Spiritualité
L'Être nouveau
Paul Tillich
Ce qui importe
ce n'est ni la circoncision ni
l'incirconcision
c'est une création nouvelle
Galates 6.15
5 septembre 2006
Si l'on me demandait de
résumer en deux mots pour notre temps le
message chrétien, je dirais avec
Paul : C'est l'annonce d'une « nouvelle
Création ».
Si quelqu'un est uni au Christ
il est un être nouveau
l'ancien état de choses est passé
voici il y a un nouvel état de choses
2 Corinthiens 5.17
Le christianisme est
l'annonce de la création nouvelle,
de l'être nouveau, de la réalité nouvelle,
apparue avec la présence de Jésus, lequel pour
cette raison et précisément pour cette raison,
est appelé le Christ. Car le Christ, autrement
dit, le messie, l'élu et l'oint, c'est celui qui
apporte un nouvel état de choses
Nous vivons tous dans l'ancien état de choses
et notre texte nous demande avec
insistance : participons-nous aussi à la
création nouvelle ? Nous appartenons à
l'ancienne création et le christianisme nous
demande de participer aussi à la création
nouvelle. Nous avons appris à nous connaître
dans notre être ancien ; au cours de cette
heure nous allons nous demander si nous avons
aussi fait l'expérience d'un être nouveau.
Quel
est cet être nouveau ?
Paul répond d'abord en
disant ce qu'il n'est pas. Ce
n'est ni la circoncision, Ni l'incirconcision.
Cela signifie pour Paul et pour les lecteurs de
sa lettre quelque chose de bien défini. Cela
signifie qu'être juif ou païen n'a pas
d'importance ultime, et que seul compte le fait
d'être uni à celui en qui la réalité nouvelle
est présente.
Circoncision et incirconcision, qu'est ce que
cela signifie pour nous ? Cela signifie
quelque chose de très défini et en même temps de
très universel. Cela signifie qu'aucune religion
comme telle ne crée l'être nouveau. La
circoncision est un rite religieux observé par
les juifs ; les sacrifices sont des rites
religieux observés par les païens ; le
baptême est un rite religieux observé par les
chrétiens. Tous ces rites importent peu, seule
importe une création nouvelle. Et puisque dans
le langage de Paul ces rites représentent la
religion dont ils sont une partie, nous pouvons
dire :
Aucune religion n'a
d'importance, seul importe un état de choses
nouveau. Réfléchissons à cette
affirmation saisissante de Paul. Elle déclare
premièrement que le christianisme est plus
qu'une religion ; c'est l'annonce de la
création nouvelle.
Le christianisme comme religion n'est pas
important ; il est comme la circoncision ou
l'incirconcision, ni plus, ni moins !
Pouvons-nous imaginer les conséquences de cette
déclaration de l'apôtre pour notre
situation ?
Dans le monde présent, le christianisme
rencontre diverses formes de circoncision et
d'incirconcision.
La circoncision peut représenter aujourd'hui ce
qu'on appelle la religion et l'incirconcision ce
qu'on appelle la laïcité, avec ses exigences
quasiment religieuses.
À côté du
christianisme, existent de grandes
religions : l'hindouisme, le
bouddhisme, l'islam et ce qui demeure du
judaïsme classique ; ces religions ont
leurs mythes et leurs rites autrement dit leur « circoncision » - qui
leur donnent leurs caractéristiques propres.
Existent aussi des mouvements laïques, tels le
fascisme et le communisme, l'humanisme laïque et
l'Idéalisme éthique.
Ces mouvements s'efforcent d'écarter les mythes
et les rites et représentent autrement dit
l'incirconcision.
Ils prétendent à la vérité ultime et exigent
une complète consécration. Comment le
christianisme se tournera t-il vers eux ?
Leur dira-t-il : Venez à nous, nous sommes
la meilleure des religions ; notre genre de
circoncision ou d'incirconcision est supérieure
au vôtre ? Faut-il louer le christianisme
comme s'il était notre style de vie, religieux
et laïc ? Faut-il transformer le message
chrétien en récit de réussite, et dire à la
façon de la publicité :
Faites-en l'essai auprès de nous et vous verrez
que vous ne pourrez plus vous en passer !
Certains missionnaires, certains clercs et
certains laïcs font usage de pareilles méthodes.
Ils montrent leur totale incompréhension du
christianisme.
L'apôtre, qui fut à la fois un missionnaire, un
clerc et un laïc déclare quelque chose de bien
différent. Il dit : aucune religion
particulière n'a d'importance, ni la nôtre, ni
la vôtre ; par contre, je peux vous dire
que quelque chose d'important est arrivé,
quelque chose qui nous juge vous et moi, votre
religion et la mienne : une création
nouvelle est intervenue, un être nouveau est
apparu ; nous sommes tous appelés à y
participer.
Quand nous rencontrons
des païens et des juifs nous
devrions leur dire : Ne comparez pas votre
religion à notre religion, vos rites à nos
rites, vos prophètes à nos prophètes, vos
prêtres à nos prêtres, vos saints à nos saints.
Cela n'a pas de sens ! Et surtout ne pensez
pas que nous voulons vous convertir au
christianisme anglais ou américain, ou à la
religion du monde occidental. Nous ne voulons
pas vous attirer à nous ni même aux meilleurs
d'entre nous. Cela ne servirait à rien !
Nous voulons seulement vous montrer ce que nous
avons vu et vous dire ce que nous avons
entendu : il y a une nouvelle création au
milieu de l'ancienne création et cette nouvelle
création est manifeste en Jésus qu'on appelle le
Christ.
Quand nous rencontrons
des fascistes et des communistes,
des humanistes scientistes et des représentants
de l'éthique idéaliste, nous devrions leur
dire : Ne vous vantez pas trop de n'avoir
pas de rite ni de mythe, d'être libérés de la
superstition et d'être parfaitement rationnels, « incirconcis »
en tout sens du terme. En premier lieu, vous
avez vous aussi vos rites et vos mythes, et
votre petite circoncision ; ils sont même
très importants pour vous. Si vous en étiez
complètement libres, vous n'auriez pas besoin de
mettre en évidence votre in-circoncision. Cela
n'a pas de sens !
Ne pensez pas que nous voulons vous détourner de
la laïcité pour vous tourner vers la religion,
que nous voulons faire de vous des religieux,
membres d'une religion supérieure, la religion
chrétienne, et en son sein d'une grande
dénomination, la nôtre ! Cela n'aurait pas
de sens. Nous voulons seulement vous faire
connaître l'expérience que nous avons faite ici
et maintenant, dans le monde, celle d'une
nouvelle création, souvent cachée, parfois
manifeste, mais assurément manifeste en Jésus
qu'on appelle le Christ.
C'est de cette manière que nous devrions nous
adresser à ceux qui, religieux ou laïques, se
tiennent en dehors de la sphère du
christianisme. Nous ne devrions pas trop nous
préoccuper de la religion chrétienne, de l'état
des Églises, de leur fréquentation, de leurs
doctrines, de leurs institutions, de leurs
ministres, de leurs sermons et de leurs
sacrements.
C'est la « circoncision »
et son absence, la sécularisation, aujourd'hui
répandue de plus en plus dans le monde, c'est l'« incirconcision ».
L'une et l'autre sont sans importance si l'on
pose la question ultime, la question de la
réalité nouvelle. Cette question infiniment
importante devrait nous préoccuper plus que tout
sous le ciel et sur la terre. La création
nouvelle - c'est notre préoccupation
ultime : elle devrait nous passionner
infiniment - elle est la passion infinie de
tout être humain.
Comparativement, la religion ou l'a-religion,
le christianisme ou le non-christianisme,
importent très peu - et comptent pour rien
ultimement.
Permettez-moi
maintenant de vanter un instant le fait que
nous sommes chrétiens ;
soyons fous de vantardise, comme le dit Paul
quand il commence à se vanter. Il est important
qu'étant chrétien on puisse soutenir l'idée que
cela n'a pas d'importance. La puissance
spirituelle de la religion permet à celui qui
est religieux de considérer sans crainte la
vanité de la religion. Le fruit le plus mûr la
pensée chrétienne consiste à comprendre que le
christianisme en tant que tel n'a pas de sens.
Voilà de la vantardise, non pas une vantardise
personnelle, mais une vantardise à propos du
christianisme. Comme vantardise, c'est une
folie. Mais comme vantardise relativement au
fait qu'il n'y a pas de quoi se vanter, c'est de
la sagesse et de la maturité. Avoir sans avoir
- est une attitude juste à l'égard de tout
ce qui est grand et merveilleux dans la vie,
même à l'égard de la religion et du
christianisme. Par contre, ce n'est pas une
attitude juste à l'égard de la création
nouvelle. L'attitude juste a l'égard de la
création nouvelle est un désir passionné et
infini.
Soulevons
de nouveau la question
quel est cet être nouveau ?
L'être nouveau n'est
pas quelque chose qui remplacerait
simplement l'être ancien. C'est
un renouveau de l'ancien, lequel a été corrompu,
déformé, divisé, presque détruit, mais pas
détruit complètement. Le salut ne détruit pas la
création ; il fait de l'ancienne création
une création nouvelle.
Aussi faut-il parler du nouveau en termes de
re-nouveau du triple « re »
de la re-conciliation,
de la re-union,
de la re -surrection.
Paul associe dans sa lettre la création
nouvelle et la réconciliation. Le message de la
réconciliation est : Soyez réconcilié avec
Dieu. Cessez de lui être hostile, car jamais il
n'est hostile envers vous. Le message de la
réconciliation n'est pas que Dieu a besoin
d'être réconcilié. Comment pourrait-il
l'être ? Il est la source et la puissance
de la réconciliation, qui pourrait le
réconcilier ? Mais païens, juifs, et
chrétiens - nous avons tous essayé et
essayons encore de nous réconcilier avec lui à
l'aide de rites, de sacrements, de prières et de
services, d'actions morales et d'œuvres de
charité. Si nous tentons de le faire, si nous
essayons de lui donner quelque chose, de lui
montrer des bonnes œuvres pour l'apaiser, nous
échouons. Il n'y en a jamais assez ! Nous
ne pouvons jamais le satisfaire ;
l'exigence est infinie. Du fait que nous ne
pouvons pas l'apaiser, nous devenons hostiles
envers lui. N'avez-vous jamais remarqué la somme
d'hostilité envers Dieu qu'on trouve dans les
profondeurs de gens honnêtes et bons qui
excellent en œuvres de charité, en piété et en
zèle religieux ?
Chacun est hostile,
consciemment ou inconsciemment,
envers ceux dont il se sent rejeté. Tout le
monde se trouve ans cette situation, que l'on
nomme « Dieu », « nature », « destin » ou « condition
sociale » ce qui nous rejette.
Chacun éprouve de l'hostilité envers l'existence
dans laquelle il est jeté, envers les puissances
cachées qui déterminent sa vie et celle de
l'univers, envers ce qui le rend coupable et le
menace de destruction parce qu'il est devenu
coupable. Nous nous sentons tous rejetés et
hostiles envers ce qui nous a rejeté. Nous
essayons de l'apaiser et l'échec nous rend
encore plus hostiles encore. Cela se produit
souvent à notre insu.
Mais il y a deux symptômes que nous ne pouvons
pas éviter de voir : l'hostilité envers
nous-même et l'hostilité envers les autres. On
parle souvent de l'orgueil, de l'arrogance, de
la suffisance et de la complaisance des gens.
C'est souvent le niveau le plus superficiel de
leur être. En dessous, au niveau plus profond,
il y a un refus de soi, un dégoût et même une
haine de soi. Soyez réconciliés avec Dieu
signifie aussi : soyez réconciliés avec
vous-mêmes ! Car nous ne le sommes
pas ; nous cherchons à nous apaiser
nous-mêmes. Nous-nous efforçons de nous rendre
plus acceptables. Celui qui se sent rejeté par
Dieu et qui se rejette se sent aussi rejeté par
les autres. Plus il éprouve d'hostilité envers
son destin, plus il en éprouve envers lui-même
et envers les autres.
S'il nous arrive d'être saisi d'horreur devant
l'hostilité inconsciente ou consciente que les
autres trahissent à notre égard, ou en
découvrant notre propre hostilité envers ceux
que nous croyons aimer, n'oublions pas qu'eux
aussi se sentent rejetés par nous et que
nous-nous sentons rejetés par eux. Ils se sont
efforcés de se faire accepter et ils ont échoué.
Nous nous sommes efforcés de nous faire accepter
et nous avons échoué. Leur hostilité comme la
nôtre s'accroît.
Soyez réconciliés avec
Dieu ! Cela signifie
aussi : soyez réconciliés avec les
autres ! Mais cela ne signifie pas :
essayez de vous réconcilier avec les
autres ! Cela ne signifie pas non
plus : essayez de vous réconcilier avec
vous-mêmes ! Essayez de vous réconcilier
avec Dieu, vous échouerez ! Voici le
message :
Une nouvelle réalité est apparue au sein de
laquelle vous êtes réconciliés. Nous n'avons
rien à montrer pour entrer dans l'être
nouveau ; nous devons seulement nous ouvrir
pour qu'il nous saisisse.
Rien à
montrer !
Le premier signe de la
réalité nouvelle est d'être réconcilié,
le second signe est d'être réuni. La
réconciliation rend possible la réunion. La
nouvelle création est la réalité qui réunit ce
qui est séparé. L'être nouveau s'est manifesté
en Christ parce chez lui la séparation ne l'a
jamais emporté sur son unité avec Dieu, avec
l'humanité et avec lui-même. C'est ce qui
confère à l'image que les évangiles présentent
de lui une puissance irrésistible et
inépuisable. Nous découvrons en lui une vie
humaine qui maintient l'unité en dépit de tout
ce qui la pousse à la séparation.
Il représente et médiatise la puissance de
l'être nouveau, parce qu'il représente et
médiatise la puissance d'une unité
ininterrompue.
Là où apparaît la réalité nouvelle, on se sent
uni à Dieu, fond et sens de toute existence. On
éprouve ce qu'on appelait jadis l'amour du
destin ; ce qu'on pourrait appeler
aujourd'hui, le courage d'assumer sa propre
angoisse. On fait alors l'expérience étonnante
d'être uni à soi, non dans l'orgueil et la
suffisance, mais dans l'acceptation profonde de
soi. On s'accepte soi-même comme une réalité
d'une importance éternelle, éternellement aimée,
éternellement acceptée. Le dégoût de soi, la
haine de soi disparaissent. La vie trouve un
centre, une direction, un sens. Toute guérison
- physique ou mentale - crée une
réunion de soi avec soi. Là où intervient une
véritable guérison, là est l'être nouveau, la
création nouvelle. Mais pour qu'advienne une
guérison véritable il ne suffit pas qu'une
partie du corps ou de l'esprit soit réuni à
l'ensemble, il faut que cet ensemble
- notre être entier notre personnalité
entière - soit uni à lui-même. La nouvelle
création est une création qui guérit, parce
qu'elle réuni à soi et qu'elle réunit aux
autres. Rien de plus caractéristique de l'ancien
être que la séparation entre les hommes.
Rien n'est recherché
plus passionnément que la guérison de la
société, que l'être nouveau au
sein de l'histoire et dans les relations
humaines. La lourde accusation de n'avoir pas
contribué à l'union de l'humanité pèse
lourdement sur la Religion et sur le
christianisme. Qui peut nier le bien fondé de ce
défi ? Néanmoins, l'humanité continue de
vivre, et elle ne vivrait plus si la puissance
de la réunion, de guérison, de la création
nouvelle ne l'emportait en permanence dans
l'histoire humaine sur la séparation.
Chaque fois que l'un de nous est saisi par un
visage humain en tant qu'humain, chaque fois que
sont surmontés des répugnances personnelles, des
préjugés raciaux, des conflits nationaux, la
différence des sexes, de l'âge, de la beauté, de
la force, de la connaissance et beaucoup
d'autres causes de séparation - alors
advient la création nouvelle ! L'humanité
ne vit que parce que cela se produit sans cesse.
Si l'Église, en tant qu'assemblée de Dieu a une
signification ultime, elle-ci tient au fait
qu'on y proclame, qu'on y reconnaît, et qu'on y
réalise, même partiellement, dans la faiblesse
et les distorsions, la réunion des l'humains les
uns avec les autres.
L'Église est le lieu où la réunion de l'homme
avec l'homme se produit effectivement, en dépit
du fait que l'Église de Dieu soit trahie
continuellement par les Églises chrétiennes.
Trahie et repoussée, la création nouvelle sauve
et maintient les Églises, l'humanité et
l'histoire, qui pourtant la trahissent et la
repoussent.
L'Église, comme tous
ses membres, rechute de l'être nouveau dans
l'ancien être. C'est pourquoi le
troisième signe de la création nouvelle est la re-surrection.
Le mot « résurrection »
évoque auprès de beaucoup un cadavre surgissant
de la tombe, ou tout autre image fantastique. Or
le mot « résurrection »
désigne le triomphe d'un état de choses nouveau,
la naissance d'un être nouveau à partir de la
mort de l'ancien. La résurrection n'est pas un
événement qui pourrait se produire dans un
certain futur lointain, elle est, ici et
maintenant, aujourd'hui et demain, la puissance
de créer la vie à partir de la mort de l'être
nouveau,
Là où est l'être nouveau, là est la
résurrection, autrement dit la création
éternelle de tout moment du temps. L'être ancien
porte la marque de la désintégration et de la
mort. L'être nouveau place une marque nouvelle
sur l'ancien. De la désintégration et de la mort
naît une réalité d'une signification éternelle.
Ce qui fut immergé dans la dissolution émerge
dans la création nouvelle. La résurrection se
produit maintenant ou jamais. Elle se produit en
nous et autour de nous, dans l'âme, dans
l'histoire, dans la nature et dans l'univers.
Réconciliation,
réunion, résurrection
- telle est la création nouvelle, l'être
nouveau, l'état de choses nouveau.
Y participons-nous ?
Le message du christianisme n'est pas le
christianisme, mais une réalité nouvelle. Un
état de choses nouveau est apparu. Il apparaît
encore. Il est caché et il est visible, il est
ici et il est là.
Acceptez-le, entrez et laissez-vous saisir par
lui.
Traduction
Jean-Marc Saint
Vos commentaires et
réactions
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