Libres opinions
11 manières de
comprendre le christianisme
Théologie du
process
André
Gounelle
professeur à la
Faculté de théologie protestante de Montpellier
Voir sur ce site le portail théologie du process
Le terme de
« process » caractérise ce qui est en train de se dérouler, en
train de se faire, de se créer, il ne s'agit donc pas d'un
procès au sens juridique ; en philosophie, le mot
français « procès » correspond à « process » mais
il vaut mieux parler de « processus ». Il s'agit d'un mouvement ; quelque chose qui
est en train de s'écouler. L'écoulement d'un fleuve est
un « process ».
Il s'agit d'une théologie
américaine que j'ai
découverte il y a quelques années. J'avais beaucoup
travaillé sur les théologies de la « mort de Dieu », je trouvais qu'elles posaient de très
réelles questions et émettaient des critiques
fondées contre la doctrine traditionnelle de Dieu... De
l'autre côté on ne donnait pas de réponses
satisfaisantes à ces théologies de la mort de Dieu.
Il s'agit d'un christianisme sans transcendance. Le Christ n'y
renvoie pas à Dieu mais donne à I'homme une image de ce
qu'est la vie authentique. Ces théologies développent
une critique de la doctrine traditionnelle de Dieu qui, à
certains égards me paraît juste, bien que je sois
profondément théiste, croyant en Dieu. J'étais
vraiment insatisfait et mécontent des réponses que leur
donnaient les milieux catholiques et protestants
traditionnels.
C'est alors que j'ai découvert
John Cobb, un des théologiens
du process. Whitehead quant à lui est un mathématicien qui a
enseigné en Angleterre jusque vers les années 34-35,
puis est allé enseigner, la philosophie aux États-Unis.
C'est à partir de sa formation mathématique qu'il a
essayé de penser autrement le réel. Il s'est
efforcé de ne pas penser le réel comme fixe, solide. Il
ne voit pas dans le monde un ensemble de substances stables, d'objets
immuables, mais au contraire quelque chose qui s'écoule, comme
le temps qui se fait et se défait, qui n'existe que par des
rencontres, des relations.
Nous sommes tous faits de relations ; ce que nous sommes surgit
dans nos rencontres les uns avec les autres ; nous n'existons
que les uns par rapport aux autres. Nous nous inscrivons dans le
temps, nous ne cessons d'évoluer.
Cette théorie provient donc d'un
scientifique, élaborant sa
pensée non seulement sur les mathématiques mais sur les
sciences de la nature et la biologie. Cette pensée
réconcilie en quelque sorte science et foi. Whitehead avait
pour élève le célèbre
mathématicien Russel ; ensemble ils ont écrit « Principes
mathématiques » qui
comprend trente mille théorèmes l'un après
l'autre ! Ils projetaient d'écrire une suite à ce
livre mais n'y ont pas réussi à cause de leurs
conceptions différentes sur l'existence de Dieu. Whitehead en
était arrivé à un stade de sa recherche
où il ne pouvait plus expliquer la réalité du
monde sans l'hypothèse « Dieu ». Il
avait besoin de cette réalité transcendante qui
dépasse l'expérience.
Les théologiens du process soulignent volontiers que dans le
domaine de la science on propose des hypothèses. Ainsi les
grandes théories sur la formation du monde. Une
hypothèse faisant appel à Dieu leur apparaît,
tous comptes faits, plus satisfaisante dans l'état actuel de
nos connaissances, plus logique, correspondant mieux aux faits que
l'hypothèse athée. Ils se tournent donc vers les
athées en leur demandant s'ils peuvent rendre compte jusqu'au
bout de la réalité du monde.
Le dialogue est ainsi renoué entre science et
théologie. Pendant toute une époque on avait voulu en
faire des domaines totalement séparés. Pour le Process
la science et la foi doivent se rencontrer. Constamment ils
organisent des colloques et des débats dans les
universités de Californie, entre scientifiques, philosophes et
théologiens, où l'on s'interpelle mutuellement et
où c'est ensemble que l'on essaie d'avancer.
Les théologiens du
process distinguent deux aspects de
Dieu. D'une part la nature primordiale, qui se situe au-delà,
et par laquelle Dieu échappe à notre connaissance. Mais
aussi un second aspect par lequel Dieu se trouve engagé,
impliqué dans le monde. Il y a, disent-ils, une fonction
religieuse, mais aussi une fonction laïque dans le monde. Il
faut découvrir la présence de Dieu au monde. Ils
utilisent le terme de « pan-en-théisme » qui appartient au vocabulaire philosophique et qui
signifie que Dieu n'est pas extérieur au monde comme dans la
pensée classique.
Dans le
« théisme » classique Dieu est face au monde comme un jardinier face au
jardin ; une séparation, un abîme même
existent entre eux que Dieu, certes, peut franchir, et nous pouvons
communiquer avec lui par la prière, dans la mesure où
lui-même l'a franchi et nous permet d'entrer en relation avec
lui. Par les sacrements également.
Cette pensée théiste nous présente donc un Dieu
totalement extérieur, surnaturel, surnaturel. qui se manifeste
dans l'extraordinaire dans l'exceptionnel, dans les miracles, les
grandes manifestations, comme par exemple la sortie d'Égypte
dans la Bible.
Face à ce théisme une autre
théorie est le
« panthéisme ». Elle a été développée
en occident par Spinoza. Mais
également par des penseurs voyant en Dieu soit la logique,
soit l'âme de l'univers. Dieu ne se trouve plus alors à
l'extérieur du monde mais à l'intérieur. On
trouve quelque chose d'analogue dans l'animisme africain.
L'hindouisme est très divers mais on y trouve également
de tels courants.
Il en existe aussi dans la philosophie, par exemple chez ces penseurs
du 18e siècle pour lesquels Dieu se manifeste dans
la nature. Ainsi Jean-Jacques
Rousseau n'est pas exactement
panthéiste mais on peut remarquer qu'il perçoit le
mieux Dieu dans un beau paysage, dans les arbres ou les fleurs.
D'un côté le « panthéisme » voit Dieu intérieur au monde, se confondant
avec le monde. Un Dieu qui est l'âme, la vie du monde. De
l'autre côté le « théisme » voit un Dieu extérieur.
Dans le « panthéisme » le mouvement de la religion, de la foi, consiste
à comprendre que ce qui nous arrive est bien. L'exemple le
plus classique en est le stoïcisme antique. Il faut donc accepter comme venant de Dieu ce qui
existe ; il convient de l'accepter, de s'y soumettre. Modifier
le cours des choses serait le fait d'un révolté, d'un
insensé.
Par contre le « pan-en-théisme » affirme la présence de Dieu en toute chose et
la présence de toute chose en Dieu, dans une interrelation
dynamique. Il ne s'agit pas du tout ici d'une relation immobile,
figée, mais bien au contraire d'une interréaction
constante.
Pour le « pan-en-théisme » il ne faut rechercher Dieu que dans le quotidien,
l'ordinaire et non pas dans le fantastique ou le sensationnel.
Le « théisme » lui aussi s'intéresse aux miracles
exceptionnels.
Le « pan-en-théisme » regarde plutôt la vie quotidienne, le Dieu qui
vient donner son élan à notre vie, nous ouvrir
constamment de nouvelles possibilités. Dieu est le Dieu de
l'univers entier et non pas seulement des chrétiens ou des
croyants. Toutes les créatures comptent à ses yeux, y
compris même les êtres que nous disons
inanimés.
Ainsi dans le récit de la
création de
Genèse 1, la pensée « théiste » voit au départ un être qui est seul,
Dieu. Il se met à parler et fait surgir une
réalité différente de lui : sa Parole
crée et ordonne le monde qui demeure entièrement soumis
à ce qu'il décide.
Le « panthéisme » quant à lui, ne parle pas réellement
de création : le monde ne fait dans cette pensée
qu'exprimer la réalité de Dieu. Les « panthéistes » sont fréquemment réticents devant le
récit de la création dans lequel ils voient seulement
une parabole, une manière de dire la réalité de
Dieu. Pour eux Dieu ne se distingue pas vraiment des choses
créées et les monstres marins sont des visages de Dieu
aussi bien que le soleil et la lune.
Par contre quand un théologien du
process lit ce récit de la
création, il constate la présence d'une part de Dieu et
d'autre part d'une sorte de réalité dont le texte
n'explique pas l'origine: un tohu-bohu comme dit l'hébreu. Nos
versions habituelles traduisent ce terme par « informe et
vide » ce qui est
contestable car le récit désigne un océan
primordial sur lequel plane l'Esprit de Dieu.
.
Comment s'opère alors la
création ? Dieu parle,
et quand on parle on s'adresse évidemment à quelqu'un,
on invite quelqu'un quelque chose ! C'est donc à ce « tohu-bohu » que s'adresse Dieu, à ce « chaos », comme le dit la version grecque. Il lui dit : « que la lumière
soit... », « que la lumière se sépare
des ténèbres... ».
L'appel de Dieu est entendu par cette matière inanimée.
Et la voix qui répond positivement en se séparant en
lumière et en ténèbre et ensuite en océan
et en terre ferme. Quand Dieu dira qu'il y ait 1a
végétation, celle-ci apparaîtra : « la terre produisit de la
végétation »
dit le texte biblique.
Cet appel de Dieu vient à la fois
de l'extérieur et des profondeurs. Il y a une extériorité : c'est
bien du dehors, d'ailleurs que provient l'appel de Dieu; cet appel
doit pourtant être reçu de manière
intérieure pour produire quelque chose. Il faut que Dieu nous
persuade.
La théologie du Process ne cesse d'affirmer que Dieu n'agit
jamais par contrainte, de force, comme un général
commande son armée. Dieu n'agit pas en tyran obligeant
à obéir sans tenir compte de notre approbation ou de
notre désapprobation. Dieu persuade ses créatures, leur
demande de participer, recherche leur consentement. La Parole de Dieu
ne contraint pas mais libère en offrant une possibilité
et en demandant de répondre à son appel par un oui ou
un non.
Ce sont tous les êtres, humains, animaux,
végétaux même que Dieu incite à poursuivre
son but, à se diriger vers un certain idéal. Ies
êtres y répondent plus ou moins bien. Personne ne
répond parfaitement bien.
Nous avons sans doute trop tendance
à distinguer les êtres
humains des animaux et des végétaux, du reste de la
création. C'est l'ensemble de l'univers dans lequel il y a une
vie. Teilhard de
Chardin l'avait d'ailleurs
suggéré et il y a quelques relations entre les
théologiens du Process et Teilhard de Chardin : il y a
une sorte de prévu partout. Ainsi nous ne considérerons
pas le monde comme un simple matériau que l'on pourrait manier
à notre guise, ce qui entraîne les catastrophes
écologiques dont actuellement nous commençons à
prendre conscience. Nous y verrons des êtres et des
réalités à respecter.
John Cobb cite ainsi très longuement le passage
de François d'Assise parlant de « frère
loup » et
de « sœur
eau », comme il cite aussi
le respect de la vie chez Albert
Schweitzer.
Bien sûr les théologiens du process reconnaîtront
que la possibilité de réponse positive d'un caillou est
imperceptible, indiscernable pour nous. Elle existe cependant :
elle est naturellement bien plus grande chez les êtres humains.
Il y a une gradation des êtres selon leur niveau de
conscience.
.
Un lieu comme l'enfer dans lequel Dieu ne pourrait appeler à
nouveau à un changement contredirait l'idée même
de Dieu. L'enfer est absolument impensable dans la théologie
du process. Scientifiquement et ontologiquement impensable.
La différence entre croyants et incroyants existe pourtant.
Présentons-la par une image : Tous les êtres
humains bénéficient du soleil sans lequel personne ne
peut vivre. Mais certains s'exposent à ses rayons sur les
plages. Voilà une image de la foi, de la
piété : s'exposer au rayonnement de Dieu pour en
être plus imprégné que d'autres ne le font.
Cette manière de se représenter l'action de Dieu le
rend très proche de nous et nous aide à mieux
comprendre l'histoire et les événements.
Dans la théologie
classique, comme celle de Calvin,
c'est un plan préétabli de Dieu qui progresse comme un
train sur ses rails. Le train ne peut changer d'itinéraire,
les rails le dirigent et dès le départ on connaît
son trajet. Dieu sait donc parfaitement, dans cette hypothèse,
ce qui se passera demain, quelle sera la prochaine étape. Dieu
sait tout et l'avenir est totalement déterminé.
Selon les théologiens lu process, Dieu n'est en rien ce
mécanicien de locomotive ; il ressemblerait plutôt
à un navigateur à la voile qui est obligé, pour
atteindre le but de sa course de tenir compte des courants, des vents
et des écueils qu'il risque de rencontrer. Dieu adopte ainsi
une sorte de navigation en zigzag qu'il doit constamment adapter
à des circonstances nouvelles.
Dieu est vaincu le soir du Vendredi
saint où Jésus a
été crucifié. Les hommes ne l'ont pas entendu,
ont refusé son appel et l'ont fait souffrir à travers
son envoyé qu'ils ont condamné. Devant cette situation
qu'il n'avait ni prévue ni planifiée d'avance, devant
cet échec, c'est par un acte créateur que Dieu
réagit : l'acte de résurrection du matin de
Pâques ouvre une nouvelle possibilité et
représente pour nous un nouvel appel.
Cette compréhension de la croix et de la résurrection
est donc très différente de celle de la
théologie classique dans laquelle Dieu a voulu la mort de son
fils qui était nécessaire pour le salut des
hommes.
On pourrait proposer aussi l'image du
chef d'orchestre à la place
de celle du général qui dirige tout, ou de celle du
marionnettiste qui commande les gestes de ses poupées. Le chef
d'orchestre a une visée qui est la bonne exécution
d'une symphonie. Pour l'atteindre il a besoin des musiciens. Il doit
convaincre ces musiciens, leur expliquer, les faire entrer dans sa
compréhension de la musique. Il compte sur leur collaboration.
De leur côté les musiciens peuvent apporter quelque
chose au chef d'orchestre. Ils ont entre eux un échange
constant.
Le chef d'orchestre tient compte des fausses notes,
des « ratés » et recommence, car Dieu ne se décourage jamais. Chaque fois
que Dieu doit faire face à des « ratés » aussi horribles que ceux de la seconde guerre
mondiale, de I'extermination des Juifs, il recommence et reprend pour
arriver à construire l'immense symphonie du monde.
Les musiciens ne sont pas seulement les chrétiens :
Les musiciens du grand Chef
d'orchestre
sont l'ensemble de l'univers
aussi les bêtes
les plantes
et les cailloux !
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