Libre opinion

L'aventure intérieure
Les mots-compagnons de mes chemins
Jacques Musset
Ed. Karthala
226 pages
Recension Gilles Castelnau
22 août 2013
Jacques Musset dont plusieurs textes sont publiés sur ce site aime écrire sa vie, sans prétention, au fur et à mesure qu'elle se déroule. Il publie ici ses notes, ses petits et ses grands événements, ses choix, ses réflexions, ses engagements, en les classant, un peu arbitrairement, sous ce qu'il appelle les mots-clés, termes qu'il affectionne particulièrement et qui le conduisent dans ses pensées.
En voici quelques pages.
page 9
Introduction
Écrire ainsi a été pour moi, comme toujours, un exercice de présence à moi-même pour prendre conscience davantage de ce que je suis, d'où je viens, de quels terreaux je suis pétri, de quels événements, de quelles rencontres, de quelles crises je suis issu, à quelles bienfaisantes résiliences je dois d'être devenu un homme couvert de cicatrices mais bien vivant.
[...]
En me livrant avec plaisir à cet « exercice », j'invite chaque lecteur à faire de même. Laissez venir à votre conscience vos mots-compagnons qui traduisent le mieux ce qui vous anime, vous stimule, vous tient éveillés. Vous aurez la joie de mieux percevoir les sentiers sur lesquels vous marchez depuis des années, parfois avec aisance, parfois malaisément. Vous découvrirez davantage les paysages dans lesquels se meut votre existence ainsi que les horizons qui vous appellent à demeurer sans cesse en mouvement.
Car le bonheur est dans la marche intérieure.
page 26
Cheminer
Moi aussi j'ignorais totalement de quoi serait faite ma vie lorsqu'à onze ans je franchis les portes du petit séminaire pour devenir prêtre. Il me semblait que je n'avais qu'à suivre un chemin tout tracé d'avance au bout duquel je serais ordonné prêtre et exercerais comme mon vieux curé la charge d'une paroisse. Je baptiserais, ferais le catéchisme, prêcherais, dirais la messe, irais voir les malades, donnerais aux mourants l'extrême onction, présiderais leur sépulture et les conduirais au cimetière comme j’avais vu faire le prêtre dont j'avais été le choriste. Durant près de vingt ans, j'ai eu cet horizon devant moi. J’étais né dans un monde et une chrétienté immobiles. Il allait de soi que je reproduise le modèle clérical que j'avais sous les yeux et qui dans la région nantaise se portait à merveille dans les années 1950. Je n'étais pas pour autant spécialement pieux. Tout en manifestant quelques signes d’indépendance d’esprit, je marchais dans les clous en matière de doctrine et de rites.
page 52
Durer
Quand, dans les années 1970, je me suis retrouvé dans une crise d'identité humaine, chrétienne et sacerdotale, j'ai réalisé que, des décombres où je me trouvais, ma reconstruction ne pourrait se faire qu'avec le temps. De fait, il m'a fallu de longues années pour commencer à me réédifier sur des bases solides, car je souhaitais comprendre et vérifier où je mettais les pieds. J'ai eu la chance, comme formateur biblique, d'avoir du temps pour étudier les textes de la Bible juive et des évangiles grâce aux travaux des exégètes, ces chercheurs qui depuis deux siècles en décryptent les significations.
Peu à peu ces vieux textes se sont éclairés et j’ai pu à mon tour aider des chrétiens à dépasser leur lecture fondamentaliste et acquérir des clés de compréhension. En même temps, je revisitais d’une manière critique la doctrine catholique pour me réapproprier mon héritage chrétien dans la modernité. J’ai lu, j’ai réfléchi seul et avec d’autres, et progressivement la lumière s’est faite à propos de bien des questionnements et des objections que je formulais. Le livre que je viens de publier : « Être chrétien dans la modernité, réinterpréter l’héritage pour qu’il soit crédible est le résultat de ma démarche. Sans les heures consacrées à cette entreprise qui pour moi était vitale, je n'aurais pas pu la conduire à terme, On m'a parfois traité dans l'Église d'intellectuel - mot de reproche sous-entendant que je vivais dans les idées. Je n'ai jamais pu répondre que ceci :
« J'ai besoin de cette démarche pour demeurer disciple de Jésus et membre de l'Église, même si j'y occupe une place marginale. Il m'est impossible de vivre sans réfléchir.
Lorsque j'ai dû « quitter la prêtrise » pour vivre publiquement avec celle qui est devenue ma femme, il m'a fallu me recycler professionnellement. Or je n'avais jamais rien fait d'autre que mon métier de prêtre. Il se trouve que j'ai été embauché à 49 ans comme vacataire dans un institut de formation permanente travaillant en milieu hospitalier. On me demandait d'animer des stages sur l'accompagnement des personnes en fin de vie, sur l'écoute des malades et des familles, puis plus tard sur la conduite des entretiens d'évaluation. C'était des domaines nouveaux dans lesquels je ne m'étais jamais impliqué. J'ai accepté non sans crainte. Étais-je sérieux de me lancer à mon âge dans pareille entreprise ?
page 147
Questionnement
« En doutant, nous venons à la recherche et en cherchant nous percevons la vérité. »
Pierre Abélard, XIIe siècle
(né en pays nantais)
Il vaut mieux mourir avec de bonnes questions que terminer sa vie avec des réponses invérifiables.
Je suis né et j'ai été élevé dans les langes d'une société rurale et catholique où tout semblait défini une fois pour toutes. Politiquement et socialement, on était à droite. La valeur essentielle était le respect de l'ordre établi. Tout ce qui sentait la contestation, les idées nouvelles, la remise en cause des principes ou des idéologies en vigueur était suspect. On était ami-franc-maçon, anti-juif, anti-communiste, anti-syndicat de gauche sans avoir jamais vu un spécimen de ces catégories, qui étaient synonymes de mensonge, de révolution et de subversion. Religieusement, on était également foncièrement conservateur. Le catéchisme catholique à l'usage des diocèses de France que j'ai appris était divisé en trois parties : les vérités à croire, les sacrements à recevoir, les commandements à pratiquer. Il procédait par questions et réponses. Tout était dit dans les réponses de ce qu'il fallait savoir et faire pour être un bon chrétien. Il n'y avait pas à s'interroger mais seulement à apprendre par cœur et à adhérer, sans l'ombre d'un doute, à la doctrine énoncée. Douter c'était, nous disait-on, entrer dans le jeu du diable, risquer de perdre la foi et au bout du compte compromettre son salut éternel. L’obéissance était la voie royale pour éviter l’enfer et gagner le ciel.
[...]
Mes premiers questionnements se firent jour en classe de seconde. Notre professeur d'histoire était un homme d'une grande honnêteté intellectuelle et d'une immense culture, et il savait de plus captiver notre attention en émaillant son cours d'anecdotes illustrant ses propos. De plus, il était d'un abord accessible sur la cour de récréation : nous pouvions sans crainte deviser avec lui sur n'importe quel sujet. Quand nous avons étudié le XVIe siècle, il ne nous cacha pas la situation pitoyable de l'Église catholique minée de l'intérieur par toutes sortes de déviances. Dans ce contexte, les revendications de réforme du moine allemand Luther étaient tout à fait pertinentes. Il s'agissait d'un retour de l'Église à sa source évangélique. Ce fut pour moi une prise de conscience fulgurante. On m'avait caché jusque-là la vérité. Ainsi, Luther, présenté comme un infâme personnage, grossier et débauché, était en réalité un passionné de l'Évangile que les circonstances seules avaient contraint en conscience à quitter l'Église catholique. Je date de cette époque l'avènement en moi d'un début d'esprit critique.
page 201
Souffle
À partir du moment où j'ai commencé à prendre la vie au sérieux, autour de mes vingt ans, je n'ai cessé vaille que vaille de me laisser interroger et conduire par ce Souffle intérieur qui prenait la forme de questionnements, de désir d'authenticité, d'attrait pour des relations justes avec les autres, de volonté de comprendre et donc de penser librement. Je n'ai pas toujours été, loin s'en faut, au rendez-vous, mais j'ai cependant tenté au long des années de ne pas céder à la moutonnerie, à la conformité ambiante, aux pseudo-évidences, aux modes et aux mondanités sociales, autant d'impasses mortifères. J'ai toujours eu en horreur l'argument d'autorité s'imposant comme la Vérité. En revanche, j'ai toujours chéri la démarche d'esprit critique qui consiste à discerner, à évaluer ce qui mérite d'être retenu et rejeté, à prendre position en conséquence.
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