Libre opinion
J’ai l’honneur
de ne pas te demander ta main...
pour tous
Le billet de François Morel
France Inter
18 janvier 2013
18 janvier 2013
Anatole et Jérémie se connaissent depuis 10 ans. Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’université. Ils habitent ensemble depuis 3 ans et ils n’envisagent toujours pas de passer devant monsieur le Maire.
Les parents d’Anatole sont assez traditionnalistes. Ils pensent qu’il faudrait régulariser la situation.
Les parents de Jérémie sont plus libéraux. Le principal c’est qu’ils soient heureux a dit Héloïse, la maman de Jérémie. Et puis a conclu Vincent, le papa de Jérémie, s’ils se marient pour divorcer l’année prochaine...
Objectivement, les parents de Jérémie n’ont pas tout à fait tort. Leurs meilleurs amis, Vanessa et Marion, mariées au mois de mai, avaient divorcé en novembre. C’était bien la peine d’avoir fait tant de façons, tant de tralalas, bristol, tenue de soirée et location du grand Véfour.
Nous sommes en 2053. Le Mariage pour Tous a été autorisé il y a 40 ans seulement. Cela semble une éternité aujourd’hui ; il est entré dans les mœurs.
Figurez-vous qu’à l’époque, les grands-parents d’Anatole avaient défilé contre ! En 1982 ils s’étaient même opposés à la dépénalisation de l’homosexualité par Badinter, puis, à la veille de l’an 2000, ils avaient combattu le Pacs, contre toute raison.
Comiquement, au moment du mariage pour tous, ils avaient défendu le Pacs, il ne fallait pas chercher à comprendre. Ils avaient toujours un omnibus à impériale, un tramway, un métro, un combat de retard.
Aujourd'hui, en 2053 plus personne ne s’oppose au mariage pour tous. Au contraire, il est considéré comme le ciment de la société. Même les parents d’Anatole ont, comme chacun adopté les usages nouveaux du monde moderne.
Anatole et Jérémie s’aiment mais ne veulent pas se marier. Anatole a trouvé par hasard les paroles d’une vieille chanson qui a ému Jérémie :
« J’ai l’honneur de ne pas te demander ta main
Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin ».
Mais les parents d‘Anatole ne sont pas d’accord. Surtout Florian, le papa d’Anatole, qui s’est fâché tout rouge :
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« C’est une question de respect de l’un vis-à-vis de l’autre, c’est une question d’engagement, de prise de responsabilité. Sinon c’est trop facile »
Il a même ajouté que s’ils persistaient à vivre à la colle, par conséquent dans le péché, c’était pas la peine de revenir à la maison.
Emmanuel, l’autre papa d’Anatole, lui, est moins radical. Il préférerait bien sûr que Jérémie et lui se marient, surtout à cause du qu’en dira-t-on, mais, sans doute est-il plus philosophe. On se construit souvent en s’opposant à ses parents, a-t-il fait remarquer à Florian son mari. Et puis, dit-il, après tout, il faut bien que jeunesse se passe.
« Nous-mêmes, souviens-toi... ! »
Le problème c’est qu’Anatole et Jérémie ne sont plus précisément des perdreaux de l’année : Anatole a 32 ans et Jérémie 36. Et c’est Jérémie, en cas de fécondation qui porterait l’enfant du couple. Vous imaginez à l’école ce que devrait endurer un enfant de deux garçons non mariés !
Laissons Anatole et Jérémie prendre leur décision à leur rythme. Ils s’aiment, ils sont heureux ensemble, ils ont des amis, un bon travail. Dans l’idéal ils voudraient ne se fâcher avec personne.
Bien sûr Anatole trouve ses parents Florian et Emmanuel un peu réacs, un peu vieille France. Mais ce sont ses parents et il les aime. Ce matin il leur a envoyé cette vieille chanson qu’il a trouvée et qui saura, espère-t-il, les émouvoir :
« Ma mie, de grâce ne mettons pas
Sous la gorge à Cupidon sa propre flèche.
Tant d’amoureux l’ont essayé,
Qui de leur bonheur ont payé ce sacrilège. »
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