Théologie radicale
République
d'enfants
A Republic of Children
David
Boulton
du réseau « Sea
of Faith » d'Angleterre
Article publié dans le Guardian du 5 avril 2014
Voir aussi :
David Boulton, La République des cieux
12 septembre 2014
L’idée fait son chemin d’une république des cieux plutôt que du Royaume traditionnel. Elle a été lancée par le romancier Philip Pullman avec sa trilogie traduite en français sous le titre À la croisée des mondes : Deux enfants, Lyra et Will, libèrent leurs mondes respectifs de la puissance de l’Autorité et de son Magistère – Dieu et l’Église. L’Autorité considérait l’humanité comme des sujets et exigeait obéissance à sa parole. Lyra et Will désintégraient son royaume de sorte que les hommes et les femmes devenaient de libres citoyens de la république des cieux. Pullman avait d’abord pensé à nommer le troisième livre de sa trilogie La République des cieux lors de sa parution en 2000.
Il s’est trouvé que j’avais publié l’année précédente un livre très différent : Gerrard Winstanley and the Republic of Heaven, (Gerrard Winstanley et la République des cieux), étude de Digger, True Leveller and Quaker, ouvrage du 17e siècle présentant l’utopie d’une République anglaise fondée sur la possession collective de la terre. Certains lecteurs avaient pensé que l’idée de la république des cieux appartenait à Winstanley. Mais cette formulation était mon œuvre et désignait la notion révolutionnaire de propriété collective.
Winstanley et Pullman avaient en commun la vision de la mort de la royauté. Que nous décapitions le roi ou que nous le (ou la) reléguions dans un rôle de figuration sans pouvoir, nous cessons, dans une démocratie moderne, d’être des sujets et nous devenons de libres citoyens.
Mais qu’en est-il du Roi des rois et du Seigneur des seigneurs ? Que faisons-nous de la royauté de la divinité ?
Abandonnez-la, disait Winstanley. Sur le plan politique, il prônait l’abolition de tout ce qui restait du pouvoir royal après l’exécution du roi Charles Ier, c’est-à-dire tout le système administratif et toute la hiérarchie de l’Église qui dépendaient de l’autorité royale.
Sur le plan religieux, il détrônait Dieu lui-même et lui substituait la Raison : « Au commencement... le grand Créateur, la Raison, créa la terre et en fit le bien commun de tous. »
Si la royauté terrestre était devenue obsolète, c’était bien davantage encore le cas de la royauté divine sur laquelle se fondait la monarchie terrestre.
Que pouvait signifier – que peut signifier aujourd’hui - de concevoir Dieu en seigneur féodal auquel il convient d’être soumis ?
Pas de roi, pas de royaume. Le royaume des cieux lui-même devient une république où les citoyens sont rois. Une république où nous avons la responsabilité de créer un monde meilleur, sur la terre comme au ciel, au lieu de l’abandonner aux mains de l’Autorité.
Dans mon nouveau livre, The Trouble with God: Religious Humanism and the Republic of Heaven (le problème avec Dieu : l’humanisme religieux et la République des cieux), je réfléchis à ce que pourrait être une république des cieux. A ma propre surprise – et peut-être à celle de mes amis humanistes religieux, je découvre qu’elle ne serait pas très différente du Royaume des cieux tel que Jésus l’a décrit il y a 2000 ans.
Le terme grec basileia que l’on traduisait par « royaume » était l’objet d’un débat intense au 1er siècle avant JC dans tout l’Empire romain, notamment dans le monde du judaïsme hellénistique.
Dans le Jésus historique, Dominique Crossan écrit que l’objet du débat n’était pas les problèmes posés par certains rois ou certains royaumes, mais la question du pouvoir : qui doit gouverner et comment.
Ce que Jésus semble avoir fait, pour autant que nous puissions le saisir à travers les témoignages de ses disciples une génération ou deux après sa mort, a été d’apporter sa propre contribution au débat sur le royaume. Il n’a pas développé d’exégèse savante, ne s’est pas lancé dans des polémiques philosophiques ou des critiques littéraires. Il a énoncé des paraboles et des aphorismes, posé des questions qui révélaient une conception du royaume totalement inversée : un royaume n’appartenant à personne, disait Crossan, où les défavorisés, les malheureux, ceux dont on rit, étaient à l’aise.
Mais Jésus n’a proclamé aucune loi (comme on s’attendrait à ce qu’un roi le fasse). Ses paraboles et ses enseignements étaient toujours ambigus. Il demandait à ses disciples de s’appliquer à comprendre les choses : et qu’entende celui qui avait des oreilles pour entendre.
Comme tout bon narrateur, il appelait ceux qui l’écoutaient à donner eux-mêmes un sens aux énigmes qu’il proposait. Il ne proposait pas de plan tout fait, il ne rédigeait pas de constitution, il n’écrivait rien.
En effet, si nous voulons être de libres citoyens, nous devons accepter les obligations et les responsabilités de la liberté ; nous devons construire nous-mêmes notre propre avenir. Crossan souligne le rôle des sans pouvoir.
Longtemps auparavant, Ernest Renan dans sa Vie de Jésus (1863), suggérait que le royaume de Dieu était destiné en priorité aux enfants et à ceux qui leur ressemblaient.
C’est la même importance attachée aux enfants que Philip Pullman fait sienne lorsqu’il remplace le royaume par la république. Le monde imaginaire des enfants avec leurs nuages de gloire, est, pour lui, l’indispensable fondement de la république des cieux.
La république des cieux n’est pas, après tout, si différente du royaume. Mais elle est un royaume où l’Autorité est démocratisée de sorte que ce qui était auparavant de la responsabilité du roi soit désormais de notre propre responsabilité.
La notion de république des cieux reprend beaucoup d’éléments du royaume : l’atmosphère de paix dont parle le prophète Esaïe, la parole de Jésus selon laquelle toutes les larmes seront essuyées, l’annonce de Jean d’une Nouvelle Jérusalem.
Mais ce que la république des cieux ne reprend absolument pas est la soumission sans critique et l’obéissance inconditionnelle à un seigneur divin et roi. La seigneurie et la royauté sont des notions du passé, dans le ciel et sur la terre.
Lyra et Will voyaient cela avec leurs yeux d’enfants et avaient foi en un esprit pleinement humain. Telle est bien la république des cieux !
Traduction Gilles
Castelnau
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