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Père Maurice Bellet

Si je dis Dieu


Maurice Bellet

théologien catholique

1923-2018


1

Texte publié dans la revue Études 2005/11 (Tome 403), pages 523 à 529


Transmis par Michel Leconte

 

28 février 2023

On ne peut pas parler de Dieu. C'est clair, net et définitif.

Car parler de, ou parler sur, c'est disposer d'un certain pouvoir sur la chose dont on parle. C'est avoir le mot, le concept, l'image, les documents ou la démonstration. C'est ramener la chose dans un espace humain de langage, où nous savons et disposons.

 

Si Dieu est Dieu, il est ailleurs.

 

Et si donc, par plaisir ou par nécessité, quelqu'un se risque à dire quelque chose à propos de Dieu, il doit reconnaître que s'il prétend savoir ce dont il parle et ce qu'il dit, il parle faux.

 

J'ai dit plaisir et nécessité, parce que ce sont les deux excuses valables. Devoir ou intérêt ne valent rien.

 

S'engager là, c'est donc s'engager dans la parole imprononçable, la pensée impensable, la communication incommunicable. De sorte que la toute première chose, et qui ne devra pas cesser, avec et par-dessous toute parole, c'est le silence.

 

Et qu'il n'y a de parole vraie, dans cet espace impossible, qu'à se tenir dans l'extrême humilité, dans une attitude de respect, d'attente, d'écoute. « Personne n'a jamais vu Dieu », dit saint Jean dans son évangile et dans sa première lettre.

 

Mais si Dieu n'existe pas ? Savoir si Dieu existe ou pas, c'est une question d'homme, une affaire qui le concerne. Dieu s'en moque. La boutade veut dire ceci : toute question concernant Dieu suppose que le questionneur soit en pouvoir de la poser. Dieu comme Dieu commence pour nous quand le questionneur est questionné, et de façon si radicale, si implacable, qu'il doit laisser être ce sur quoi il est sans pouvoir. Ce qui se tient au cœur ou à la pointe de ce laisser-être, c'est un je-ne-sais-quoi auquel certaines traditions donnent le nom de Dieu.

 

Mais les philosophes d'Occident ont disserté sur le concept de Dieu et critiqué les images de Dieu. L'athéisme, alors, quand il survient, est refus de l'image et du concept, tels qu'ils sont présentés. Or la crise véritable de l'esprit, quant à Dieu, n'est pas que Dieu soit nié, c'est qu'il disparaisse. C'est-à-dire : on ne rejette pas telle idée ou telle image de Dieu, mais le mouvement qui laissait être le tout à fait insaisissable s'éteint. Commence à se fermer sur lui-même l'enclos où les hommes seront face à face avec eux-mêmes, livrés finalement à la terreur.

 

Dieu est un mot de la langue française : voilà qui est sûr et certain et que personne ne peut contester. Après, tout peut arriver.

 

L'Occidental moyen a dans sa tête quatre groupes de Dieu (au moins). Il y a le Dieu juif-et-chrétien ; ce n'est déjà pas si simple : entre le Dieu qui ordonne à Josué le génocide des Palestiniens et le Père de Jésus-Christ, le moins qu'on puisse dire, c'est que le déclarer unique et identique ne va pas de soi. Il y a le Dieu de la philosophie. Mais de quel philosophe ? Platon, Aristote, Plotin, Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, Bergson, Blondel, Heidegger, Levinas, Ricœur ? Il y a les dieux païens. Ils n'existent plus : personne ne va prier Zeus ou Aphrodite en son temple. Mais eux, au moins, ils fonctionnent ! L'Argent, Éros, et Mars le dieu de la guerre, voilà nos maîtres. Enfin, il y a, sombre sous-produit d'un certain christianisme, le Dieu pervers : il est tout amour, mais son amour nous crucifie avec le Christ ; il nous donne tout, mais c'est sa façon de tout nous prendre.

 

Quand vous dites « Dieu », vous vous promenez là-dedans. Où, au juste ? Et prenez garde : votre Dieu vous est largement inconscient. Vous croyez nommer le Dieu Père, qui a envoyé son Fils sauver le monde, et votre dieu réel, c'est une espèce d'Idée, monstre froid de Toute-puissance ; ou bien c'est l'Argent ; ou bien (je ne l'avais pas nommé, celui-là), votre nation, votre patrie, votre clan.

 

Et quel sera le test ? Votre vie, parbleu. Quel est le dieu (ou Dieu ?) qui agit en vous ? Et le test du test, c'est : qui êtes-vous envers autrui ? Car c'est là que votre dieu réel se révèle efficace. On connaît de « bons chrétiens » qui sont de redoutables tueurs, par égoïsme, cupidité, dureté de cœur, fanatisme, goût du pouvoir ou servilité, etc. Ce n'est pas seulement qu'ils « manquent à la charité » : ils le sauraient et se reconnaîtraient pécheurs ; ils se tiendraient humblement, à côté du publicain. C'est que leur religion est fausse.

 

Qui est ton Dieu ? Qui est mon Dieu ? Ah, pas de réponse précipitée ! J'évoquais ces dieux inexistants qui pourtant fonctionnent : car il y a une fonction « théique » (du grec theos, comme théologie !) qui, je le crois bien, est toujours remplie. Elle désigne le « ce sans quoi », le « ce qui de toute façon », le « ce qui ne peut pas ne pas », le « ce sur quoi l'on fait fond » ; bref, le point d'appui, le point fixe, l'irrécusable, sans lequel l'être humain est livré au chaos – terreur suprême. Oui, l'on pourrait se risquer à une « théologie fonctionnelle », indifférente aux débats sur l'être de Dieu, seulement attentive à ce qui se passe en l'homme, quand les enjeux sont absolus.

 

Ça éclairerait peut-être le paysage.

 

Et Jésus-Christ ? Qu'est-ce qu'il vient faire là-dedans ?

 

Qu'on me pardonne la vulgarité, voire l'irrespect de la formule. Elle correspond assez à la situation ; entendez : à ce qu'éprouvent pas mal de gens.

 

Malaise, chez les chrétiens eux-mêmes, quant aux déclarations de l'Église ; il faut croire, paraît-il, que Jésus est Dieu.

 

Si Jésus est seulement « Monsieur Jésus », mort il y a 2000 ans (quelqu'un de vraiment bien, grand maître spirituel, mais enfin quelqu'un comme nous), et si Dieu est l'Idée du tout-puissant-principe-éternel-créateur-des-mondes, dire sans plus de précautions que Jésus est Dieu, c'est non seulement incroyable, c'est imbécile. C'est déclarer identique ce qui ne l'est pas.

 

Il doit y avoir une autre entrée.

 

Mais la preuve que l'affaire est grave, c'est qu'elle a tourmenté durement l'Église des premiers siècles, jusqu'aux grandes déclarations conciliaires (voyez le symbole de Nicée) où l'Église aujourd'hui encore reconnaît ce qu'elle croit.

 

Autre signe de la difficulté : les mystiques l'ont rencontrée. Dans la grande aventure de l'union de l'âme avec Dieu, pourquoi Jésus-Christ ? Ne serait-il pas – encombrant ? Thérèse d'Avila – elle est femme, elle n'a pas les circonspections des bonshommes – évoque de façon quasi naïve cette tentation-là : évacuer Jésus-Christ. Il pourrait servir, si j'ose dire, de rampe de lancement. Mais l'âme, une fois éveillée à l'ineffable, ne pourrait que l'oublier.

 

Il doit y avoir une autre entrée !

 

Paul, l'apôtre Paul, emploie souvent dans ses Epîtres la formule « Dieu et Jésus-Christ ». Troublant. On ne peut rien ajouter à Dieu. Ce « et » doit désigner autre chose ; comme, par exemple : en Jésus-Christ peut s'entendre ce qu'on dit quand on dit Dieu.

 

C'est que Jésus paraît au cœur de la foi d'Israël et que cette foi est implacable pour toute prétention à tenir Dieu. Destruction et mort des idoles. Chute des astres : on n'adorera plus cette armée du Ciel. Critique prophétique du Temple lui-même : Dieu ne s'enferme pas dans le culte.

 

Le lieu de Dieu, c'est l'homme. C'est en l'homme que Dieu peut être beaucoup plus que tout ce que l'homme peut contempler et construire dans l'univers. Mais l'homme est aussi bien le lieu du pire et le temple des démons. Il faut donc attendre Dieu en l'homme, jusqu'à ce qu'advienne l'homme pur de la mort, et assez pur de la mort pour que, jusque dans la destruction – dans le pâtir qui non seulement assassine mais avilit –, il ne soit complice ni comme bourreau, ni comme victime. Pur du meurtre (tant de meurtres sont commis au nom de Dieu ou de ce qui le remplace !). Ne devant rien à la mort.

 

Cet homme-là est le révélateur du Dieu vrai. « Qui le voit, voit le Père », c'est-à-dire la source en deçà de toute origine, le donateur en amont de tout don, le réel par delà toute réalité. Il est, dans sa présence, la présence de l'Ineffable.

 

Et ce qui va le montrer, dans l'effectif, dans la réalité humaine, c'est sa prodigieuse distance d'avec tous les « fonctionnements » où s'enlise le divin des humains. Le signe de Dieu, ce n'est pas que l'homme ait sur Dieu des idées intéressantes, c'est que l'homme soit pur du mensonge et du meurtre.

 

Cela ne peut le mener, l'humanité étant ce qu'elle est, qu'à travers l'en bas – où il se trouve proche, infiniment proche, de tous les humiliés, les exclus, les perdus. Mais c'est là même, comme le dit Paul, que lui est donné « le nom au-dessus de tout Nom ».

 

Bien loin que ce soit réduire Dieu à l'homme, ou arranger quelque divinisation, c'est reconnaître la distance infiniment infinie de Ce ou Celui qui demeure l'insaisissable. Mais c'est la reconnaître, non seulement en idée, mais dans les faits : par la distance infiniment infinie de cet amour en acte par rapport à ce que nous traînons de misère.

 

Voilà qui change et Dieu et l'homme, et pourrait nous aider à commencer d'entendre ce que peut signifier « la divinité de Jésus-Christ ».

 

Mais où est-il, cet homme ? Dans le passé des historiens, dans la théorie des théologiens, dans les images de la piété ?

 

Il est en nous, nous sommes son corps.

 

Bouleversement de l'Évangile, par rapport à toute sagesse et toute mystique. Le plus haut lieu spirituel n'est pas le sommet de la montagne décrit par Jean de la Croix, où « pour le juste il n'y a pas de chemin ». Le plus haut lieu est paradoxalement en bas, dans cette eucharistie où tous sont accueillis, même les plus faibles et les commençants ; parce que la vérité de Dieu est dans cette charité réciproque où nul ne se juge meilleur ou plus haut. Et ce qui fait la substance de ce lieu, c'est le Christ lui-même en son corps, manger sa chair et boire son sang – vraiment ce qu'il y a de plus humble, de plus archaïque, de plus charnel. Mais c'est l'intellect qui juge basse cette puissance de la chair qui est en vérité charnel ; il méconnaît que c'est tout l'homme, l'entier de l'homme, qui est le lieu de la présence. Il ne retient des sens que le voir et le toucher, quand ils sont dans la prétention de saisir. Il méconnaît l'écoute, la vue, le toucher dont parle Jean dans sa Première Epître, qui ne sont qu'amour, déprise de toute emprise, présence qui se donne et s'entre-donne.

 

« Dieu est amour. » Et « qui aime connaît Dieu » (encore Jean). Phrase formidable, dont on peut se demander si elle a été vraiment entendue. Par Thérèse de Lisieux, sans doute. Ce n'est donc pas par hasard si elle déclare avoir trouvé « une voie toute nouvelle » (« petite voie », dit-elle ; on entend « petite » et on n'entend pas l'énormité de ce qui suit : « voie toute nouvelle »).

 

Le lieu de la connaissance de Dieu (la connaissance – on est bien au delà de la morale !), c'est la relation avec autrui, quand cette relation est amour, selon l'amour que Dieu a pour nous, qui s'est manifesté en Jésus-Christ.

 

Serait-ce le moyen décisif d'en finir avec la confusion de Dieu dénoncée plus haut ? Mais si c'est vrai, quel tremblement de terre ! Ce que les gens disent de Dieu, ce que le gens croient de Dieu reste dans l'équivoque. Et qu'ils affirment ou nient, qu'ils croient en Dieu ou pas n'est pas vraiment décisif ; cela est pris dans la confusion. Ce qui lève l'équivoque, c'est ce que les humains sont les uns aux autres.

 

Vient alors cette incroyable pensée : Dieu n'est plus en Dieu, tel que les discours des hommes l'ont imaginé ou conçu, pour le construire ou le démolir. Dieu est en l'homme, quand précisément l'homme cesse de construire ou démolir Dieu ; quand l'homme devient ce pur accueil de ce qu'il ne sait ni ne possède aucunement, mais qui se révèle en lui à la mesure même où il se fait amour de tout l'homme et de tous ses frères et sœurs humains ; et tout particulièrement de ceux dont l'humanité est écrasée et défaite.

 

« Le Fils de l'Homme est venu sauver ce qui était perdu » : voilà qui est parler – divinement.

 

Après quoi, nul mépris pour qui ose, humblement, nommer Dieu. Saint Augustin disait, à propos des trois personnes du Dieu unique : nous parlons ainsi, non pas vraiment pour dire, mais parce que nous ne pouvons pas nous taire. Humains, nous sommes des êtres de langage. Le silence ne vaut que dans ses noces avec la parole. Sinon il est silence d'hébétude et de mort.

 

Toute pensée qui cherche Dieu est digne de respect et d'attention, pourvu qu'elle ne trouve pas ce qui la dispenserait de chercher encore. Mais pouvons-nous, tels que nous sommes devenus, habiter aujourd'hui ces grandes cathédrales de l'esprit que nous ont laissées nos devanciers ? Ou nous faut-il accueillir, là même, la pauvreté qui nous prive de tout, sauf de ce très essentiel qui n'est rien, pour tout regard ou toute main avide ; une lueur, un souffle, l'ombre d'un regard, la très étrange douceur qui baigne celui ou celle qui sort de ses enfers ?

 

Mais peut-être que, vis-à-vis de Dieu, la parole meilleure est-elle celle que nous lui adressons, l'invocation, qui ne prétend à aucun savoir mais se tourne vers qui-est-là ; comme nous faisons envers autrui, quand nous l'aimons ; ou encore la parole qui de Dieu vient vers nous, par telle parole humaine où quelque chose du désir véritable vient s'éveiller en nous.

 

Alors Dieu est ce qui habite la parole, pour que la parole humaine demeure ouverte, du côté de ce don tout premier et imprenable, sans lequel déjà nous sommes morts, passés sous la loi du meurtre.

 

C'est pourquoi, décidément, le mieux que nous pouvons espérer, c'est, à Sa manière, de parler divinement à ceux que nous rencontrons et à nous-mêmes. Là, nous avons quelque chance d'être proches de Celui qui « veut que tous les hommes soient sauvés ».

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2


Dieu dans l'épreuve

 


Extrait de « Incipit ou le commencement »,
Desclée de Brouwer, 1992, pp. 76,77


Transmis par Michel Leconte

 

Il arrive à certains de ne goûter que l'absence et l'épreuve.

 

Si quelqu'un se trouve alors sans Dieu, sans pensée, sans imagination, sans mots, reste du moins pour lui ce lieu de vérité : aimer son frère, qu'il voit.

 

S'il ne parvient pas à aimer, parce qu'il est noué dans sa détresse, seul, amer, affolé, reste du moins ceci : de désirer l'amour.

 

Et si même ce désir lui est inaccessible, à cause de la tristesse et la cruauté où il est comme englouti, reste encore qu'il peut désirer de désirer l'amour. Et il se peut que ce désir humilié, justement parce qu'il a perdu toute prétention, touche le cœur du cœur de la divine tendresse.

 

« Ce n'est pas sur ce que tu as été ni sur ce que tu es que te juge la miséricorde, c'est sur ce que tu as désiré d'être. »

 

Il n'y a pas d'homme condamné.

 


 

 

 

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