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Pour un christianisme sans religion
Retrouver la « Voie » de Jésus
de Nazareth
Bruno Mori
théologien catholique canadien
blog
Éd Karthala
298 pages - 24 €
recension Gilles
Castelnau
8
août 2021
C’est un livre
intéressant et agréable à lire, que nous
offrent les éditions Karthala.
Après avoir publié tous
les livres traduits en français de
l'évêque américain John Spong, voici une
réflexion qui dit dans un langage très clair les
raisons pour lesquelles nombre de croyants
récusent les attitudes, les enseignements, les
choix théologiques du pape et des autorités
catholiques.
Il exprime en détail les réticences que l’on
peut avoir face à des allégations théologiques
et éthiques inacceptables dans le fonctionnement
de la « religion » catholique et qui sont de
toutes façons tout à fait étrangères à la
spiritualité que l’on a généralement
aujourd’hui.
Loin de s’attaquer à la foi chrétienne et de
chercher à en détourner nos contemporains,
l’auteur se montre fidèle de Jésus de Nazareth,
plein d’une piété, d’un amour et d’une espérance
qui pourraient bien, effectivement, ramener les
cœurs des mécréants vers leur Dieu.
Le lecteur protestant libéral se réjouira de
retrouver dans ces pages ses idées les plus
familières sous la plume d'un prêtre catholique.
En voici des passages :
Introduction
Ce travail cherche à saisir les causes qui, en
Occident, après deux mille ans de marche
triomphale, ont conduit cette religion à traîner
péniblement des pieds dans l'indifférence
générale de ses anciens admirateurs et
pratiquants, pour lesquels elle est désormais
devenue une institution hors jeu et dépassée.
Mythes et pensée mythique
La fonction religieuse
du mythe
Pendant des siècles, dans notre culture
chrétienne et catholique, lorsque les gens se
sentaient angoissés, tristes, déprimés, confus,
égarés, cela leur procurait le plus grand bien
d'écouter les belles histoires que la religion
leur racontait sur le bon Dieu là-haut dans son
beau paradis, entouré de cohortes d'anges, qui
créa le monde en sept jours et les humains à
partir de la boue de la terre, en les rendant
vivants par le souffle de son esprit.
Nos ancêtres chrétiens se sentaient rassurés
d'entendre dire que Dieu ne les quittait jamais
de ses yeux, qu'il s'intéressait à toutes leurs
affaires, qu'il se préoccupait de leur bonheur,
qu'il envoyait son Fils sur terre pour les
sauver du mal et du péché, qu'il leur donnait la
Vierge Marie comme une douce mère pleine de
bonté et de tendresse.
Ils étaient heureux d'entendre dire que Dieu,
dans sa grande justice, récompensait les bons
avec les joies de son paradis, mais qu'il
punissait les vilains méchants dans le feu
éternel de l'enfer. Ils étaient stupéfaits et
pleins de reconnaissance lorsqu'ils écoutaient
le curé leur raconter que le bon Dieu avait
inventé la sainte Église avec des prêtres
consacrés et célibataires pour s'occuper et se
préoccuper du sort de leur âme, une sainte
Église épaulée et dirigée par un Pape qui
communique directement avec Dieu pour être
continuellement au courant de ses pensées, de sa
volonté et de ses désirs.
[...]
Les religions ont écrit des bibliothèques
entières pour énumérer, expliquer et faire
connaître dans les moindres détails ce que Dieu
est et pense, ce qu'il fait, ce qui lui fait
plaisir et ce qui lui déplaît ou le met en
colère.
Les religions savent, par exemple, que Dieu est
contre le divorce, le préservatif, l'avortement,
la fécondation in vitro, l'ordination
sacerdotale des femmes, l'homosexualité et le
mariage homosexuel...
La création des mythes
chrétiens
Le mythe de la
Rédemption
Les protagonistes principaux de cette
rocambolesque histoire sont d'un côté l'humanité
pécheresse et, de l'autre, la divinité blessée,
offensée et irritée par la révolte et la
méchanceté des humains. Le récit mythique décrit
le déroulement et la solution de ce long
conflit. Il se déploie en deux phases: d'abord
la phase des hostilités ouvertes et ensuite la
phase des négociations, des stratégies
d'intervention, de la réconciliation et de la
paix établies.
Dans la première phase, le mythe raconte que
Dieu est contrarié et perturbé parce que l'homme
est un pécheur et que son péché le dérange et
l'offense. L'homme cependant est pécheur parce
qu'il a été corrompu par une « faute originelle
». La faute originelle a été possible - continue
le récit mythique - parce que l'homme, frais
sorti des mains de son Créateur, n'a pas bien
fonctionné selon les plans et les attentes de
son divin constructeur. Le mythe poursuit en
disant que Dieu, au lieu de s'en prendre à son
incompétence de créateur pour avoir produit un
tacot, s'en prend, au contraire, à sa créature,
en la rendant responsable de sa mauvaise
performance.
Dans la deuxième phase, le mythe de la
Rédemption se concentre sur le processus de
réconciliation entre Dieu et l'homme, en
attribuant à Dieu l'initiative et la décision de
cette réconciliation et à Jésus-Christ (en tant
que Fils-de-Dieu-Incarné) sa réalisation
concrète et définitive. Le mythe, toutefois, ne
dit pas un mot sur les raisons qui ont induit un
Dieu immobile et immuable par définition à
changer d'attitude et à se montrer subitement
bienveillant et amical avec les pécheurs qu'il
avait auparavant toujours détestés.
La religion chrétienne dans
la modernité
L’Église
catholique au piège du pouvoir
A partir donc du IVe
siècle, le christianisme, fort désormais de la
protection et de la faveur des empereurs, se
configurera sur le modèle de l'ancienne religion
païenne impériale (gréco-romaine), en adoptant
son vocabulaire, ses rites, ainsi que les formes
de sa gouvernance et de sa structure juridique.
C'est ainsi qu'entrent dans le langage chrétien
les concepts de sacré et de profane, de pontife,
de sacerdoce, de prêtre, d'autel, de sacrifice,
de hiérarchie, d'autorité, de pouvoir, etc.,
complètement étrangers aux contenus et à
l'esprit des origines.
L’Église catholique et
l’obsession morale
Alors que la Planète est gravement malade, alors
que partout les gens souffrent et meurent à
cause de la cupidité, de l'injustice, de la
pauvreté, de la violence, du fanatisme, de
l'ignorance et de la stupidité humaine, voilà
que les responsables de l'Église occupent
aujourd'hui leur temps à parler de sexe, de
préservatif des bienfaits de la
virginité et de la chasteté, à interdire la «
communion » aux divorcés remariés, à mesurer la
longueur des jupes et la profondeur du décolleté
des dames qui visitent la basilique Saint-Pierre
à Rome, à parler des dommages que l'usage de la
pilule ou du condom causent à l'âme, ou encore
de l'impossible accès à la prêtrise des baptisés
nés avec une vulve au lieu d'un pénis, du
célibat obligatoire des prêtres, etc,
[...]
Les papes pensent-ils vraiment que les arguments
qu'ils avancent sur la « volonté divine » et la
« loi naturelle », pour appuyer leurs exigences
éthiques, sont encore susceptibles
d'impressionner et de convaincre les gens de la
modernité, sans risquer de susciter la dérision
ou le sarcasme ?
De
nouveaux récits pour une nouvelle humanité
En route vers de
nouveaux horizons
Il a donc besoin de récits qui le libèrent. Il
ne veut plus d'une religion qui lui impose par
la force et la contrainte les comportements à
avoir et les « vérités » à croire, en prétextant
la docilité et l'obéissance à l'autorité, la
fidélité à la tradition, la soumission à la
volonté de Dieu. Il refuse une religion qui
domine, qui assujettit, qui demande fidélité
inconditionnée, soumission totale et obéissance
aveugle. Il se révolte contre une religion qui
défend le doute, qui n'admet pas le désaccord,
qui refuse la discussion, qui condamne la remise
en question de ses dogmes et de son autorité. Il
est incapable d'adhérer à une religion
cramponnée à un passé complètement périmé et qui
est foncièrement allergique aux changements et
au renouveau.
Il y a nécessité de récits libérateurs, plus
réconfortants, plus attrayants pour l'homme
moderne.
Des récits pour une nouvelle spiritualité
Dans la religion, Dieu est à l'origine de
l'homme ; dans la spiritualité, l'homme est à
l'origine de Dieu. Dans la spiritualité. Dieu se
révèle à l'homme de l'intérieur ; dans la
religion, Dieu se révèle à l'homme de
l'extérieur.
Dans la spiritualité, c'est l'homme lui-même
qui, dans la grandeur et la beauté de l'Univers,
entrevoit l'existence d'une Énergie originelle
ou d'un Mystère ultime qui le soutient. Dans la
religion, l'existence de Dieu est enseignée,
proposée et imposée comme une Réalité
ontologique, objective, évidente et extérieure
que l'homme doit seulement accepter et à
laquelle il doit obligatoirement croire et se
soumettre.
Au-delà de la religion
La nécessité de
nouvelles stratégies
Jésus dégageait un charme qui séduisait les
personnes et qui leur donnait envie de le
fréquenter. Son attitude était aimable et
amicale, son regard empathique et accueillant,
son discours convainquant et pertinent. Il
suffisait qu'il dise à certains : « Viens, reste
avec moi, suis-moi ! », pour que ces individus
abandonnent amis, famille et travail pour le
suivre, comme s'ils avaient été hypnotisés.
[...]
C'est uniquement la fréquentation de Jésus de
Nazareth qui nous permet de découvrir la formule
secrète qui permet de garder au pouvoir
séducteur sa qualité bénéfique et vivifiante et
qui l'empêche de basculer du côté du pouvoir
oppresseur qui humilie, exploite et détruit les
personnes. Jésus dans la composition de son
pouvoir séducteur a inséré trois ingrédients
magiques : la bienveillance, l'amour et la
miséricorde.
Jésus a pu séduire parce qu'il a été une
personne accueillante et sans préjugés envers
tous. Il a pu séduire parce que tous ceux qui
l'ont approché ont pu voir, expérimenter et
sentir qu'il était un être poussé et motivé,
dans tout ce qu'il faisait et disait, par des
intentions amicales, bénévoles et désintéressées
et qu'il cherchait et voulait uniquement le bien
et le bonheur des autres.
Car, finalement, on ne peut être séduit que par
un amour qui nous est offert comme un cadeau que
nous n'attendions pas ; qui nous surprend et qui
soudainement nous fait prendre conscience d'une
beauté et d'une valeur que nous portions en nous
depuis toujours et que nous n'avions jamais
remarquées ou soupçonnées auparavant.
Le christianisme
survivra-t-il dans la modernité ?
Or, devant ce changement, ce qui
surprend le plus c'est de constater que les
autorités religieuses ne semblent ni alertées,
ni moindrement concernées par la migration
massive de leurs fidèles vers l'univers de la
modernité.
[...]
Ce comportement prouve, une fois de plus, le
fait que la religion n'aime pas ce qui est «
nouveau ». Car le nouveau» est ce qui ne s'est
jamais fait ou dit auparavant. Le nouveau est ce
qui ne vient pas de l'intérieur du système, mais
de l'extérieur et d'ailleurs. Le nouveau est ce
qui ne peut jamais venir de Dieu qui, par
nature, est immuable et donc toujours égal à
lui-même. Le nouveau est toujours un intrus et
un déstabilisateur. Le nouveau est ce qui n'est
pas prévu par les normes ; ce dont on ne parle
pas dans les livres sacrés, dans la tradition,
dans les dogmes et les doctrines établies ; ce
qui ne figure pas dans les listes des vérités à
croire. Le nouveau est donc toujours suspect.
Le nouveau est toujours quelque chose dont il
faut se méfier, ne jamais encourager et, par
principe, auquel il faut s'opposer. Le nouveau,
en effet, peut se révéler non conforme et donc
mauvais et dangereux pour la stabilité de la
religion et la paix des croyants. Dans une
religion qui se respecte, le nouveau est, par
principe, toujours combattu et refusé.
[...]
Tant que le christianisme ne se libèrera pas de
ce masque, tant qu'il n'aura pas récupéré son
vrai visage et montré sa vraie identité, il ne
pourra pas exercer son charme, briller de toutes
ses lumières, ni mettre en œuvre la force
d'attraction dont Jésus l'a doté. C'est
justement parce qu'aujourd'hui de plus en plus
de personnes ont horreur de ce masque, qu'elles
s'éloignent de la religion.
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