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Le libéralisme protestant
entre histoire et invention

Jean-Marie de Bourqueney

directeur de l'hebdomadaire protestant Réforme


article paru Réforme du 20 octobre 2022




20 octobre 2022


 

Même si le mot de «libéralisme» n’est pas transposable pour toutes,
il existe, dans toutes les religions,
des courants contestateurs de la tradition
dont le but est de formuler une pensée adaptée à la modernité.

 


La théologie libérale fait partie de l’histoire du protestantisme
et de son paysage contemporain. Certains la font remonter aux temps de la Réforme, par exemple avec Sébastien Castellion (1515-1563) ou Michel Servet (1511-1553). Le protestantisme libéral se définit d’abord comme une manière de faire de la théologie, plus que par un contenu précis. Il existe en effet une grande variété d’opinions au sein même de la famille libérale. Nous avons eu l'occasion d'interviewer plusieurs acteurs contemporains de ce mouvement de pensée. En 1904 déjà, nous rappelle le professeur André Gounelle, «
le pasteur André-Numa Bertrand distinguait quatre courants dans sa présentation du libéralisme théologique». Mais tous ces courants, auxquels il faudrait ajouter ceux qui sont nés par la suite, ont une même démarche par rapport à la Bible et par rapport aux doctrines classiques.

 

En 1774, le théologien luthérien Johann Salomo Semler publie L'Institution de la doctrine du Christ, dans laquelle il prône une lecture critique, c'est-à-dire rationnelle des textes bibliques. Il emploie l'adjectif latin liberaliter, que l'on peut traduire par « généreusement » mais qui a donné le mot libéral, dans le sens d'une ouverture et d'une liberté. C'est l'un des points de départ d'une des grandes méthodes apportées par le libéralisme : l'étude historico-critique de la Bible. Aujourd’hui, cette manière d'aborder les textes, en les remettant dans leur contexte historique et en cherchant à analyser les concepts de l'époque, a largement dépassé les frontières du libéralisme. Même si certains fondamentalistes veulent remettre en cause cette démarche, on peut dire que c'est un acquis du libéralisme protestant.


Pas de prêt-à-penser

Cet esprit critique s'est aussi appliqué aux grandes doctrines du christianisme. Celles-ci sont secondes par rapport à la foi et à la pratique chrétienne. Le professeur Laurent Gagnebin rappelle ce verset qui, pour lui, définit l'attitude libérale : « A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l'amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jean 13, 35). Autrement dit, ce n'est pas la doctrine qui fait de nous des chrétiens. Pour Laurent Gagnebin, le christianisme libéral a une visée sociale. La théologie vient mettre ensuite des mots sur l'expérience de la foi. Mais, comme il le rappelle, « tout ce qu'on ajoute à l'amour est en moins ». Pour Olivier Guivarch, responsable syndical engagé dans le mouvement libéral, il ne peut exister de « prêt-à-penser » face à la complexité du monde. Il prend une image biblique : les libéraux sont « plus du côté des prophètes que du clergé ». Il s'agit, à chaque époque, de trouver la « langue du temps » avec un esprit critique constant, y compris sur l'époque. Il ne s'agit pas simplement « d'épouser le mainstream », l'opinion majoritaire. Le protestantisme libéral est fort de son histoire, mais son rôle n'est pas uniquement de transmettre cette histoire, c'est aussi de relayer un dynamisme de la pensée. Le professeur Raphaël Picon aimait à répéter que nous ne devrions pas tomber dans le piège d'une « théologie patrimoniale ».

 

Pour l'historien Pierre-Olivier Léchot, le protestantisme libéral « accepte de vivre la réalité de la modernité ». C'est le cœur de la démarche. Mais il note que certains grands théologiens libéraux, comme Ernst Troeltsch (1865-1923) ou Adolf von Harnack (1851-1930), refusaient de se voir attribuer l'étiquette « libérale », préférant parler de christianisme « moderne ». Ils ne souhaitaient pas être associés au développement d'une pensée économique libérale. Tous avaien t ce point commun de « porter un regard critique sur la Tradition chrétienne » et souhaitaient réinventer une théologie de leur temps, en valorisant une pensée personnelle, une autonomie spirituelle de l'individu, une pratique de la raison dans la formulation de la foi.

Aujourd’hui encore, pour le pasteur James Woody, « la liberté est le centre de gravité de la pensée libérale ». Puisque l'Évangile est libérateur, il faut le traduire dans la pratique et dans l'expression théologique. Face à ceux qui, de manière démagogique, fondent leur propos sur une forme de « commerce de la peur », il faut porter une exigence de liberté. Pour lui, le libéralisme est un « art des horizons », c'est-à-dire une pensée actuelle qui élargit notre espace et ouvre notre avenir. Il le dit aussi comme pasteur en paroisse, car cette conviction est une manière d'être et d'accompagner pastoralement les situations humaines. Face au drame, par exemple, peut-on encore tenir des propos traditionnels sur la volonté de Dieu, ou son mystère ?

 

Le libéralisme refuse une certaine image de Dieu, tout-puissant et marionnettiste de nos vies. Il propose d'abord une déconstruction de nos dogmes ancestraux. John Shelby Spong (1931-2021) s'en fait l'écho dans ses ouvrages. Déconstruire pour reformuler. L'esprit critique du libéralisme consiste à ne plus prendre pour « parole d'Évangile » les dogmes que l'on ne peut plus expliquer ni défendre au XXIe siècle. Par exemple, peut-on, avec les acquis de la science, concevoir un Dieu créateur comme un « fabricateur » du monde ? La notion de Création doit être revisitée. John Shelby Spong aborde aussi la question des miracles : comment de nos jours les comprendre sans leur attribuer une véracité factuelle ? Quelle est la place du symbole dans l'expression de la théologie ?

À la pointe de l'actualité

Actuellement, le monde libéral est principalement influencé par la pensée de deux théologiens : Paul Tillich (Voir sur ce site) (1886-1965) et John Cobb (Voir sur ce site) (né en 1925). On se rend d'ailleurs compte, comme pour la pensée historico-critique, qui fut le cheval de bataille du libéralisme d'autrefois et qui est désormais un acquis, que ces théologiens libéraux ont très largement influencé un grand nombre de chrétiens. Aussi, on peut se demander s'il est pertinent de parler encore de libéralisme, étant donné que ces idées se répandent également parmi les autres théologies.

 

La question est légitime, et fait même dire à certains que le libéralisme est une conviction acquise, voire ancienne. Ce serait mal comprendre la démarche libérale, qui, par principe, veut être de son temps. Le libéralisme a certes influencé l'ensemble de la pensée chrétienne, mais doit toujours, pour ses promoteurs, être à la pointe de l'actualité. Quels sont les défis d'aujourd'hui ? Quelles sont les questions nouvelles ?

 

Une chose est sûre : le libéralisme se définit davantage comme une posture, une méthode, que comme un contenu précis. En cela, il peut être vécu dans toutes les convictions. Il n'est nullement le monopole du protestantisme. Voilà aussi pourquoi cette manière de comprendre la pensée, la vie et la foi nous ouvre et nous pousse au dialogue avec les autres religions, ou même les autres convictions, avec ou sans Dieu. L'engagement résolu des protestants libéraux dans ces dialogues n'est sans doute pas un hasard.

 

Le libéralisme protestant a donc pour vocation de diffuser une manière de penser la foi, avec un esprit critique. Certains regretteront peut-être qu'il n'ait pas adopté de stratégie pour prendre des responsabilités au sein des Églises, mais la vocation libérale se situe sans doute au niveau des idées, de la manière de penser la foi et de lire la Bible, plus que dans les débats institutionnels.





L’esprit critique du libéralisme
consiste à ne plus prendre pour « parole d’Évangile »
les dogmes que l’on ne peut plus expliquer ni défendre
au XXIe siècle



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John Shelby Spong
ou l'éloge de la recherche


Jean-Marie de Bourqueney

 


Prêtre, puis évêque de l'Église épiscopalienne aux États-Unis,
John Shelby Spong (1931-2021) a eu une grande influence
dans son pays, et désormais en Europe

 

 

John Shelby Spong est une figure de la pensée théologique contemporaine américaine. Décédé récemment, en 2021, il a nourri la pensée de nombreuses personnes en révolutionnant la manière de comprendre les dogmes classiques de l’histoire chrétienne. Grâce aux éditions Karthala, certains de ses ouvrages ont été traduits en français. Le dernier en date, en 2020, s’intitule Être honnête avec Dieu. Le titre est d’ailleurs en partie repris à un ouvrage de 1963 du théologien anglais John A.T.Robinson qui avait beaucoup influencé Spong. Il s’agit en fait de correspondances, rassemblées grâce au travail du pasteur Gilles Castelnau; d’où le sous-titre: Lettres à ceux qui cherchent.

 

L’auteur a reçu des courriers auxquels il a répondu. Ses 139réponses sont regroupées par thèmes. La lecture de ce livre est donc très aisée, car le propos se veut simple, accessible, pédagogique. John Shelby Spong veut introduire, selon l'éditeur, « une nouvelle culture de la foi enracinée dans la culture biblique et le témoignage de Jésus ». La perspective est de retrouver l'esprit des textes bibliques, mais en les dépoussiérant de toutes les inventions dogmatiques postérieures de la Tradition chrétienne.

 

Pour Spong, il n'existe pas de lecture immédiate des textes : nous sommes forcément influencés par notre culture, ainsi que par tout ce que l'on nous a enseigné depuis des siècles. Et c'est sans doute pour cela que les textes ne nous parlent plus autant...

Il nous faut retrouver le sens de la libre interprétation, fondée sur l'étude sérieuse de la Bible et intégrant les apports des sciences et les questions de notre temps.


Le théisme, une dérive

 

Dans ces 139 réponses, Spong pointe une dérive principale du christianisme : le théisme, c'est-à-dire la doctrine selon laquelle Dieu est extérieur au monde, lointain même, et qu'il intervient selon son bon vouloir. Il réfute toute représentation trop anthropomorphique de Dieu. Par exemple, à la question de savoir si Dieu est une personne, le théologien répond qu'il s'agit d'une image humaine pour évoquer Dieu, mais que cela ne définit pas Dieu lui-même. Il ne faut jamais confondre Dieu avec ce que nous pouvons dire de lui. Spong refuse donc tout intégrisme dogmatique qui engendre, pour lui, de la culpabilité, par exemple en continuant à évoquer le péché. Il dénonce aussi une forme d'infantilisme de la pensée. S'il remet en cause la réalité des miracles ou s'il insiste sur la portée symbolique des textes, c'est précisément pour redécouvrir ce qu'est Dieu : une puissance de vie. Cela a plusieurs conséquences, que l'on découvre au fil des pages, sur l'ensemble de nos « dogmes » : compréhension du Christ, définition et rôle de l'Eglise, approche de la prière. Cela amène aussi à porter un regard plus bienveillant sur les autres religions.

 

 

 


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