Protestants dans la Ville
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Prière à
Dieu et prière de Dieu
à propos d'un livre de Hans Küng
José Arregi
transmis par Michel Leconte
22 juin 2021
La publication d'un petit
livre de Hans Küng (La oración y el
problema de Dios : « La prière et le problème de
Dieu ») sur le site www.atrio.org, dans le cadre
du débat « Non-théisme et foi en Dieu », m'offre
l'opportunité de le relire et de proposer quelques
réflexions à ce propos.
Trente ans se sont écoulés depuis que le brillant
théologien et écrivain suisse, en pleine maturité
de sa pensée, publia ce texte d'à peine 100 pages.
Durant ces 30 dernières années, combien a changé
la culture globale de l'humanité, et le langage et
les pratiques des grandes religions si peu,
pratiquement rien ! L'écart entre la religion et
la culture ne fait que croître et sera bientôt
impossible à combler, ce que le théologien suisse,
récemment disparu, ne cessa de dénoncer et de
regretter.
Cette rupture avec la culture — vision du monde et
forme de vie — entraîne irrémédiablement une
conséquence qui saute aux yeux, à savoir, que la
société en masse tourne le dos à la religion, une
religion qui naquit pour inspirer et encourager,
mais qui n'encourage ni n'inspire plus, car elle
est restée ancrée dans un monde prémoderne
obsolète. Que peuvent faire les gens si ce n'est
qu'abandonner langages, croyances et normes,
prières, temples et messe — la messe, qui selon
l'enseignement des théologiens et du clergé est la
forme de prière par excellence et la présence
visible de Dieu par antonomase... —, toutes ces
choses qu'ils ne comprennent pas et ne leur
apportent rien ? La religion transformée en ruine.
Hans Küng le constatait déjà il y a 30 ans, et son
livre cherche précisément à répondre à cette
constatation : la prière est entrée en crise à
l'ère moderne, parce que l'image théiste d'un Dieu
personnel extérieur et tout-puissant qui
intervient dans le monde quand il le veut est
tombée en désuétude. Cela signifie-t-il pour
autant la disparition de Dieu et de la prière ?
Tout dépend de ce que l'on entend par les termes
prière et Dieu.
Si vous priez Dieu pour réussir un examen, votre
travail ou votre mariage, si vous priez pour
éviter ou obtenir quelque chose qui serait
inévitable ou inaccessible autrement, si vous
priez en demandant à un Dieu qui peut vous écouter
et agir ou peut ne pas le faire — lui seul sait
pourquoi —, votre prière est magique, votre Dieu
est mythique. Ce Dieu n'existe pas, et votre
prière est aliénante, elle vous fait miroiter
quelque chose qui n'existe pas. En cela,
Feuerbach, Marx, Freud, Nietzsche et tous les
athées ont raison, tout comme l'ensemble des
croyants qui, comme Hans Küng, cherchent à rendre
compatibles la foi en Dieu et la prière avec la
raison.
Qu'est-ce donc prier, et comment pouvons-nous le
faire ? Le brillant professeur de Tübingen aborde
ces questions décisives avec la précision et
l'acuité qui le caractérisent, et il étend la
perspective de la foi en Dieu et de la prière au
dialogue avec la raison moderne et les différentes
traditions religieuses. Son opuscule illumine et
interpelle à la fois, il incite à penser.
Néanmoins, et malgré l'admiration que je voue à
son auteur, je dois vous avouer que 30 ans après,
cet ouvrage me semble limité, et pas précisément à
cause de sa taille. Je me heurte à deux problèmes
qui n'en sont qu'un : prière et Dieu.
L'objection de fond est l'image de Dieu qui, comme
tout au long de l'œuvre de cet auteur, continue
d'être, de mon point de vue, excessivement «
théiste » : Dieu, affirme-t-il, est le « partner »
de celui qui prie, la prière est un « colloque »
(Moi-Toi) avec Dieu, Dieu « écoute ma prière de
requête ». Ce sont des expressions pour le moins
ingénues pour maintes personnes habituées à une
prière profonde, et elles nous étonnent quelque
peu chez un théologien aussi rationnel que Küng.
De plus, je suis surpris de le voir tomber dans
une contradiction flagrante en utilisant sur le
même plan des termes qui s'opposent : il exclut,
d'une part, « une intervention miraculeuse
surnaturelle de l'extérieur », et d'autre part, il
affirme catégoriquement que quand il prie, le
chrétien doit confier en une « intervention » de
Dieu ; il déclare d'un côté que « Dieu nous
soutient, nous domine et nous entoure d'une façon
transpersonnelle », et déclare par ailleurs que «
la structure Moi-Toi est constitutive » de la
prière. Je sais bien que, en parlant de Dieu, nous
ne pourrons jamais résoudre tous les éléments
contraires en un langage univoque. Mais il me
semble que l'on peut s'attendre de la part de Hans
Küng à une élaboration plus rigoureuse et nuancée
de telles affirmations contradictoires.
Ma seconde objection concerne l'opposition trop
usée et grossière qu'il établit entre « la forme
orientale de méditation impersonnelle et la forme
occidentale de la prière personnelle ». Il
affirme, avec raison, la présence importante de la
prière mystique du silence dans la tradition
chrétienne, mais il finit par opposer d'une part,
la prière mystique qui met l'accent sur le vide,
le néant, l'oubli de soi et le nirvana, et d'autre
part, la prière « spécifiquement chrétienne »,
régie par « les normes de l'Évangile de
Jésus-Christ », qui insiste sur la plénitude, la
conquête du soi, l'être nouveau et la vie
éternelle. Il arrive même à dire que « la
méditation mystique peut être une forme de prière,
parmi bien d'autres, mais certainement pas la plus
élevée ». Je trouve ces affirmations
superficielles et insuffisantes.
Il est temps d'aller au-delà. De comprendre et de
pratiquer la prière comme une expression de la
profondeur de la vie et de tout ce qui est réel.
De parler de Dieu en utilisant d'autres
métaphores, telles que, Âme, Souffle et Cœur du
monde, de tout ce qui est et que nous sommes.
« Oraison » vient du latin orare, parler. Certes,
nous avons besoin de mots pour nous dire à
nous-mêmes et aux autres, dans le réseau universel
du moi-tu-nous-cela que nous formons. Êtres
parlants, nous avons besoin de mettre un nom à
tout ce que nous sommes et vivons (carence,
plénitude et faute, plaisir et angoisse), en quête
de profondeur. Les mots peuvent nous aider à
parvenir au grand silence où jaillit la vie et où
guérissent les blessures les plus profondes.
Alors, l'oraison en mots conduit à l'oraison en
silence, avec une méthode ou sans méthode, en
Orient comme en Occident (au-delà de nos
étiquettes et de nos géographies planes,
l'Occident est l'Orient de l'Orient et l'Orient
est l'Occident de l'Occident : il suffit de voir
le Globe terrestre).
La parole est nécessaire, certes, mais nous
parlons trop dans notre prière — Jésus de Nazareth
le disait déjà, et H. Küng le rappelle bien à
propos —. Nos messes, par exemple, sont un
verbiage inintelligible, difficilement
supportable. Que les paroles se taisent, surtout
celles dont la signification est devenue pour nous
absurde et blasphème, notamment dans la plupart de
prières de la messe qui commencent par « Oh Dieu
tout-puissant » ou, encore, quand nous répétons
sans cesse des supplications indignes de Dieu et
des fidèles, telles que « Seigneur, aie pitié », «
Nous te prions, écoute-nous »... Ces paroles et
bien d'autres devraient tout simplement
disparaître de la liturgie et de toutes nos
prières vocales, ou du moins, être substituées par
d'autres qui nous conduisent au Silence profond —
un nom de Dieu — où notre vie surgit et se
renouvelle. Cela sera impossible si nous
continuons à nous accrocher à nos mots et à leur
signification, qui sont toujours inévitablement
des constructions humaines culturelles.
Nous prions Dieu ? Oui, nous le faisons aussi :
nous prions Dieu, c'est-à-dire, nous nous
exprimons devant Dieu, Âme, Souffle, Cœur de tout.
Dans la pauvreté et dans l'abondance, dans la joie
et dans la peine, nous nous exprimons : nous
rendons grâce, supplions, louons, demandons pardon
à tout, au Tout dans tous les êtres. Lorsque
j'embrasse un arbre, je salue un rocher, je
remercie la pluie, je loue le soleil ou je demande
pardon à celui que j'ai blessé... j'embrasse, je
salue, je remercie, je loue, je demande pardon à
Dieu en tous les êtres. Je dis tout simplement «
me voici ». Car Dieu, au-delà des catégories
telles que personnel et impersonnel, au-delà de
toute identité et altérité, est le Moi de mon moi,
est le Tu en tout tu, même dans le tu que je suis
pour moi-même, il est la Communion du nous que
tous les êtres nous formons.
Lorsque nous prions, comme chaque fois que nous
parlons, nous nous exprimons en forme de dialogue,
mais lorsque nous nous exprimons à fond, « nous
prions » — à savoir, nous sommes et nous nous
disons — « devant » Dieu ou « en » Dieu, devant le
Tout ou dans le Tout, au Fond du Réel au-delà de
toute unité et dualité, en lien avec le moi sans
égocentrisme et en rapport avec l'autre sans
dualité. Car Dieu et le monde ne sont ni un ni
deux, à l'image du cerveau et de la conscience qui
ne sont ni un ni deux.
Nous prions Dieu ? Oui, mais surtout Dieu — Âme et
Souffle et Conscience de tout ce qui est — PRIE,
se dit, est, fait être en nous, en tout ce qui
est. Tout prie, se prie ou s'exprime constamment.
Dieu se prie dans les pleurs et les rires, dans le
chant des oiseaux et des vents, dans la musique
des atomes et des galaxies et dans la vibration du
vide d'où l'univers ne cesse de naître.
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