Libre opinion
Pourquoi les athées ont-ils besoin
des fondamentalistes ?
Ross Douthat
Why Atheists Need Fundamentalists
6 décembre 2011
J’ai écrit un article (traduit sur ce site) Les fondamentalistes et les athées, nous les aimons à propos de la collusion de l’athéisme militant et du fondamentalisme religieux et de la manière dont tous les Richard Dawkins du monde aiment insister sur le fait que des figures caricaturales comme Pat Robertson sont censées représenter la foi chrétienne la plus authentique et le fait que tout croyant qui désapprouverait les affirmations de Robertson sur le tremblement de terre d’Haïti ou l’ouragan Katrina prouverait par là même qu’il ne comprend rien à sa propre religion.
Un exemple récent de cette collusion se trouve dans le fascinant échange du catholique Mark Shea avec Jerry Coyne, critique militant de la Bible en tant que partisan de Dawkins, auteur de Why Evolution Is True (pourquoi l’Évolution est vrai). Leur sujet était l’origine humaine et notamment le débat sur la question de savoir si la doctrine du péché originel – première désobéissance des hommes à Dieu – est compatible avec le consensus scientifique qui dit que la race humaine ne peut avoir un couple unique pour origine
• Shea (croyant) déclencha la controverse en écrivant (en anglais) qu’il n’y a rien de particulièrement radical (présentation sur ce site de la théologie radicale) ni d’anti-catholique à interpréter le début de la Genèse comme une métaphore et non comme le récit littéral de la naissance de l’humanité à partir d’un couple unique responsable de la perte de l’innocence originelle du monde par leur désobéissance et dans la honte.
• Aux yeux de Coyne (athée) cette idée est absolument outrageante : Dans un article (en anglais) les catholiques affirment que les mensonges sont plus vrais que la vérité il accuse Shea d’essayer de défendre les « mensonges évidents de la Bible » avec des histoires d’allégories, de symbolisme et de mythes alors que n’importe qui peut parfaitement voir que les auteurs de la Genèse écrivaient n’importe quoi.
« Il est absurde, écrit Coyne, de dire comme Shea, que l’Ancien Testament est d’une certaine manière compatible avec l’évolution des espèces et avec la pluralité des origines de l’humanité. Il suffit de lire la Genèse pour constater qu’elle ne dit pas autre chose que Adam et Eve étaient tout simplement les ancêtres de ‘toute’ l’humanité. Il ne faut pas prétendre que le livre dit autre chose que ce qu’il dit ».
Ce débat est, disons, un peu spécial. Un athée reprochant à un croyant de ne pas prendre la Bible à la lettre ! Coyne (l’athée) a certes raison de dire que certains détails de l’histoire de la Genèse semblent contredire la conception que la science et l’archéologie se font des origines de l’humanité. (Par exemple Adam et Eve formés de la poussière de la terre et d’une côte humaine et non issus des millénaires de l’évolution. L’assertion qu’ils vivaient dans un jardin près du Tigre et de l’Euphrate et non en Afrique dans une communauté de chasseurs-cueilleurs, etc).
De plus certains détails du récit de la Genèse semblent se contredire mutuellement au point que n’importe quel lecteur - même ignorant des controverses suscitée par la théorie de l’évolution – comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une histoire de l’humanité destinée à être complète et prise à la lettre.
Genèse 1 et 2, par exemple, ne donnent pas un mais deux récits de la création complètement différents. Ainsi, en Genèse 1, Dieu semble créer l’homme simultanément male et femelle alors qu’en Genèse 2, il crée d’abord Adam, le laisse nommer tous les animaux et parcourir le jardin d’Eden suffisamment longtemps pour qu’il finisse par s’y sentir solitaire. Et c’est seulement alors qu’il crée Eve à partir d’une côte d’Adam.
Autre exemple, en Genèse 1, Dieu dit : « Que la terre produise de la verdure, de l'herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. »
Alors qu’en Genèse 2 on apprend que c’est après que Dieu ait créé Adam , qu’il « fit pousser du sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et l'arbre de la vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. »
De plus cette histoire implique qu’Adam et Eve sont les seuls êtres humains au monde. Et pourtant voici ce qui arrive en suite :
« Caïn dit à l'Eternel : Mon châtiment est trop grand pour être supporté. Voici, tu me chasses aujourd'hui de cette terre ; je serai caché loin de ta face, je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera.
L'Eternel lui dit :
- Si quelqu'un tuait Caïn, Caïn serait vengé sept fois.
Et l'Eternel mit un signe sur Caïn pour que quiconque le trouverait ne le tuât point. Puis, Caïn s'éloigna de la face de l'Eternel, et habita dans la terre de Nod, à l'orient d'Eden.
Caïn connut sa femme; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc. » (Genèse 4.13)
La question se pose naturellement de savoir qui sont les épouses et d’où viennent ces villes et tous ces gens qui menacent ainsi la vie de Caïn. L’assertion de Coyne (l’athée) que la Bible dit qu’Adam et Eve étaient à eux deux les ancêtres de toute l’humanité implique qu’il ait lu Genèse 1 et 2 de manière littérale puis se soit arrêté de lire car en Genèse 4 (à peine quelques pages plus loin) la suite montre bien qu’il y avait d’autres êtres humains et que ceux-ci n’étaient pas les descendants d’Adam et Eve.
On peut tirer deux conclusions de cette difficulté :
Ou bien les auteurs de la Genèse n’étaient pas seulement des menteurs : ils étaient des menteurs stupides qui ne prenaient même pas la peine de rédiger un texte à peu près plausible et cohérent.
Ou bien la Genèse n’était en rien destinée à être lue comme le récit précis des premiers mois de la race humaine et de la manière dont le péché est entré dans le monde mais comme un récit composé d’éléments allégoriques et symboliques comme c’est le cas de beaucoup d’autres récits bibliques, depuis le livre de Job jusqu’à celui de l’Apocalypse, qui ont tous un but théologique et éthique.
On peut certes choisir la deuxième position et penser néanmoins que la théorie de l’évolution conduit certains croyants à réviser leur manière de lire la Bible.
Mais ceci n’a aucun rapport avec l’affirmation qui consiste à dire qu’ou bien la Genèse bien la théorie de l’évolution est un mensonge évident et qu’il faut choisir entre la Bible et Darwin.
Tel est pourtant le point de vue de nombreux fondamentalistes et il est frappant que ce soit celui d’athées comme Dawkins et Coyne.
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