acquise que de justesse, ne ferait que
provoquer la révolte du clan vaincu. De plus une
décision tranchée ne laisserait pas aux indécis
le temps de se faire une opinion. Le corps du Christ serait
blessé, notre ministère commun affaibli et notre
témoignage s'en ressentirait.
Mais il ne faudrait pas non plus que la Conférence de Lambeth
fuie le problème, ferme les yeux sur les divisions de
l'Église et de la société. Nous en serions
disqualifiés aux yeux de nos contemporains.
Nous proposons donc de voter une
résolution présentant
les points sur lesquels un consensus peut être trouvé.
Quant aux sujets de désaccord, nous proposons de les
transmettre à un groupe de travail international, que
nommerait l'archevêque de Cantorbéry, et qui serait
composé de représentants des deux partis ainsi que des
modérés. Ce groupe serait constitué de membres
aussi bien acceptables par les défenseurs des homosexuels que
par leurs opposants.
Ce groupe de travail, nommé pour une réflexion à
long terme, se réunirait dans un esprit de prière et
sous l'inspiration du Saint-Esprit. Il serait une caisse de
résonance des différentes voix émanant de
l'Église et l'Église elle-même pourrait s'y
laisser éclairer par les experts professionnels.
Le groupe présenterait ses conclusions - s'il a pu les
élaborer - à la prochaine Conférence de
Lambeth (en 2008, ndlr) ; il dirait en même temps
quel aura été son mode de fonctionnement et les
difficultés auxquelles il se sera trouvé
confronté, afin que, pleinement informés et en toute
conscience, nous puissions prendre alors des décision
appropriées.
Nous avons identifié trois
points sur lesquels un consensus
nous paraît déjà exister ; nous
espérons que les évêques de Lambeth les voteront
à l'unanimité. Trois autres nous paraissent l'objet de
telles divergences que nous nous bornons à les
présenter en précisant clairement et honnêtement
l'état de la question. Nous proposons à la
Conférence de Lambeth de les transmettre pour étude au
groupe d'étude dont nous parlions.
Points sur lesquels
nous pensons
un accord possible
1. Premièrement nous croyons que les homosexuels sont des enfants de Dieu ;
ils partagent l'amour divin avec toute la famille humaine ; ils
doivent être traités avec honnêteté,
justice et égalité devant la loi. Nous
réprouvons l'hostilité qu'ils ont endurée dans
le passé de la part de chrétiens comme de non
chrétiens. Certains d'entre eux ont, en effet,
été tués, battus, licenciés,
expulsés de leurs maisons et de leur famille, uniquement
à cause de leur nature.
Nous déplorons l'attitude de
certains chrétiens qui
confondent la conduite habituelle des homosexuels avec des pratiques
destructrices et méprisables que tout le monde condamne. Nous
savons bien, par exemple, qu'aussi bien les
hétérosexuels que les homosexuels peuvent se rendre
coupables de pédophilie. Sous-entendre le contraire serait
diffamation et désinformation ; partout où cela a
été fait, nous invitons l'Église à la
repentance.
Sur ce premier point, il nous semble que les chrétien des deux
bords peuvent se trouver d'accord.
2.
Deuxièmement nous sommes tous d'accord pour affirmer la sainteté du mariage et
l'importance de la famille. Nous savons que la sexualité est
une puissance qui peut être orientée vers la vie comme
vers la mort.
L'Église affirme traditionnellement que la sexualité se
vit dans un engagement complet et public entre un homme et une femme,
la cérémonie du mariage étant destinée
à en manifester la reconnaissance par l'État et la
bénédiction par l'Église.
Aucun de nous ne conteste l'institution
du mariage : ceux qui
souhaitent l'élargir aux couples de même sexe ne mettent
pas en question sa beauté, sa sainteté et sa valeur.
Tout en n'étant pas du même avis en ce qui concerne cet
élargissement, nous sommes d'accord pour le respecter, le
promouvoir et le renforcer.
Nous déplorons le grand nombre de divorces ; nous prenons
note des inégalités dont souffrent les femmes dans
diverses parties du monde en ce qui concerne l'éducation, la
profession et, d'une manière générale, toute
l'existence sociale et culturelle.
Nous n'ignorons pas que des familles
polygames ont pu, dans certaines
régions et dans certaines circonstances, être accueilli
dans l'Église avec l'autorisation de notre Conférence.
Mais nous affirmons cependant que la relation idéale, pour les
couples hétérosexuels, est celle du mariage monogame,
fidèle, aimant et à vie ; de tels mariages sont sains
et sont un important facteur pour l'épanouissement des
enfants.
A côté de cet état idéal, nous
reconnaissons également que lorsque la situation l'exigeait,
des parents solitaires, des beaux-parents, des parents
suppléants ont exercé avec une grandeur et une
sainteté pour lesquelles nous rendons grâce, une
tâche d'éducation providentielle .
3.
Troisièmement, nous croyons que la grande majorité des
évêques de notre Communion est prête à
condamner toute relation sexuelle imposée ou agressante, tout
harcèlement sexuel, et ceci, entre hétérosexuels
comme entre homosexuels.
Nous croyons également qu'il existe un consensus dans notre
Communion pour dénoncer le vagabondage sexuel, comme
étant déshumanisant pour les deux partenaires. Nous
affirmons que le sexe est un don de Dieu destiné à
être vécu dans une relation d'implication totale ;
lorsque manque cette implication, le sexe est
dévalorisé et l'être humain est profané,
dépersonnalisé, réduit à l'état
d'objet de consommation.
Nous souhaitons que la conférence de Lambeth dénonce de
toute conduite sexuelle de domination ou de vagabondage.
Points sur lesquels
nous ne pensons pas
un accord possible pour le moment
1. Bénédiction de couples de même
sexe.
« Le célibat
est-il la seule voie autorisée aux homosexuels
chrétiens ? ».
« Les homosexuels
peuvent-ils avoir une vie sexuelle
"sainte" ? »
Sur ces deux questions les
évêques sont divisés et aucun accord ne semble
possible. Nous nous bornons à présenter les points de
vue en présence :
Position négative.
Certains membres fidèles de
notre Église, y compris des évêques, qualifient
les pratiques homosexuelles, de péché et de faute mais
aussi de contraires à la nature. Ils tirent argument de la
complémentarité que présentent les organes
sexuels masculin et féminin et du rôle indispensable des
deux sexes dans la reproduction.
L'homosexualité étant, à leurs yeux, une
perversion du plan de Dieu, ils estiment qu'elle est forcément
guérissable et ils recommandent qu'on s'y essaye. Si cela
s'avérait impossible, cette homosexualité devrait,
à leur avis, être de toute façon
réprimée et considérée comme une croix
à porter, comme une faiblesse, une tragique infirmité.
Aucune vie sexuelle n'est par conséquent autorisée
à ces chrétiens.
Ceux qui raisonnent ainsi précisent bien que ce n'est pas
l'homosexuel qu'ils condamnent mais sa conduite.
Cette thèse est partagées par un nombre important,
peut-être la majorité d'entre nous. Nous la mentionnons
sans en débattre.
Position positive. D'autres membres de notre Église font
remarquer que les conclusions de ce type ont conduit, dans le
passé, à la persécution des gauchers, à
la justification de l'esclavage, à l'exclusion des femmes du
droit de vote et de l'entrée dans les universités. Ils
jugent cette attitude erronée et extrêmement nocive.
Ils disent qu'elle est fondée sur une information
insuffisante ; ils font remarquer la persistance de la
réalité homosexuelle à toutes les époques
et dans toutes les parties du monde ; réalité
réprimée et donc en diminution dans certains types de
sociétés, valorisée et donc en augmentation
ailleurs.
Ils font état d'études qui démontrent que
personne ne choisit de devenir homosexuel mais qu'il s'agit d'un
état de fait donné qui n'est pas susceptible de
changement. Ils considèrent que forcer les homosexuels
à des conduites hétérosexuelles n'est que
violence inutile. Ils honorent le célibat comme une vocation
librement acceptée mais pas comme un mode de vie imposé
aux homosexuels.
Ils font valoir que la vigueur sexuelle ne doit être
refoulée ni chez les hétérosexuels ni chez les
homosexuels sauf par un libre choix. Ils militent par
conséquent en faveur du droit des homosexuels à une vie
de couple et ils demandent à l'Église de bénir
ceux qui invoquent la présence divine.
Ils estiment que le refus ne fait qu'accroître
l'instabilité des couples et le vagabondage sexuel. Ils
suggèrent à l'Église de publier des liturgies de
mariage pour les couples de même sexe et d'y préparer
les prêtres comme cela est fait pour les couples
hétérosexuels.
Ces deux positions nous paraissent
tellement incompatibles qu'un
débat nous semble actuellement inutile et risquerait
même de produire plus d'éclairs que de lumière.
Nous proposons donc à la Conférence de Lambeth de
transmettre la question, sans la trancher, au groupe de travail qui
l'étudiera durant la prochaine décennie.
2. Ordination sacerdotale d'homosexuels engagés
dans une relation fidèle et monogame.
La question ne se pose évidemment
pas pour ceux qui considèrent
l'homosexualité comme une déviation coupable :
elle engagerait le prêtres et l'exemple qu'il donnerait, dans
un style de vie que l'Église a toujours
considéré comme coupable. Ce serait, disent-ils,
déclarer saint un style de vie fondamentalement coupable.
Ils ajoutent que, puisque le prêtre représente Dieu dans
la liturgie de l'autel, un prêtre homosexuel suggérerait
qu'il existe une part d'homosexualité en Dieu ; cela leur
paraît impensable.
Que la Conférence de Lambeth envisage, ne serait-ce qu'un seul
instant, une telle possibilité, leur semble déjà
une profanation des vérités les plus
sacrées.
Mais d'autres
chrétiens, qui ont une vision
différente de l'homosexualité, répliquent que
des prêtres homosexuels fonctionnent déjà dans
les rangs du clergé. Ils citent les historiens qui affirment
que, depuis l'aube du christianisme des homosexuels masculins ont eu
part au sacerdoce religieux, de sorte que la question n'est pas tant
de savoir si l'on peut ordonner les homosexuels mais si on acceptera
enfin de reconnaître leur présence.
Ils estiment que l'homosexualité étant une composante
naturelle de la vie humaine, une vie de couple homosexuelle
fidèle monogame et engagée pour toute la vie,
répond à l'exigence première du sacerdoce, qui
est d'être un exemple pour le troupeau du Christ.
Ils font valoir que l'Église anglicane existe dans des
régions de culture fort différentes et que dans
certaines de ces régions l'homosexualité n'est pas
seulement tolérée mais ouvertement admise comme
réalité créée par Dieu. Dans ces parties
du monde, des communautés de foi sont disposées
à accepter les prêtres homosexuels. Ils font remarquer
que dans certaines concentrations urbaines du monde occidental, le
refus des prêtres homosexuels déconsidère
gravement l'Église.
Ils mentionnent d'ailleurs certains évêques de
diocèses urbains qui témoignent de l'efficacité
et de l'intégrité de prêtres ouvertement
homosexuels vivant en couples fidèles et dont le
ministère ecclésial est fécond.
Ces deux positions sont donc
incompatibles. Les uns accusent les
autres de « bénir ce que Dieu condamne et confondre
le bien avec le mal ». Les autres considèrent que
les préjugés et l'ignorance aveuglent les premiers qui
ne se rendent pas compte de ce que leur méconnaissance des
réalités et leur attitude excluante peuvent avoir de
choquant.
Cette question ne se prête pas à des compromis, les
divisions sont si profondes qu'il faudra évidement y consacrer
beaucoup de temps et de réflexion. C'est pourquoi nous
recommandons que la Conférence ne vote pas pour le moment sur
ce sujet mais qu'il soit transmis au groupe de travail dont nous
souhaitons qu'il soit nommé par l'Archevêque de
Cantorbéry.
3. Autorité de la Bible.
Ce point qui ne se
prête, lui non plus, à
aucun accord, est sous-jacent à tout le débat. Personne
ne conteste que la Bible condamne les pratiques homosexuelles.
Pour certains il n'en faut pas plus
pour former leur jugement
éthique : l'Écriture sainte exprime telle qu'elle
est, disent-ils, la volonté immuable de Dieu
lui-même.
D'autres, par contre, estiment que la Bible entraîne nos coeurs
bien au delà des clivages humains et des
préjugés qui ont pu provoquer, en leur temps,
l'exclusion des païens, des Samaritains, des lépreux,
tous considérés rituellement impurs, des femmes, des
gauchers, des minorités raciales et des suicidés.
L'exclusion des homosexuels n'est, à leur avis, qu'un
préjugé de plus qu'il convient de surmonter. Ils
rejettent toute lecture littérale de la Bible.
Ces deux camps sont unis dans un même respect de la Bible, qui
n'est lue ni avec idolâtrie par les uns, ni dédain par
les autres, bien que ces accusations aient pu être parfois
injustement portées.
L'interprétation de la Bible représente donc le
troisième point de désaccord pour lequel aucun
consensus ne peut être actuellement trouvé et dont nous
proposons de transmettre l'étude au groupe de travail
prévu.
Conclusion
Nous conjurons d'une part
les évêques qui
condamnent l'homosexualité de prendre le temps de rencontrer
ces hommes et ces femmes et d'apprendre à les
connaître : ils ont parfois le sentiment de frapper
à la porte d'une Église qui les exclut.
Nous conjurons d'autre
part les évêques qui
souhaitent accorder aux homosexuels le libre accès à la
vie de l'Église, de prendre le temps de rencontrer et de
connaître ceux qui y verraient une désobéissance
au Christ.
Chacun devrait pénétrer le
monde de l'autre, en comprendre les
craintes et participer à sa souffrance en union au Christ qui
nous a aimés le premier.
Rt. Rev. John Shelby Spong
(États-Unis)
Rt. Rev. Peter John Lee (Afrique du Sud)
Traduction Gilles
Castelnau
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