Libre opinion
Le sens de la vie
pasteur Serge Soulié
blog
22 novembre 2020
De manière générale le sens de la vie est l’interrogation sur l’origine, la nature et la finalité de la vie. Les questions sont alors « d’où venons-nous ? » « Où allons-nous ? » Qui sommes-nous ? »
Pour Schopenhauer ce type d’interrogation différencie l’homme de la bête. Prêtres, pasteurs, psychologues, psychanalystes, psychiatres sont confrontés à ces interrogations dans le cadre de leur fonction. Ces interrogations qui sont celles des fidèles ou des patients deviennent les leurs tant elles sont répétées. Elles sont inhérentes à la nature humaine. C’est ainsi que religieux et médecins ont souvent bien du mal à lâcher leur travail pour prendre leur retraite. Ils ne peuvent plus vivre sans que ce questionnement sur le sens de la vie ne soit plus exprimé par d’autres. Le questionnement des autres les protège de l’angoisse existentielle. Les pasteurs retraités continuent leur ministère bénévolement. Les médecins assurent des remplacements ou militent dans des associations médicales.
Il est une évidence : plus l’humain cherche du sens et plus il s’en éloigne. En effet, le sens de la vie mène irrévocablement à la mort qu’il veut éviter. La quête du sens ne devient pertinente qu’après le renoncement à s’en faire une idée abstraite à soustraire de la théorie pure car comme le dit Freud au sujet du sens de la vie « il n’existe pas de façon objective ».
Mon expérience est qu’il faut permettre à l’interrogateur du « sens de la vie » le retour à une réalité concrète. C’est ainsi que dans le centre de cure pour malades alcooliques que je dirigeais, ceux qui s’en sortaient, autrement dit ceux qui se débarrassaient de leur dépendance à l’alcool comme de leurs symptômes dépressifs étaient ceux qui arrivaient à investir et à se passionner pour d’autres domaines culturels ou manuels et créatifs. Ils se découvraient une passion plus forte que toutes celles qu’ils avaient eues jusque-là.
C’est pourquoi nous avions mis en place des ateliers bois, fer ou encore agriculture. Certains en venaient à une foi dépourvue de toute attente magique. A travers l’activité, le toucher de la matière, le travail de la terre et la présence des animaux, ils redescendaient sur terre comme se plaisait à le répéter les curistes dans les groupes de paroles. La réflexion, à partir de films, de contes ou de romans, sur des sujets de société qu’ils subissaient sans les avoir pensés avait aussi un rôle libérateur. Elle permettait à chacun de se situer avec lucidité dans son environnement.
J’ajouterai à ce retour aux choses réelles le regard pour ne pas dire la contemplation des choses de la nature et des objets de la vie. Dans l’atelier agricole du centre pour malades addictifs (alcool et drogue), certains passaient des heures à regarder les poules, les lapins, les chevaux et le poney. D’autres se précipitaient le matin pour voir pousser ce qu’ils avaient semé. Ils s’extasiaient devant les fleurs, les arbres et autres éléments de la nature. Ceux-là étaient guéris ! Ils ne croyaient pas, ils n’espéraient pas. Ils jouissaient de ce qui leur était donné chaque jour. Ils découvraient Dieu non comme un Etre Suprême mais comme une force animant tous les éléments de la création. Ils se sentaient participants à cette force. Ils ne cherchaient pas Dieu. Le Divin venait les rencontrer. Je ne parlais jamais de Dieu. Eux venaient en parler. Quelques mois après avoir quitté le centre de cure, un patient écrivait : « Je vais très bien. Je ne bois plus d’alcool. Je ne sais pas ce qui s’est passé au centre mais j’ai découvert un autre Dieu alors que vous ne nous en parliez pas ou très peu lorsque vous étiez sollicité. Je vais à la messe tous les dimanches. Malheureusement je ne retrouve ni la force ni la clarté de ce que je recevais au centre jour après jour. J’ai l’impression de me retrouver sur une autre planète. »
En arrivant au centre cet homme avait deux voies pour se débarrasser de son addiction et donner un sens à sa vie. Il pouvait se révolter contre la mort qui le guettait tant il buvait. Il pouvait se battre contre l’angoisse qui l’amenait à pester contre sa famille, son travail et les choses de la vie. Mais il pouvait aussi lâcher prise et s’abandonner au programme que lui proposait le centre de cure.
Dans le premier cas il ne pouvait pas jouir de la vie. Ses efforts restaient vains et sa volonté impuissante bien qu’il ait envie de s’arracher à sa situation.
Dans le deuxième cas, il pouvait s’abandonner à la contemplation, l’extase et l’émerveillement. Il pouvait s’installer et aimer le lieu où il se trouvait tel Solaro au fond de sa prison, le héros du roman « la joie » de Charles Pépin.
Je me dis que Jésus suivait ce double mouvement de la révolte et du lâcher prise. Dans un premier temps il n’acceptait pas la situation misérable de ceux qu’il rencontrait. Dans un deuxième temps il restait calme et paisible devant les situations qui lui étaient données de vivre, y compris dans la tempête et devant la croix. Il n’a pas fui. Il ne s’est pas rétracté.
En conclusion, je dirais que le sens de la vie ne relève pas d’une croyance ou d’une espérance mais d’une disposition à se laisser saisir par ce qui nous entoure tout en établissant des liens avec les êtres et les choses autour de nous. Contemplation, extase et joie seraient les maîtres mots du sens de la vie.
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