Protestants dans la Ville
|
|
Vie, mort et
résurrection
de la morale sexuelle
José Arregi
transmis par Michel Leconte
26 juin 2021
En l'an 30 de notre ère,
plus connue encore
dans le « monde occidental » comme « après
Jésus-Christ », quand la première pleine lune
de printemps illuminait la nuit de Palestine,
un jeune prophète appelé Jésus de Nazareth fut
arrêté, jugé sommairement et condamné à la
croix par le procureur romain, sur la requête
et avec la connivence du Sanhédrin religieux.
Son délit : avoir proclamé en parole et en
acte que « le samedi est pour la vie et non la
vie pour le samedi », à savoir, que la loi la
plus absolue de n'importe quel État ou quelle
société et de n'importe quelle Église ou
quelle religion est subordonnée au bien de la
vie, non le bien de la vie subordonné à
n'importe quelle loi, aussi divine ou
impériale soit-elle. Les uns et les autres
décidèrent que le prophète était une menace
pour l'ordre établi, et tous ensemble
l'éliminèrent à la veille de la Pâque, à la
première heure de l'après-midi. Et aujourd'hui
ils recommenceraient – je veux dire nous
recommencerions – à le faire.
Mais Marie de Magdala, qui aimait Jésus qui
l'aimait aussi, le regard purifié par les
larmes du deuil, vit clairement que le
crucifié vivait pour ne plus recommencer à
mourir et elle l'aima plus encore corps et
âme. Et elle ouvrit les yeux de Pierre et
d'autres compagnons et compagnes, et ils
recommencèrent à être le mouvement itinérant,
créatif, réformateur de Jésus qu'ils avaient
été sans autre doctrine ni autorité que leur
mémoire librement relue à la lumière de la
vie. Sans autre loi que le bien de la vie
toujours nouvelle.
Une génération après, la mémoire commença à se
transformer en doctrine, la présence en culte
ordonné, l'égalité fraterno-sororale en
hiérarchie cléricale, la vie en code moral. Au
IVe siècle, le siècle
de Constantin, le mouvement de Jésus se
convertit en religion établie. Jusqu'à nos
jours. Et aujourd'hui nous nous trouvons face
à une alternative historique : ou bien nous
récupérons le souffle de Jésus, la flamme
pascale de la vie qui ressuscite sans cesse en
tout, ou bien nous continuons enfermés dans un
système religieux obsolète depuis au moins 300
ans, et nous commençons à laisser le temps et
les nouvelles générations oublier (avec
raison) nos crédos, nos cultes et nos codes,
et peut-être aussi (malheureusement) la
mémoire subversive de Jésus, son souffle
rénovateur de la vie.
Mais qu'a à voir tout ce préambule avec la «
vie, mort et résurrection de la morale
sexuelle », titre que l'on m'a proposé pour
cette réflexion pascale ? Cela a à voir avec
le fait que la « morale sexuelle » en vigueur
ne vit plus, ne fait plus vivre, qu'elle est
morte et fait mourir, et le mieux sera qu'elle
demeure morte dans sa tombe millénaire à moins
qu'elle ne ressuscite totalement transformée
par l'esprit pascal de la vie. Et cela a à
voir avec le fait que le vie et la mort
pascale de Jésus devraient être, pour les
églises chrétiennes, le critère de base de la
transformation pascale de toutes leurs
croyances, de tous leurs rites et leurs codes,
et de leur enseignement tout entier sur la
sexualité. Je me demande, donc : quels
seraient les signes et les conditions pour
pouvoir dire que la morale sexuelle –
dénomination bien établie qu'il vaudrait mieux
remplacer par « éthique sexuelle » a «
véritablement ressuscité » ? Je vais en
indiquer quelques unes fondamentales :
• Quand les Églises dans leur ensemble, et
leurs gouvernants et « magistère » en
particulier, assumeront les connaissances
acquises par l'histoire, l'anthropologie, la
biologie, la médecine et les sciences en
général sur ce qui, dans le champ du
comportement sexuel, est bon et sain pour la
vie personnelle et interpersonnelle, et qu'ils
n'enseigneront jamais rien qui soit en
contradiction avec les données scientifiques ;
• Quand ils admireront et célèbreront que
l'évolution de la vie ait sélectionné, il y a
au moins 1 milliard 200 millions d'années, la
reproduction sexuelle – depuis les algues
jusqu'à toutes sortes d'animaux – parce
qu'elle fait que la vie soit plus diverse et
créative, et qu'ils reconnaitront que la
sexualité est un chant à la diversité – de la
pollinisation entre les plantes jusqu'à des
rituels complexes, danses et cortèges
d'accouplement – et qu'ils cesseront
définitivement de croire qu'un « Dieu » aurait
dicté une forme unique de pratique sexuelle
comme bonne et licite ;
• Quand ils pourront lire avec une admiration
contemplative le livre biblique du Cantique
des Cantiques, qui s'ouvre par ces mots : «
Qu'il me donne les baisers de sa bouche :
meilleures que le vin sont tes amours ! », et
il continue sur ce ton jusqu'à la fin, parlant
sans pudeur ni attirance perverse de poitrines
et de sexe, de corps qui s'enflamment et se
fondent, de « liqueur de grenade », et sans
jamais nommer le mot « Dieu », bien qu'il ne
parle pas d'autre chose ;
• Quand ils reconnaîtront l'immense mutation
que connait, pour la première fois dans les
300 000 ans de l'histoire de l'Homo Sapiens,
notre génération, à savoir : que la
reproduction s'est séparée de la relation
sexuelle et que, par conséquent, la relation
sexuelle a du sens en soi indépendamment du
fait qu'elle soit ou ne soit pas destinée à la
reproduction ; quand, par conséquent, le
Vatican abrogera totalement la malheureuse
Encyclique Humanae Vitae de 1968 de
Paul VI, qui a infligé tant de souffrances
inutiles et injustes à toute cette génération
de femmes et d'hommes catholiques.
• Quand ils savoureront profondément le fait
que la mystérieuse et sage énergie de la vie,
dans son évolution impressionnante, ait doté
le sexe d'une extase de plaisir, et qu'ils
s'en réjouiront, et qu'ils ne se contenteront
pas seulement de ne pas le censurer, mais
qu'ils le béniront comme quelque chose de bon,
sain et saint en soi, aussi sain et saint que
le plaisir de manger et de boire, de
s'allonger au soleil du printemps ou d'écouter
le chant paisible du merle sur sa branche,
sans autre limite que le fait de ne pas se
faire de mal à soi-même ni à d'autres
personnes, et qu'ils le contempleront comme
épiphanie de la sainte Créativité de la vie
qui est Dieu ;
• Quand l'Église catholique, en consonance
avec la plupart des religions et des autres
religions chrétiennes, en conformité avec le
silence de toute la Bible et d'une bonne
partie de la propre histoire de l'Église
catholique, déculpabilisera entièrement la
masturbation, et en accord avec la biologie et
la psychologie et l'observation du
comportement humain en la matière de toutes
les cultures humaines et dans d'autres espèces
animales, acceptera le caractère naturel et
totalement inoffensif de cette pratique
sexuelle, et reconnaîtra son erreur et
regrettera profondément l'immense,
l'oppressante angoisse de culpabilité qu'elle
a provoquée, surtout dans les derniers
siècles, pour l'avoir considérée comme un
péché, et mortel qui plus est, méritant
l'enfer éternel... ;
• Quand ils s'en voudront de l'énorme douleur,
de la honte, et jusqu'au dégoût d'eux-mêmes,
qu'ils ont fait ressentir aux personnes
LGBTQî+, les obligeant à se voir comme des
malades, des coupables, des perverses ou des
inverties et qu'ils demanderont sincèrement
pardon, et qu'ils reconnaîtront à l'amour et à
la relation sexuelle des personnes LGBTQî+ la
même dignité qu'à l'amour et aux relations
sexuelles de personnes hétérosexuelles
canoniquement mariées, et béniront celles-là
autant que celles-ci, et les admettront à
égalité comme sacrement de l'Amour, de la Vie,
de Dieu ;
• Quand, en résumé, les hiérarchies et le dit
« magistère » – que Jésus n'a pas voulu – se
libèreront des préjugés, des répressions et
des obsessions liées à la sexualité – qui ne
proviennent ni de la Bible ni de Jésus, mais
de philosophies comme le manichéisme et le
platonisme, surtout à travers Saint-Augustin
et Saint-Jérôme –, des préjugés et des
répressions dont ils ont été eux-mêmes les
premières victimes et qu'ils ont imposés à
tous les autres au nom de « Dieu », et quand
ils ouvriront enfin les yeux pour regarder le
corps humain et le sexe, avec toute sa
merveilleuse diversité, comme symbole de la
beauté et de la fragilité de la vie et comme
appel à prendre soin et à bénir ladite
diversité, jamais à la condamner ni à la
blesser et qu'ils corrigeront en long, en
large et en travers le Catéchisme et le Code
du Droit canonique...
... alors ce sera la Pâque de la morale
sexuelle dans la Pâque de Jésus, qui est ma
façon de célébrer la Pâque permanente et
universelle de la vie.
Je crois que nous devrons continuer à attendre
encore beaucoup de premières lunes de
printemps avant que n'ait lieu la résurrection
de la morale sexuelle dans l'Église
catholique, mais nous continuerons à célébrer
chaque année et chaque jour la Pâque de Jésus.
Et nous continuerons à espérer, c'est-à-dire,
nous laisser encourager par l'esprit du
crucifié vivant et à anticiper dans nos vies
un peu de sa Pâque, en faisant que l'amour
prenne corps, se fasse chair.
Retour vers libres opinions
Retour
vers José Arregi
Retour
vers Michel Leconte
Vos commentaires
et réactions
|
|
Les internautes qui souhaitent être directement
informés des nouveautés publiées sur ce site
peuvent envoyer un e-mail à l'adresse que
voici : gilles@castelnau.eu
Il ne s'agit pas du réseau Linkedin auquel nous ne
sommes pas rattachés.
Ils recevront alors, deux fois par mois, le lien
« nouveautés »
Ce service est gratuit. Les adresses e-mail ne
seront jamais communiquées à quiconque
|
|