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Éloge du consensus ferme

 

Laurent Schlumberger 

pasteur de l’Église Protestante Unie de France


article publié dans l’hebdomadaire protestant Réforme

du 6 octobre 2022




9 octobre 2022


Les Églises ont développé en leur sein, à travers les relations œcuméniques ou le dialogue théologique, différents outils. Ils permettent des échanges constructifs sans céder à la tentation de gommer les différences, par facilité, ni à celle d’une opposition finalement stérile. Une expérience qui pourrait servir à ranimer un véritable débat public.

 

Les Églises ont depuis longtemps mis au point
la méthode dite du consensus différencié
dans leurs dialogues théologiques,
qui permet de ne jamais sacrifier
la diversité à la recherche d’unité.

 

Nous nous désolons souvent de la piètre qualité du débat public. La campagne des élections présidentielle et législatives fut indigente. Les vociférations lors des séances publiques à l’Assemblée nationales sont puériles. Le nivellement des problématiques, les positionnements délibérément « clivants », les attaques ad hominem réduisent les débats d’idées à de tristes caricatures.


Pourquoi donc l’affrontement fait-il si facilement figure de gage d’authenticité ? À mon sens, cela procède d’une valorisation dévoyée du dissensus. Le dissensus est salutaire pour éviter l’autocensure, les postures d’autorité ou les fausses évidences. Il est nécessaire pour que se déploie un débat que l’on voudrait éviter, pour que les arguments s’explicitent et se confrontent. Mais un dissensus fructueux devrait dans un second temps parvenir à un consensus, au moins relatif, puisque les arguments auraient été plaidés devant tous. À l’inverse, il débouche trop souvent sur une « victoire » de l’un et une « défaite » de l’autre, sur la délégitimation du minoritaire, quand ce n’est pas sur son humiliation.


Ce tropisme se renforce sous les effets de la priorité donnée à l’image, de l’accélération qui relègue le délai de réflexion à du temps perdu, de « l’épidémie de narcissisme » (Matthieu Ricard), de la culture du clash sur les réseaux sociaux, où cesaffrontements sont fabriqués par des
mastodontes économiques qui se livrent une guerre du « temps de cerveau humain disponible ». Nul hasard dans cette évolution : dans la compétition pour l’attention, tout devient bon pour exister et rien n’est plus efficace que la violence. La logique profonde et puissante à l’œuvre est celle du « J’existe contre toi ».


Carton orange ou carton bleu


Comment surmonter cette tentation mortifère ? En favorisant des débats qui honoreraient le dissensus, puis le dépasseraient vers la recherche d’un consensus non plus « mou » – épithète bien commode pour le disqualifier sans même y réfléchir – mais lucide et charpenté.


Les chrétiens et les Églises ont ici une expérience à faire valoir, en particulier dans leur dynamique œcuménique. Elles ont depuis longtemps mis au point la méthode dite du consensus différencié dans leurs dialogues théologiques, qui permet de ne jamais sacrifier la diversité à la recherche d’unité. Et le Conseil œcuménique des Églises (COE), qui vient de tenir sa 11e assemblée, a développé une culture du consensus qui pourrait inspirer largement au-delà de son cadre.


Cet ethos se concrétise notamment dans la manière de mener et de conclure les débats, quel que soit le type de réunion. Au fil des prises de parole, les participants qui écoutent lèvent spontanément un carton orange (« je partage le point de vue de la personne qui intervient ou je l’encourage ») ou un carton bleu (« je ne partage pas son point de vue ou j’ai des questions »). La personne qui modère la réunion perçoit ainsi en temps réel la « température » de l’assemblée et sent dans quel sens elle évolue. Au fil des échanges, une couleur devient dominante.


Lorsqu’il faut cristalliser une décision, de procédure ou de fond, l’assemblée s’exprime sur le même mode. Tant que des car- tons bleus demeurent, même un seul, le débat peut se poursuivre. Lorsqu’il semble que l’on a atteint un point au-delà duquel on n’avancera plus, la personne modératrice propose à la minorité que son point de vue soit enregistré et lui demande si elle accepte que l’on s’en tienne au consensus dégagé, afin que l’on puisse avancer au point suivant.


Une méthode exigeante


Cette méthode n’est bien sûr pas parfaite, mais elle est efficace. Car au-delà de la réunion en cours, par imprégnation de long terme, elle modèle la manière d’habiter les débats. Elle atténue le côté joute oratoire, au profit de la recherche d’une évolution commune. Elle conduit les parties prenantes à exprimer de la manière la plus claire leurs meilleurs arguments. Elle est fondatrice de confiance, en garantissant le respect de la singularité de chacun. Elle encourage par là même la prise de parole, l’écoute, la capacité à évoluer dans son point de vue sans craindre de perdre la face.


Cette méthode est d’une grande exigence, une exigence néces- saire pour que le consensus ne soit pas par défaut, lénifiant, « mou » donc, mais consistant, ferme, « dur » en somme. Ici, ce n’est plus « J’existe contre toi » mais, comme en écho à la notion d’ubuntu popularisée en Afrique du Sud, notamment grâce à des leaders qui ont inspiré le COE, « J’existe grâce à toi ».


Forts de ces compétences acquises, les chrétiens ont la capacité d’influer sur la conduite du débat public – à leur mesure, qui est celle du levain ou du sel. Peut-être même les Églises ont-elles cette responsabilité en tant que groupes sociaux. C’est particulièrement vrai des Églises protestantes ; songeons aux résonances, autrefois, des pratiques presbytériennes synodales jusque dans le parlementarisme naissant.


L’actualité ne cesse de montrer qu’un tel effort est urgent. Se résigner au « toujours plus de la même chose » est de moins en moins une option, devant le piège populiste béant qui nous guette.

 

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Le Conseil Œcuménique des Églises

Aujourd'hui le Conseil oecuménique des Églises est une communauté de 349 Églises. Elles sont réparties dans plus de120 pays sur tous les continents et représentent pratiquement toutes les traditions chrétiennes. L'Église catholique n'est pas membre mais elle collabore activement avec le COE.

A Karlsruhe, en Allemagne, du 31 août au 8 septembre 2022, 11e Assemblée générale
Le thème est : « L'amour du Christ. »


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