Être honnête avec Dieu
Lettres à ceux qui cherchent
Lettres sélectionnées et traduites par Gilles Castelnau
John Shelby Spong
Ed. Karthala
186 pages - 19 €
Gilles Castelnau
28 septembre 2020
Les éditions Karthala publient 110 « Lettres pastorales » que l’évêque épiscopalien (anglican) John Spong a envoyées au cours des dernières décennies aux prêtres et aux fidèles de son diocèses. Je les avais sélectionnées et traduites pour le site Protestants dans la ville et je les ai mises à leurs disposition.
Les éditions Karthala ont déjà fait traduire et publié avec beaucoup de succès cinq livres de l’évêque Spong. Celui-ci présente des textes relativement brefs commodes sans doute pour des réflexions de groupe.
Voici des passages de l’introduction qu’en font les éditeurs et trois de ces Lettres.
.
Avant-propos
Une vision nouvelle et crédible de la foi chrétienne
[...]
John Spong ne se contente pas de déconstruire ce qu'il appelle une foi « théiste », basée sur la représentation d'un être divin, tout puissant, habitant aux cieux en surplombant le monde et doté d'un pouvoir miraculeux pour surveiller, orienter, voire changer le cours du monde et des événements et la vie de chaque personne. Il reconstruit une foi chrétienne qui puisse donner sens à la vie de chrétiens et d'humains pleinement insérés dans la culture de notre époque, désireux de développer leur potentiel d'humanité et, donc, de participer activement à la construction d'un monde plus juste et fraternel.
[...]
John Spong nous appelle aussi à réapprendre qui est Jésus pour nous les hommes. Non pas un dieu incarné venant réparer la faute originelle au prix de son sang versé, mais un être intensément habité par le divin, comme le révèlent ses paroles et ses actes, inspirés par l'amour véritable, la passion du vrai, l'appel à la responsabilité, le souci permanent de redonner confiance et vitalité aux humains marginalisés et rejetés. En ce sens, Jésus est initiateur d'un monde nouveau qui est le lieu de Dieu. À nous ses disciples d'actualiser de façon créative, dans notre quotidien, l'esprit qui l'animait.
[...]
Le pasteur protestant français Gilles Castelnau, qui depuis des années se nourrit des œuvres de John Spong, en a sélectionné cent trente-neuf, les a traduites et présentées sur son site Protestants dans la ville.
Il les a mises à notre disposition pour qu'elles soient publiées dans cet ouvrage, afin de leur offrir une audience plus large. Nous en avons retenu cent dix. Qu'il soit vivement remercié pour son travail. John Spong, informé de notre intention d'éditer une partie de ses lettres, s'en est fortement réjoui.
.
Quand je dis « Dieu »
Peut-on être chrétien sans être théiste ?
(larges extraits)
On nomme « théisme » la théorie qui conçoit Dieu comme un Être extérieur au monde, au pouvoir surnaturel, qui agit sur le monde pour l'amener à l'obéissance et l'ouvrir à sa Présence. Le Dieu théiste est forcément toujours décrit, de manière humaine, comme une personne animée d'une volonté propre, qui aime, récompense ou punit.
Les liturgies des Églises chrétiennes, notamment les recueils anglicans, s'expriment de manière théiste : Dieu y est présenté comme un Être céleste, qui apprécie nos louanges, écoute nos confessions, nous révèle sa volonté sainte et nous appelle à une vie spirituelle en communion avec lui.
Le théisme est si universellement admis que le rejeter est considéré comme a-théisme, rejet de Dieu lui-même. Mais dans notre monde où, actuellement, la conception théiste perd de sa pertinence, commence à se poser, qu'on le veuille ou, la question du théisme : « peut-on être chrétien sans être théiste ? »
Le théisme était autrefois la théorie commode permettant d'attribuer à la toute puissance de Dieu les événements qui dépassaient la compréhension humaine : catastrophes météorologiques, maladies, morts subites, malheurs de toutes sortes. Mais aujourd'hui la médecine diagnostique et traite les maladies sans référence à Dieu et notre société sécularisée ne met plus en relation avec la volonté divine les tragédies que sont les accidents d'avion, l'épidémie de SIDA, etc.
Aujourd'hui, devant une mort soudaine, on pratiquera une autopsie qui révélera un infarctus ou une hémorragie cérébrale, sans que personne ne s'interroge sur les raisons que pourrait avoir eu l'Être Suprême théiste de punir cette personne en particulier.
Les météorologues observent la formation des cyclones dans les zones de basse pression de l'hémisphère sud et suivent leur itinéraire jusqu'à ce qu'ils aient déchargé sur terre vent et pluie, ou qu'ils se soient apaisés dans l'air froid et dense de l'hémisphère nord. Personne n'interprète ces phénomènes naturels comme des châtiments infligés par Dieu à une région, un peuple ou une nation particulièrement coupable.
Il fallait la réflexion particulièrement naïve du télévangéliste américain Pat Robertson pour prétendre, il y a quelques années, que ses prières pourraient détourner un cyclone de son entreprise de radio et de télévision, à Norfolk en Virginie. On pourra remarquer que M. Robertson n'a pas prié pour calmer le cyclone, mais seulement pour en détourner l'itinéraire destructeur. D'ailleurs Pat Robertson ne s'est pas préoccupé de ce qui arriverait à ceux sur lesquels ses prières auraient détourné la tempête !
Un théologien anglais, Michael Goulder, perdit la foi, lorsqu'il se rendit compte que le Dieu traditionnel du théisme « n'avait plus de raison d'être », alors qu'on ne faisait plus appel à lui pour expliquer les mystères, soigner les maladies, diriger les éléments, conduire les guerres, punir les pécheurs et récompenser les fidèles.
En fait, le Dieu extérieur au monde, qui intervient périodiquement de façon surnaturelle dans les affaires du monde pour les diriger selon sa volonté, a réellement disparu de notre pensée collective, bien que, dans nos lieux de culte on continue à lui rendre un hommage officiel.
Quel avenir le XXIe siècle ouvre-t-il dans ces conditions, à notre christianisme ? Il s'agit-là du problème théologique majeur qui se pose à notre génération. La pensée chrétienne s'est structurée autour du concept théiste ; la personne de Jésus a été généralement interprétée comme l'incarnation du Dieu théiste ; le « Père » dont il venait accomplir la « volonté » était conçu comme un Être suprême surnaturel, extérieur au monde ; et la mort du Christ sur la croix comme le sacrifice offert à ce Dieu pour mettre fin à la rupture séparant l'homme de son Créateur.
Les théologiens ont ainsi développé la théorie du « Péché originel » et de la « Chute » ; ils ont expliqué le rôle capital de la Croix dans le drame du salut souligné le pouvoir de guérison du sang du Christ. Mais le monde ne croit plus à cette Divinité irritée exigeant un sacrifice et cette interprétation de la croix du Christ perd sa signification.
Dans un monde qui, depuis Darwin et sa théorie de l'Évolution, ne conçoit plus que la création soit achevée par Dieu et parfaite, mais l'imagine en évolution continue, la doctrine de la chute du monde, jadis parfait, dans le péché et dans la mort, n'est plus crédible.
L'idée même d'un Dieu exigeant la mort de son Fils sur la croix pour payer le prix des péchés, est désormais inacceptable : un parent humain réclamant la mort de son enfant pour faire réparation d'une rupture, serait soit arrêté par la Justice, soit enfermé pour trouble mental.
Et pourtant ces images, issues de l'ancienne conception théiste, qui ont perdu tout sens et sont même devenues source de répulsion, font toujours la trame de nos liturgies.
La question fondamentale se pose à nous : la foi vivante dont nous avons besoin pourra-t-elle refleurir sur les décombres des anciens concepts théistes ? Les conservatismes théologiques refusent cette question. La société déchristianisée l'ignore en rejetant totalement Dieu.
Nous pensons retrouver Dieu en abandonnant le théisme. C'est un nouveau langage qu'il faut rechercher pour traduire à l'intention de nos contemporains la foi d'hier dans les catégories de demain.
.
Le délitement de l’Église
Je ne me sens vraiment pas à l’aise dans mon église qui a des textes et une prédication inacceptables dans le monde moderne.
Je vous comprends. J’ai moi-même été dans des paroisses où la musique et les chœurs étaient magnifiques mais où la liturgie était médiévale et complètement déconnectée du monde actuel. Les célébrants en étaient tous des hommes et ils semblaient inconscients de l’évolution de la théologie à laquelle on assiste depuis un siècle. Leurs paroles semblent appartenir à un monde qui a complètement disparu. Ils parlent de Dieu comme d’un « Être » demeurant en dehors du monde, vraisemblablement quelque part au-dessus du ciel, qu’il convient de flatter par nos prières et nos cantiques et qui menace toujours de nous juger.
Ces églises semblent ignorer le considérable travail biblique qui a été accompli depuis bientôt 200 ans. On y lit l’épître de Paul aux Éphésiens ou celles à Timothée qui ont probablement été écrites par des disciples de Paul mais certainement pas par lui-même sans rien préciser de la sorte. Les sermons semblent partir du principe que les récits des évangiles sont d’une vérité historique incontestable, que les mages ont vraiment suivi une étoile qui allait devant eux et que Jésus a réellement prononcé toutes les paroles que les évangélistes lui attribuent.
La formation des adultes est pratiquement inexistante dans la plupart des églises car la liturgie y bénéficie d’une priorité absolue et le temps est mesuré pour la réflexion.
Les prêtres et les pasteurs sont certainement aimables, bienveillants et sympathiques mais ils ont souvent été instruits dans l’idée que le christianisme est au centre du monde, alors que nous ne sommes évidemment plus au 13e siècle !
Je pense que, néanmoins, nous ne devons pas abandonner notre église, aussi lamentable et ennuyeuse qu’elle puisse être, car le changement ne peut venir que de l’intérieur et je ne voudrais pas manquer d’y participer.
Mais je reconnais qu’il s’agit d’une vocation qui n’enthousiasme guère la génération actuelle.
Si seulement les églises acceptaient de chanter au moins une fois un cantique qui ne soit ni une vague petite ritournelle ni un poème datant du 19e siècle...
.
L’homosexualité
Vouloir « guérir » l'homosexualité est absurde
Certains chrétiens affirment « guérir » les homosexuels. Ils disent que cela prend du temps mais que c'est possible. Est-ce vrai ?
Il ne faut pas se laisser abuser par une ignorance qui touche à la malhonnêteté. Personne n'a jamais apporté de preuve psychologique ou médicale d'une prétendue « guérison » d'homosexuels et il est typique que les seuls qui en parlent sont des représentants des mouvements de la droite chrétienne fondamentaliste. Ils sont bien en peine de justifier leurs affirmations alors que les milieux médicaux ne considèrent plus l'homosexualité comme une maladie qu'il conviendrait de guérir.
Ils se bornent à citer tel ou tel individu isolé amené à se déclarer « guéri » par l'énorme pression psychologique qu'on lui fait subir.
Il faudra bien en arriver à admettre qu'il existe des différences d'orientation sexuelle comme il y a des différences de genre ou de couleur de peau, comme il y a des droitiers et des gauchers. Les prétentions de « guérir » les homosexuels apparaîtront bientôt pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire malveillantes, ignorantes et absurdes.