Libre opinion
Le complotisme
Psychologiquement déstabilisante,
la pandémie a renforcé le complotisme
Thierry Ripoll
Auteur du livre « Pourquoi croit-on ? »,
le chercheur en psychologie cognitive Therry Ripoll
dissèque les mécanismes cérébraux qui facilitent l’adhésion à des croyances infondées.
Propos recueillis par Elisabeth Berthou
article paru dans
Le Monde
le 10 février 2021
10 février 2021
Voici les trois derniers paragraphes de cette intéressante interview
Certains types de personnalités sont-ils plus sensibles aux croyances complotistes ?
[...]
Si le sujet se trouve en difficulté psychologique, ne parvient pas à s’intégrer dans la société ou souffre de sa situation sociale, il développera une conception explicative de son mal-être : la souffrance interne prend ainsi un sens. En outre cela donne aux complotistes la satisfaction de comprendre ce que les autres ne comprennent pas. Ainsi un complotiste très actif sur les réseaux sociaux prétend que si ce qu’il raconte est jugé aberrant, c’est parce que les autres sont « décérébrés ». N’oublions pas que les complotistes se targuent d’éclairer les gens. Ils obtiennent donc une satisfaction narcissique immense et compensatrice.
Le complotisme jouerait donc un rôle de régulateur dans le psychisme ?
Absolument. Prenons le cas de la pandémie qui génère du stress et un sentiment de perte de contrôle, accentués par la réduction de la liberté. C’est psychologiquement très déstabilisant. Ce phénomène massif a renforcé le complotisme ambiant, car c’est une manière de compenser le trouble induit. Le complotiste est en position d’expliquer ce qui est en train de se passer, la raison de cette pandémie. Et cela permet une sorte d’homéostasie psychique dont nous avons besoin dans une telle période.
Peut-on réduire les croyances infondées telles que le complotisme ?
C’est très difficile car elles génèrent des contenus qui ont des fonctions psychologiques bien identifiées : ce sont de formidables béquilles. S’y opposer frontalement conduit à les renforcer ! Si je m’attaque à la croyance, je malmène le dispositif que l’individu a mis en place pour survivre psychologiquement, et cela peut conduire à le radicaliser davantage. Même une conception aussi délirante que le platisme [la conviction que la Terre est plate] ne peut être efficacement déstabilisée quand elle est confrontée à l’évidence empirique. La seule possibilité consiste à conduire le croyant à s’interroger sur les processus mis en place pour croire. S’interroger sur la genèse d’une croyance est plus efficace que remettre en cause sa validité.
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