Protestants dans la Ville

Page d'accueil    Liens     

 

Gilles Castelnau

Images et spiritualité

Libres opinions

Spiritualité

Dialogue interreligieux

Hébreu biblique


Claudine Castelnau

Nouvelles

Articles

Émissions de radio

Généalogie


Libéralisme théologique

Des pasteurs

Des laïcs



Réseau libéral anglophone

Renseignements

John S. Spong

 


 



Français, attention
si vous légalisez
la mort administrée


Theo Boer

 



article paru dans Le Monde le 2 décembre 2022


 


2 décembre 2022

Dans votre pays, une convention citoyenne qui pourrait être amenée à proposer une légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie va se tenir de décembre à mars 2023. Après la légalisation de l’euthanasie aux Pays-Bas en 2002, j’ai soutenu la loi et travaillé, de 2005 à 2014, pour les autorités chargées de contrôler les cas d’euthanasie. J’étais convaincu que les Néerlandais avaient trouvé le bon équilibre entre la compassion, le respect de la vie humaine et la garantie des libertés individuelles. Cependant, au fil des années, certaines évolutions m’ont inquiété de plus en plus.

Après une période initiale de stabilisation, nous avons assisté à une augmentation spectaculaire du nombre d’euthanasies, qui sont passées de 2 000, en 2002, à 7 800, en 2021, avec une augmentation continue en 2022. Dans certains endroits des Pays-Bas, jusqu’à 15 % des décès résultent d’une mort administrée. Le directeur sortant du Centre d’expertise sur l’euthanasie – qui fournit une aide à mourir à plus de 1 000 patients par an – s’attend à ce que le nombre d’euthanasies double, à brève échéance.

Nous avons également assisté à des évolutions dans la manière d’interpréter les critères juridiques. Au cours des premières années de l’euthanasie aux Pays-Bas, celle-là concernait presque exclusivement les adultes mentalement aptes et en phase terminale. Après quelques décennies, la pratique s’est étendue aux personnes souffrant de maladies chroniques, aux personnes handicapées, à celles souffrant de problèmes psychiatriques, aux adultes non autonomes ayant formulé des directives anticipées ainsi qu’aux jeunes enfants. Actuellement, nous discutons d’une extension aux personnes âgées sans pathologie.

Une pente glissante

Compte tenu de ces données, on peut s’attendre à ce que les défenseurs de l’aide à mourir en France plaident pour une loi plus restreinte que celle en vigueur aux Pays-Bas. Mais voici ma prédiction : toute législation autorisant l’aide à mourir sera considérée par certains comme une injustice et sera contestée devant les tribunaux.

Regardez le Canada, où l’euthanasie est devenue légale en 2016. Moins de deux ans plus tard, la Cour supérieure du Québec a jugé que la notion de maladie en phase terminale dans la loi canadienne est discriminatoire et, donc, inconstitutionnelle.

Pourquoi n’autoriser l’euthanasie que pour les patients en phase terminale, qui ont déjà accès à un éventail toujours plus large de soins palliatifs, alors que les malades chroniques peuvent souffrir plus intensément et beaucoup plus longtemps ? En 2020, nous avons décidé d’inclure également les malades psychiatriques. Cette pente glissante se pare des atours de la justice, de sorte que les prochaines étapes sont facilement prévisibles. Pourquoi seulement une mort assistée pour les personnes souffrant d’une maladie, et pas pour celles qui souffrent du manque de sens, de marginalisation, de la solitude, de la vie elle-même ?

Voilà le paradoxe de la légalisation de la mort administrée : ce qui est perçu comme une occasion bienvenue par ceux qui sont attachés à leur autodétermination devient rapidement une incitation au désespoir pour les autres.

J’ai vu littéralement des centaines de rapports d’euthanasie dans lesquels le souhait de protéger ses proches de l’agonie, de leur éviter d’être témoins de sa souffrance ou de devoir porter le fardeau des soins était l’une des raisons, sinon la raison essentielle, de demander une mort administrée. Dans une société où l’aide à mourir est accessible, les gens sont confrontés à l’un des choix les plus déshumanisants qui soient : est-ce que je veux continuer à vivre ou est-ce que je veux mettre fin à mes jours ?

Augmentation des suicides

La logique de beaucoup consiste à dire que l’aide à mourir réduira le nombre de suicides violents et traumatisants. Si c’était vrai, ce serait un argument de poids en faveur d’une modification de la loi. Mais les statistiques néerlandaises disent tout autre chose. Alors que le pourcentage d’euthanasies dans le nombre total de décès est passé de 1,6 %, en 2007, à 4,8 %, en 2021, le nombre de suicides a également augmenté : de 8,3 pour 100 000 habitants, en 2007, à 10,6, en 2021, soit une hausse de 27 %.

Si l’on inclut les décès par suicide assisté chez les patients considérés comme présentant un risque de suicide (patients psychiatriques, personnes atteintes de maladies chroniques, patients atteints de démence, personnes âgées et isolées), l’augmentation totale des décès par choix personnel au cours de la dernière décennie serait plus proche de 50 % que de 25 %. Pendant ce temps, en Allemagne, un pays très similaire aux Pays-Bas quant à sa culture, à son économie et à sa population – mais sans la possibilité d’une mort médicalement assistée –, les taux de suicide ont diminué.

Alors que la France se met à étudier sérieusement la question, l’exemple des Pays-Bas doit servir à une prise de conscience de ce qui peut arriver. Regardez ce pays et vous verrez peut-être la France de 2040.

Comme ceux qui plaident actuellement pour un changement de la loi dans l’Hexagone, j’ai cru, un jour, qu’il était possible de réglementer et de limiter l’euthanasie aux adultes mentalement aptes et en phase terminale à échéance de moins de six mois. Paradoxalement, je doute que mon pays aurait légalisé l’aide à mourir si nous avions eu, à l’époque des premiers débats sur le sujet, le niveau de soins palliatifs que nous avons aujourd’hui.


De plus, en prenant cette mesure audacieuse, je pensais que nous pourrions ainsi réguler le suicide, en limitant ces cas trop fréquents où une personne met fin à ses jours. Je me suis trompé. Si le système le plus encadré et le mieux contrôlé au monde ne peut garantir que l’aide à mourir reste un dernier recours, pourquoi la France y arriverait-elle mieux ?


 


Retour vers libres opinions

Vos commentaires et réactions

 

 haut de la page