|
Libre opinion
« La source intérieure »
Michel Théron
agrégé de lettres, docteur en littérature française
professeur honoraire de Première supérieure et de Lettres supérieures
au lycée Joffre de Montpellier.
Éditions Golias
voir aussi une interview de l'auteur sur ce livre sur le site de l'éditeur
Recension Gilles Castelnau
19 octobre 2009
Michel Théron est profondément chrétien et son petit livre se réfère continuellement au Nouveau Testament, qu’il lit en grec et en latin. Il est aussi un homme de grande culture : il aime à citer Corneille ou Baudelaire, pour montrer que la spiritualité de la « source intérieure » a traversé les siècles et ne s’est pas cantonnée aux milieux d’Église. Ses lectures ont débordé des textes généralement lus et il cite l’Évangile de Thomas (apocryphe) qui n’est généralement connu que des seuls théologiens de cabinet.
Le professeur André Gounelle a aimé ce petit livre. Voici un extrait de la préface qu'il en a écrite :
Ce livre nous invite à une conversion, au sens propre du mot : à un renversement du regard et à un retournement de l'attitude. Nous avons l'habitude, spontanée ou acquise, je ne sais, de chercher la vérité au dehors ou d'attendre qu'elle nous vienne de l'extérieur. Les religions la situent volontiers dans une révélation surnaturelle, tandis que ceux qu'on nomme pragmatistes, réalistes, voire scientistes s'efforcent le plus souvent de la découvrir par l'observation et l'analyse des choses. Au contraire, ici on nous appelle à nous tourner vers l'intériorité, à entrer en nous-mêmes afin d'y découvrir sinon la vérité, du moins notre vérité, notre authenticité, un sens qui vienne donner une paisible lumière et une douce chaleur à notre existence parce qu'il la constitue. La source ne se trouve pas ailleurs mais en nous, et notre pèlerinage nous conduit au plus profond de nousmêmes ; il nous fait explorer l'intime, parcourir le familier. Comme dans une parabole évangélique, le trésor se trouve dans notre champ, et non dans des pays lointains et étrangers.
[…]
Ce livre m’a charmé et enrichi, il a stimulé ma réflexion et ma méditation... Le souci de la beauté l’anime autant que celui de la vérité... Je lui en ai une très grande reconnaissance, une reconnaissance que, je le pense et l’espère, éprouveront tous les lecteurs de ces pages d’une qualité exceptionnelle ».
Nul doute, en effet, que les lecteurs de ce petit livre se laisseront entraîner avec bonheur sur les étranges chemins de traverse que Michel Théron nous fait découvrir à sa suite, dans une atmosphère de spiritualité souriante et dont les affirmations décapantes sonnent juste.
Voici quelques passages de « La source intérieure » qui encourageront sans doute les internautes à lire le reste.
pages 24-25
Luc 17/20
Interrogé par les pharisiens pour savoir quand viendrait le royaume de Dieu, Jésus leur répondit : « Le royaume de Dieu ne vient pas de telle sorte qu'on puisse l'observer.
21 On ne dira pas: 'Voyez, il est ici', ou : 'Il est là'. Car voyez, le royaume de Dieu est au-dedans de vous ».
« Le royaume de Dieu, dit nettement le verset 21 de Luc 17, est au-dedans de vous », ou « à l'intérieur de vous ». Le grec original a entos humôn, le latin de la Vulgate, intra vos. On a beau tourner le texte dans tous les sens, jamais entos humôn, intra vos n'ont signifié autre chose qu'« au-dedans» ou « à l'intérieur» de vous. Et c'est bien ainsi que le comprennent les orthodoxes. À juste raison. Sainte philologie, priez pour nous: Sancta philologia, ora pro nobis ...
Cependant, tout cela rompt apparemment nos habitudes occidentales. C'est au point que beaucoup de traductions ont ici « parmi vous », ou « au milieu de vous », substituant une idéologie de la socialisation activiste et extravertie à la recherche introvertie et individuelle du Centre. Ces traductions sont inadmissibles, même animées des meilleures intentions. Malheureusement, celui qui n'a pas accès au texte initial grec, ou même à sa traduction latine, est induit en erreur - et sommé de suivre le troupeau... Parfois c'en est même involontairement amusant. Une note de la TOB dit que la traduction « en vous » a « l'inconvénient de faire du Royaume une réalité intérieure et privée »... Mais qui juge ici ? On a brûlé Giordano Bruno pour avoir dit que le Royaume était en nous ou nulle part, donc pour avoir bien compris Luc 17/21.
pages 46-47
Aussi on ne remarque pas assez que cette espérance même, exprimée par Paul, d'un au-delà salvateur (« Mais alors, je connaîtrai... ») empêche bel et bien de goûter le présent, d'en être parfaitement conscient et de s'y absorber en plénitude, ce qui pourtant est le propre de toute vraie recherche spirituelle, quelle qu'elle soit et à quelque tradition qu'elle appartienne. En nous déracinant et en nous décentrant, attente et espérance ne peuvent finalement qu'engendrer la crainte, comme Sénèque l'avait déjà noté, dans une analyse paradoxale certes mais très profonde : « Tu cesseras de craindre lorsque tu cesseras d'espérer. C'est en effet la crainte qui suit l'espérance (spem metus sequitur), car les deux états relèvent d'un cœur mal établi en lui-même et agité par l'attente du futur. La cause de ces deux affections est que nous ne nous attachons pas à ce qui est là maintenant (non ad praesentia aptamur), mais nous envoyons nos pensées dans le lointain (cogitationes in longinqua promittimus), à la différence des animaux par exemple, qui n'habitent que le moment présent. C'est ainsi que la pensée du futur ou la prévoyance (providentia), souverain bien de la condition humaine, s'est tournée en mal. Et finalement personne n'est misérable en demeurant dans le seul moment présent Nemo tantum praesentibus miser est. » (Ad Lucilium, 5/7-9)
C'est un fait que la plupart du temps l'avenir nous occupe (dans l'anticipation), le passé nous retient (dans la mémoire), voilà pourquoi le présent nous échappe. Il y a là un raisonnement imparable il me semble, et d'un très grand intérêt spirituel. Ce qui nous tourmente en effet dans l'ordinaire de nos vies, ce sont nos pensées, notre mental, qui fonctionne par rétrospection et attente. Dans toutes les sagesses du monde, l'enjeu essentiel est la destruction du mental, qui nous paralyse par ses hésitations et tergiversations, crée en nous des crampes ou des nœuds par la multiplication des pensées sauvages, non maîtrisées, et empêche notre éveil.
Outre la Foi et la Grâce, il faudrait donc maintenant problématiser cette Espérance même, dont le christianisme a fait une vertu cardinale ou théologale. Il ne s'agit bien sûr que d'un certain christianisme, dont l'origine est sans doute à trouver dans l'attente messianique d'un salut futur, familière à l'âme juive, et pas du tout de celui qui s'installe définitivement dans le présent.
page 101
Comme on dit dans le jeu enfantin, le premier qui le dit il y est... - Au fond, sur ce qu'est Jésus, c'est à nous de répondre. Ou pour le dire mieux, c'est moins à nous de parcourir ou de lire la bonne nouvelle (sens propre d'évangile), qu'à elle de nous traverser, de nous pénétrer, de nous féconder. Si le texte est inspiré, comme on prétend ou objecte souvent, nous n'en savons rien ; mais c'est bien assez s'il nous inspire. Il est fait de ce qu'il éveille, réveille, fait surgir en nous.
pages 117, 119
J'ai déjà parlé de l' antanaclase, qui fonde et garantit la Source. Le mot veut dire en grec : reflet visuel, éclat lumineux, ou écho sonore, répercussion acoustique. L'équivalent formé à partir du latin pourrait être le mot : réverbération. La figure, elle, consiste dans le langage à reprendre un mot en lui donnant un nouveau sens. Le changement de sens, qu'on nomme parfois en rhétorique diaphore, est un changement de monde, passage très souvent du monde dégradé au monde essentiel.
C'est pourquoi Augustin dit magnifiquement, en reprenant l'antanaclase fondatrice : « Dieu est pour toi la vie de ta vie » - Deus tibi vita vitae est. (Confessions X, 6). Là on est bien au contact de la Source : de ce qui rend la vie vivante. Et quand il se demande où est ce Dieu qu'il invoque, il ne peut que conclure : au fond de moi-même, ou nulle part. C'est une lumière intérieure, qui garantit et cautionne la lumière qu'on voit par les yeux de chair :
« Tard je t'ai connue, Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je t'ai connue. C'est que tu étais au-dedans de moi, et, moi, j'étais en dehors de moi ! » (Confessions X, 27)
Sénèque disait déjà de même : « Dieu est près de toi, avec toi, à l'intérieur de toi » - Prope est a te deus, tecum est, intus est (Ad Lucilium IV, 41.) Il y a là manifestement un « fonds commun », de la sagesse et de la spiritualité antiques au premier christianisme.
page 127
Je sais bien qu’on pourra me traiter de rêveur, de contemplatif, de platonicien, de gnostique, de cathare, toutes modalités d’ « hérésie », que sais-je ?
page 141
Finalement dans la vie le choix est simple : ou bien on se laisse porter au fil du courant, charrié comme un ballot le long du fleuve, flottant au hasard, allant à vau l’eau. Ou bien on essaie de remonter le courant, de revenir à la Source. Bois mort, ou saumon vivant ?
N'attendons pas de l'extérieur ce qui ne peut venir que de nous-même. Sinon nous sommes en état de dépendance ou de mendicité.
Retour vers Michel Théron
Retour
Vos
commentaires et réactions
haut de la page
|