Protestants dans la Ville
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Dieu au-delà
du théisme
José Arregi
transmis par Michel Leconte
19 juillet 2021
Remarque de José Arregi
Le texte reproduit
fondamentalement mon intervention d'ouverture
lors de la discussion organisée par
vidéoconférence le 27 juin 2021, entre une
quarantaine de personnes hispanophones
d'Amérique et d'Europe ayant pour sujet
théisme et non-théisme autour du livre Después
de Dios. Otro modelo es posible (Après
Dieu. Un autre modèle est possible) (José
Arregi, Carmen Magallón, Jacques Musset, Mary
Judith Ress, José María Vigil, Santiago
Villamayor) (Ed. Nuevo Tiempo Axial, 2021).
.
Un salut très cordial à chacune et chacun, quels que soient le
continent et l'hémisphère, le méridien et le
parallèle, le théisme ou le non-théisme, la
foi ou le doute dans lesquels vous vous
trouvez.
Chez plus d'un, le titre « Después de Dios »
(Après Dieu) peut
susciter un profond malaise, ou plus qu'un
malaise. Mais nous accolons en sous-titre : «
Un autre modèle est possible ». Le titre se
réfère, en fait, au « modèle Dieu ». Non pas à
Dieu en tant que Réalité fondatrice, mais à «
Dieu » en tant que modèle interprétatif, en
tant que cadre théorique de compréhension de
la réalité. Les modèles ne changent pas comme
les modes, d'un été à un autre. Ils sont
beaucoup plus stables, ils peuvent perdurer
des siècles, voire même des millénaires. Le
géocentrisme, par exemple, depuis bien avant
Ptolémée, dura des millénaires jusqu'à
Copernic et Galilée. Le mécanicisme de Newton
dura un peu plus de deux siècles, jusqu'à la
relativité d'Einstein. Tout change toujours de
plus en plus vite.
Je propose dix notes théologiques visant à la
réflexion et au débat critique en cette époque
de transition vers un modèle post-théiste.
1- Le modèle Dieu prédominant dans les
religions théistes est une entité ou un Étant
surnaturel, unique ou pluriel, représenté
presque toujours comme un être humain
masculin, tout-puissant et créateur du monde
souvent, ou pour le moins doté de pouvoir pour
intervenir dans le monde de l'intérieur ou de
l'extérieur, en tout cas comme sujet autonome,
comme quelqu'un.
2- Cette représentation a une date de
naissance. Elle fut probablement conçue par
l'imagination humaine il y a 7000 ans environ
dans l'antique Sumérie (Irak), berceau de la
civilisation la plus ancienne connue. C'est
là-bas que l'on trouve les ruines du temple le
plus ancien connu dans le monde, datant du Ve
millénaire avant J.C. Le temple était la
demeure de « Dieu », avec un clerc pour
gardien, à la tête de la religion.
3- Cette idée de Dieu et le système religieux
théiste naquirent et s'imposèrent sans doute
parce qu'ils présentaient un intérêt évolutif
pour la société. C'est la loi fondamentale de
l'évolution en général et de la vie en
particulier. Les jours de ce modèle sont
comptés.
4- Mais le dépassement du théisme ne date pas
seulement d'aujourd'hui. L'expérience la plus
profonde du Réel a incité des sages, des
mystiques et des prophètes de toutes les
traditions à dépasser le Dieu modèle, toute
image mentale et institutionnelle de l'Absolu.
Confucius et Lao-Tseu en Chine, Bouddha,
Mahavira et les auteurs des Upanishads en
Inde, Parménide, Pythagore et Héraclite en
Grèce... délaissèrent le « Dieu » représenté
par l'Absolu irreprésentable : Ciel, Dao,
Brahman ou Shunyata. Plusieurs siècles
auparavant déjà, Zoroastre en Perse changea de
Dieu, il abandonna la représentation humaine
pour adopter le feu sans forme fixe,
transformateur de toute forme, comme unique
image.
5- Israël nous introduit en plein dans le
monde sémite, mais son monothéisme et son
eschatologie furent marqués par une profonde
influence perse, indo-européenne. Les grands
prophètes d'Israël enseignèrent que le premier
commandement de la Loi de Dieu est : « Tu ne
feras aucune image de Dieu » (Ex 20,4). Nous
ne pouvons pas nous passer d'images et de
mots, mais ceux-ci ne valent que dans la
mesure où ils nous invitent à aller au-delà,
jusqu'à l'Absolu sans image et jusqu'au
Mystère sans mot, en perpétuelle transition.
Subsistent seulement des métaphores et des
récits métaphoriques. Jacob, dans le gué ou le
passage du Yabboq, lutte contre son image de
Dieu et l'emporte, il ressort blessé de cet
affrontement, mais aussi béni (Gn 32,23-33).
Moïse le transgresseur, fuyant le pouvoir
pharaonique, s'avance dans le désert, et là,
dans une montagne « païenne », il rencontre le
Mystère sans nom dans le Buisson Ardent, seul
quatre consonnes imprononçables (YHWH) : « Je
suis celui qui suis » (et qui tu es et l'Être
de tout ce qui est) (Ex 3). Elias, fuyant lui
aussi le pouvoir royal et ses prophètes
professionnels, mais lui-même habité par
l'idéologie du Dieu unique et tout-puissant,
idole suprême, dut apprendre qu'un tel « Dieu
» n'existe pas, que l'Absolu n'est ni un vent
impétueux ni un séisme terrible ni un feu
dévorant, mais bien une brise légère à peine
perceptible (1 R 19). Chaque fois ils ont
rencontré Dieu au-delà de « Dieu ».
6- Nous chrétiens, nous pouvons et nous devons
aller aussi au-delà de l'image du Dieu de
Jésus. Jésus demeura sans doute théiste, mais
sur de nombreux points, pas en tous, il passa
outre l'image conventionnelle de Dieu. De
fait, la tradition mystique chrétienne alla
sur ce point au-delà de Jésus. Maître Eckhart,
par exemple, fit la distinction entre Divinité
et Dieu : il reconnut la Divinité comme Rien,
ou comme Tout privé de tout attribut, et il
nia la réalité du Dieu avec attributs. « Oh,
Dieu, libère-moi de Dieu » disait-il.
7- Aujourd'hui, pour beaucoup, toujours plus
nombreux, de chrétiennes et de chrétiens
profondément engagés et sincères, il est non
seulement permis, mais aussi nécessaire de se
défaire de toute image théiste de Dieu ou de
l'Absolu, en allant en cela au-delà de Jésus.
Nous ne croyons pas ce que nous voulons, mais
ce que nous pouvons (J.M. Mardones), à
l'intérieur du « croyable disponible » de
notre époque (P. Ricœur). Aujourd'hui,
l'existence d'un Étant antérieur au monde,
subsistant sans celui-ci et agent créateur
premier de celui-ci, s'avère difficilement
crédible. Au-delà de tout dualisme entre monde
physique et métaphysique et entre
matière-esprit, au-delà de tout schéma
temporel avant/après, au-delà de toute
opposition entre transcendance-immanence, le
monde est mû par un dynamisme créatif qui le
rend autocréateur.
8- Que reste-t-il, dès lors, après « Dieu » ?
Après « Dieu », il reste Dieu. Ou bien, si
l'on préfère éviter d'utiliser ce terme
tellement équivoque - sachant que tous les
termes de tous les dictionnaires le sont - on
peut dire « Après "Dieu", il reste le
Réel », auquel nous appartenons. Le Réel :
tout ce qui existe, antérieur à nous et plus
grand que nous, l'univers infiniment grand et
infiniment petit. Le Réel c'est des formes,
mais pas seulement des formes, mais aussi du
Fond Infini qui s'ouvre dans chaque forme de
l'infiniment grand et l'infiniment petit. Le
Réel est la beauté qui nous séduit et nous
émeut. Le Réel est le souffle vital qui anime
et assemble et crée tout, dans une créativité
infinie de possibilités inépuisables. Le Réel
est autoconscience du je, altérité du tu,
communion du nous. Le Réel est digne de foi,
de confiance illimitée en dépit de tout. Après
« Dieu », subsiste le Réel, avec le Mystère
source dynamique qui bat en son Fond.
9- Le Réel premier et dernier, l'Absolu
source, n'est pas un Cela impersonnel, pas
plus qu'un Je face à un tu, non plus un Tu
face à un je, qui seraient deux. C'est plutôt
le Je Absolu qui n'a pas de limite et n'en
impose aucune. C'est le Tu Absolu qui ne
contient aucune séparation et n'en entraîne
aucune. Le Réel absolu, auquel nous
appartenons, est transpersonnel, c'est-à-dire
infiniment plus que « personnel » dans le sens
où l'on entend ce terme (centre autoconscient
individuel distinct d'un autre centre
autoconscient individuel). Le Réel absolu est
plus que personnel, de sorte que dans notre
relation avec Lui/Elle/Cela il ne suppose ni
la fusion en un ni à la séparation en deux.
10- Cette Réalité source créatrice,
pouvons-nous encore l'appeler Dieu ? A
chacune, à chacun d'en décider.
Personnellement, en cette époque de
transition, je ne me refuse pas à l'appeler
encore Dieu, sans l'enfermer dans aucune
image. L'important n'est pas comment nous
croyons en elle, mais comment nous la créons.
L'important n'est pas comment nous la nommons,
mais comment nous l'incarnons, comment à la
faveur de chaque pas et de chaque respiration
nous inspirons et nous nous laissons inspirer
par le Souffle vital, l'Âme et le Cœur du
monde -ce sont des façons de parler- et
comment nous nous enflammons dans la flamme
d'amour qui ne se consume pas. L'important est
que cette création qui gémit dans les douleurs
de l'enfantement puisse parvenir à sa
réalisation la plus accessible, sa libération
la plus totale dans la compassion avec le
blessé proche et lointain. L'important est que
la bonté créative soit la plus réelle possible
en tout et que Dieu au-delà de « Dieu » soit
tout en tout (1 Co 15,28) en cette petite
planète et dans l'univers ou multivers tout
entier.
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