Une foi raisonnable
A Reasonable Faith
David Boulton
Quaker
traduction Gilles Castelnau
14 janvier 2019
Qu’entendez-vous par « la religion est une création humaine » ?
Cela s’applique-t-il aussi à Dieu ?
On a souvent entendu dire que la religion des autres était une création humaine mais que la nôtre était révélée par Dieu. Pourquoi Dieu réserverait-il sa révélation aux seuls juifs, au chrétiens ou aux musulmans ?
On peut répondre que Dieu a révélé sa Vérité à tous les peuples mais que seul l’a interprétée correctement le groupe auquel on appartient.
Une autre réponse est que Dieu a introduit une connaissance de lui-même dans tous les cœurs humains mais que celle-ci a été traduite en différents systèmes religieux par les diverses cultures du monde.
Ces réponses seraient acceptables si toutes les religions enseignaient des vérités convergentes et pratiquaient une coexistence pacifique, ce qui est loin d’être le cas.
Mais les principales religions - et notamment le christianisme – prétendent être les seules à connaître la Vérité de Dieu : « Personne ne vient au Père que par moi » (Jean 14.6). Cette attitude exclusiviste (voir sur ce site) était compréhensible à une époque où l’on ignorait les croyances et les pratiques des autres peuples mais ce n’est plus le cas depuis la réduction de la dimension du monde qui a marqué le XXe siècle. Nos sociétés elles-mêmes sont devenues multiculturelles et multi-religieuses.
Nous avons pu reconnaître que toutes les religions se sont développées graduellement suivant des processus humains, historiques, culturels.
Elles sont des expressions de la créativité humaine. Il n’y a rien de mal à dire que toute foi religieuse est une création humaine ».
Où en est-on dès lors avec Dieu ?
William Blake disait il y a deux cents ans, que Dieu « demeure dans la poitrine des hommes ». Dieu est amour et l’amour est humain. Blake disait encore : « la miséricorde, la compassion, la paix et l’amour sont Dieu ». Mais ils sont aussi « homme... car la miséricorde est celle du cœur humain, la compassion est celle d’un visage humain, l’amour est la forme humaine du divin et la paix leur vêtement humain... »
C’est pourquoi, oui, nous disons avec l’évêque John Robinson que Dieu n’est pas une entité métaphysique « là-haut au ciel ». Un tel Dieu serait trop petit. Un Dieu patriarcal n’est désormais plus crédible.
Le mot « Dieu » est, et a toujours été, une métaphore par laquelle notre nature humaine entend désigner ce qui nous paraît « ultime » et « éternel ». Ce que Blake appelait miséricorde, compassion, paix et amour et aussi justice, tendresse, vérité, intégrité et beauté.
Après tout, à part les fondamentalistes, la plupart des croyants réfléchis ont progressivement abandonné l’idée que les anges et les démons et même le diable lui-même seraient des êtres « réels » et admis que ce sont des figures imagées et allégoriques du bien et du mal.
Sea of Faith suggère que Dieu lui-même soit désormais considéré lui aussi comme une image et une allégorie et non plus comme un être « réel, là-haut dans le ciel ».
Ce n’est pas pour récuser la réalité de l’ « union avec Dieu » mais pour la comprendre autrement.
Cela n’est-il pas un humanisme athée déguisé en religion radicale ?
C’est un humanisme, en effet, mais qu’entend-on par « athée » ? si c’est ne pas croire en un Dieu métaphysique « réel » qui existerait indépendamment de la pensée humaine, alors effectivement Sea of Faith peut être considérée comme athée. Mais il faudra alors également qualifier ainsi les nombreux chrétiens de la tradition mystique qui ont toujours compris le mot « Dieu » comme une métaphore et un symbole.
Il faudrait aussi qualifier d’athées les traditions orientales, comme le bouddhisme et de nombreux hindous.
On peut donner un sens radical au mot athée et dire qu’aucune conceptions de Dieu n’a de signification, qu’elles sont toutes pures illusions. Cela peut être la position de certains membres de Sea of Faith.
Mais d’autres trouvent une signification vivante aux anciens récits de Dieu dans la Bible ou ailleurs en les interprétant de manière métaphorique et symbolique.
C’est certainement de l’humanisme mais sûrement pas de l’athéisme.
S’il n’y a pas de définition absolue du Bien et du Mal, ne sombrons-nous pas dans la confusion de morales individualistes contradictoires ?
Nous admettons tous que les lois de notre pays soient décidées par les membres du Parlement qui sont tous des créatures humaines. Et pourtant nous ne disons pas que, puisque les lois sont humaines nous sommes autorisés à obéir à celles qui nous plaisent ou à en écrire de nouvelles nous-mêmes. Les lois évoluent avec l’opinion publique et leur autorité dépend de ce consensus. Lorsque les temps changent et que les conditions évoluent, nous changeons également nos lois. Les lois sont donc relatives alors que durant des siècles on les a considérées comme absolues.
Il en est de même avec les lois religieuses et morales : nous disons que telle action est « bonne » et telle autre est « mauvaise » non parce qu’un Dieu extérieur au monde l’a dit mais parce que nous, les hommes, en avons collectivement décidé ainsi.
Certaines actions comme le meurtre, le viol, le vol, mais aussi la malhonnêteté, la trahison, l’égoïsme ont un tel poids de consensus contre elles qu’on en est arrivé à les considérer comme « absolument » mauvaises. Mais dans certains cas de force majeure ou dans des circonstances complexes il n’y a aucun consensus, les opinions diffèrent et nous ne pouvons pas éviter de prendre nos responsabilités.
Il en est de même en ce qui concerne les prescriptions émanant de Dieu, de la Bible ou de l’Église : notre interprétation en est forcément humaine, conditionnée culturellement, provisoire et faillible.
Nous avons notre propre opinion mais la décision finale du « bien » et du « mal » sera collective. Il n’y a aucune confusion de morales individualistes contradictoires.
Comment un prêtre ou un pasteur membre de Sea of Faith peut-il réciter un credo auquel il ne croit pas ou conduire la prière de l’Église ?
De nombreux membres de Sea of Faith se rattachent à des Églises qui ne sont pas fondées sur des credo et n’ont donc pas de problème. Certains qui avaient été élevés dans de telles Églises les ont quittées. Mais il est vrai que d’autres (prêtres, pasteurs ou laïques) récitent un credo et acceptent de chanter des cantiques aux formulations desquels ils n’adhèrent pas.
En ce qui concerne l’Église anglicane (ou épiscopalienne), il faut reconnaître que ses credo traditionnels y sont nommés « formulaires » et que ni les prêtres ni les paroissiens ne sont supposés en donner une interprétation littérale et les considérer comme des expressions immuables de la « Vérité ».
Réciter le credo ou chanter un cantique revient à réaffirmer la tradition, se rattacher au passé, chanter de manière poétique la gloire de Dieu mais n’implique pas d’y donner un assentiment théologique. Si c’était le cas de nombreux évêques se sentiraient contraints de quitter l’Église.
Ceci est également vrai pour l’Église catholique, les Églises orthodoxes et d’autres encore. Leurs traditions liturgiques n’impliquent pas de croire en un « Être là-haut » qui « écoute » ce qu’on dit et y « répond » de manière surnaturelle.
L’utilité de la prière est largement reconnue comme aussi l’importance que revêt la prière collective pour motiver une assemblée. Un sincère désir de paix peut trouver son expression dans la prière et celle-ci renforcera alors un désir de mise en pratique. Nombreux sont les fidèles pour lesquels la prière est plus un engagement qu’une demande.
Les Quaker disent :
Chaque sourire est un hymne,
chaque geste gentil est une prière.
j’ajouterai aussi que l’intérêt se fait sentir de nos jours pour ce que les théologiens nomment la tradition « apophatique » qui souligne l’importance du silence, de la contemplation mystique, de la conviction que Dieu est au-delà de toute définition et que l’on ne saurait dire « Lui ».
Le mystique hindou-musulman Kabîr (15e siècle) a chanté :
Comment prononcer ce Nom mystérieux ?
Comment dirai-je qu’Il n’est pas ceci mais qu’Il est cela ?
Si je dis qu’Il est en moi, j’oublie tout l’univers
Si je dis qu’il n’est pas en moi, je me trompe.
Il unit en moi l’intérieur et l’extérieur
Le conscient et l’inconscient
Il n’est pas évident et Il n’est pas secret
Il n’est pas révélé et Il n’est pas caché
Il n’y a pas de mot pour dire ce qu’Il est. (Cantique 1 104)
Certains membres de Sea of Faith récitent tranquillement le credo comme un simple référent à leur tradition religieuse. Certains considèrent leur appartenance à une Église comme un soutien de leur vie spirituelle personnelle et collective, alors que d’autres préfèrent rompre avec toute Église et prendre un nouveau départ.
Quant à moi, je fréquente une assemblée quaker et je ne récite donc pas de credo. Mais je chante dans une chorale de mon quartier qui propose à l’occasion des airs de musique classique et notamment des messes de grands compositeurs. Je ne refuse pas d’ouvrir la bouche à « Credo in unum Deum » ! Pour moi, comme pour les autres membres du chœur et pour les musiciens – peut-être aussi pour le compositeur – la musique et les paroles expriment tout simplement la hauteur et la profondeur de l’esprit humain. Il serait absurdement littéraliste de refuser de chanter uniquement parce que je ne crois pas qu’un Fils réel soit assis à la droite réelle d’un Père réel.
Et je comprends que les credo puissent être dits et chantés dans une église exactement dans le même esprit.
Je me dis que c’est d’ailleurs ainsi que la plupart des fidèles pratiquent le langage religieux dans la plupart des églises.
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