
Retournements
Jean Alexandre
Ed. Olivétan
112 pages - 13 €
Commande directe : Librairie protestante
31 janvier 2016
Le pasteur Jean Alexandre est un lecteur assidu et familier de la Bible. Il s’identifie à ses personnages, il imagine ce qu’auraient pensé et vécu les personnages bibliques dans notre monde actuel.
Dans la trentaine de portraits qu’il nous offre, il remarque les déplacements, les voyages de ces hommes et femmes d’autrefois et les « retournements » que ces immigrations ont provoquées.
En voici deux exemples.
page 7
Adam, ou la séparation radicale
Genèse 2.4 - 4.1
Les onze premiers chapitres du livre de la Genèse ont pour visée d'offrir un point de vue universel sur la condition humaine. Or cette condition est présentée comme celle d'un être radicalement séparé de son lieu d'origine.
C'est le cas d'Adam et Ève. Ils ne sont pas seulement chassés de l'Éden, ils sont mis devant plus qu'un simple exil : à cause d'eux, adama, la terre mère, est maudite, aroura. Ce terme ne signifie pas qu'elle est elle-même punie, mais qu’elle est séparée d'eux pour toujours. C'est le début d'un grand voyage vers l'Orient, comme si les humains, ayant perdu le chemin de l'Éden, cherchaient à remonter le cours du temps, à l'inverse du parcours du soleil. À partir de là, l'histoire humaine sera une errance. L’être humain a perdu son origine et, par suite, n'a pas la capacité de se construire par lui-même une identité.
Aussi, toute idéologie qui lierait le salut de l'être humain, par nature, à un territoire, une patrie, une race, une nation, etc., se heurterait à ce premier énoncé biblique : tu es coupé de tes origines, ton passé est passé, va vers ton avenir, c'est à toi de le construire. Il n’existe pas d'autochtones, Dieu reprend la terre.
Comment en est-on arrivé là ? Contrairement à l'opinion reçue, c'est à cause d'une erreur commise par Adam, non par Ève. C'est lui qui est, au sens propre, le responsable, celui qui doit répondre de ce qui arrive dans le domaine qui lui est concédé. Car le récit présente d'abord deux protagonistes, le Seigneur-Dieu et Adam. Pour lui, les autres sont de seconde zone, au grand dam des filles d'Ève... C'est qu’il s'occupe de la relation que le divin entretient avec l'espèce humaine. Ne l'oublions pas, le mot hébreu adam signifie « l'être humain » bien avant de désigner le premier homme. Aussi, pas de triomphalisme machiste, on verra plus loin comment, dans cette histoire, Ève prend sa place - et quelle place !
II n'y a plus de roi !
Le Seigneur-Dieu dit donc à Adam qu’il est maître en son domaine, ce lieu de délices, Éden, le jardin merveilleux de mille et un contes. Là il est fait roi, et son Seigneur lui donne des sujets : tous ces animaux sur lesquels il a pouvoir de nomination - nous sommes au temps où les animaux parlaient. Et comme d'innombrables petits rois de l'Antiquité sémitique, le roi Adam est lui-même vassal, serviteur d'un bien plus grand roi que lui, son Seigneur. C'est ainsi que les Empires de ce temps-là trouvaient leur cohérence, d'inclusions de serviteurs au sein de plus grands serviteurs, de ces plus grands en plus grands encore, et de ces plus grands-là en maître impérial, tout là-haut. Telle est la relation entre le Seigneur-Dieu et Adam, relation d'alliance marquée par un sceau, un témoin, « l'objet du maître » que le servant ne touchera point, sauf à rompre le serment de fidélité réciproque qui fait tout tenir.
On le sait, c'est ce qui arriva ! Et ce récit nous dit bien plus : c'est ce qui est arrivé, qui arrive, qui arrivera, une rupture d'allégeance pour toujours, un lien cassé qui ne s'est pas (encore ?) renoué. Tu étais sur la terre de Dieu, pleine et ferme au-dessous de toi. Tu étais tenu par le cordage de ton Seigneur, solide et fidèle au-dessus de toi. C'est coupé. C'est cassé. Par en haut comme par en bas. Tu es l'humain, seul, sans assise ni cordage: débrouille- toi. C'est à toi de jouer, à toi de chercher ta pâture, loin de ces origines, de ces matrices, de ces soutiens que jamais tu ne trouveras. Le retour est impossible, on ne se refait pas, personne ne revient à son berceau, tous vont vers leur tombeau.
Il n'y a pas de terre qui t'appartienne. Elle est matière à travail ; elle est l'espace de ton passage ; elle est le lieu de ta disparition. Adieu l'espèce humaine en majesté. Précarité bonjour.
page 103
Un Dieu qui bouge
ou le refus de l’enroulement sur soi
Le Dieu des Écritures, je veux dire le vrai, est fort peu accepté de nos jours. Ni dans nos contrées déchristianisées, sécularisées, ni dans les régions du monde où l'on affecte de l'adorer. C'est du moins mon opinion. Il est trop dérangeant. Il suppose trop de ruptures, de décentrements, de départs. Et cela dans des domaines qui engagent trop. S'il est aisé d'aller faire un tour dans les nuées d'une spiritualité désincarnée, avec les anges, il est moins amusant de se tenir appuyé sur ce Dieu pour traduire sa Parole en actes, elle qui parle de justice, de justesse et de pratique de la fraternité... ce qu’on appelle l'amour dans le langage évangélique, terme qui n'a rien à voir avec un excès d'affect sentimental.
Le Dieu biblique n’accepte ni la domination des uns sur les autres, ni la violence interne des sociétés humaines, ni l'arrogance des grands, ni la démission des petits, ni l'accaparement de la terre et de ses ressources, ni la revendication chauvine et xénophobe d'une patrie, ni le refus des autres. Ni bien d'autres comportements nocifs qui peuvent encore se rencontrer. Il suffit de lire les prophètes pour s'en convaincre, le Seigneur-Dieu, dans la Bible, est férocement hostile à l'arrogance des humains.
Mais c'est là qu'on nous dit : cela est vrai dans I'Ancien Testament, bien sûr, mais le Nouveau Testament est parole d'amour, de pardon, de volonté bonne et de gratuité ! Or c'est une lecture à courte vue, et le Nouveau Testament n'est pas avare de condamnations ou d'annonces d'un jugement fort peu amène. On l'oublie, Jésus n’abolit pas la Loi, il l'accomplit. Il en fait toucher le nerf, à savoir le refus du refus de Dieu, de l'enroulement sur soi-même qui caractérise l'espèce humaine dans sa peur, de la violence mortelle qui naît toujours de ce comportement. Raison pour laquelle, au bout du compte, le Fils de Dieu sera exclu.
Le sablier de Dieu
Dieu, donc, on ne l'accepte pas, on le nie ou, de façon plus sournoise, on le remplace par un ersatz, au choix rassurant, moralisateur ou conservateur. Mais les Écritures témoignent de lui d'une façon fort différente. Elles le font comme en une grande parabole qui suit les aventures d'un Dieu changeant, qui s'adapte toujours aux réactions de ses créatures bien-aimées, dont il ne veut pas se laisser couper parce qu'il s'est engagé à leur égard. Ainsi Dieu bouge, il se déplace en permanence en fonction d'un grand désir qui l'habite.
Toute l'histoire humaine prend alors, suite à ses interventions, la forme d'un sablier : tout large au début, étranglé au centre, et à nouveau totalement élargi à la fin.
Au début, Dieu s'attend à l'amitié de toute l'espèce humaine, et il est déçu. Alors il limite pour un temps son ambition et se façonne un peuple témoin, au sein de l'humanité. Or ce peuple abandonne régulièrement la norme qui avait présidé à sa création. Alors Dieu veut garder pour lui, selon les prophètes, au moins un petit « reste » qui demeurerait fidèle. Mais ce reste se referme sur lui-même.
Si bien qu'enfin, Dieu suscite le dernier fidèle, cet Amen dont je parlais, le seul qui soit dépourvu de cette peur qui toujours sépare de Dieu, l'unique humain qui lui soit totalement attaché. Et cette histoire malheureuse qui, au travers de l'histoire du peuple d'Israël, concerne tous les humains, arrive à son terme avec Jésus : la violence des humains va arriver à son comble, l'unique être humain véritable, accompli, fils de Dieu, va mourir, victime de la haine que les humains se portent à eux-mêmes et qu'ils portent à Dieu. À partir de là, par un acte de puissance créatrice de Dieu, l'histoire se retourne, afin que, de proche en proche, au cours des temps, cette affirmation de l'Amen véritable se vérifie : Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les humains. Voir enfin réunis les humains dans la fraternité est le désir de Dieu, son espoir, selon les Écritures.
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