Jésus désigne constamment
Dieu comme source de son
inspiration et de ses engagements, notamment
en le nommant « Père ».
Mais son Dieu-Père est Celui des prophètes
selon lesquels le seul vrai
« culte » que l’on puisse Lui rendre
est avant tout de pratiquer, individuellement
et socialement, le refus du mensonge et le
souci du vrai, la passion de la justice,
l’attention et le service envers autrui,
notamment à l’égard des oubliés, des
marginalisés, des rejetés, des paumés. Au
niveau du langage, Jésus ne pouvait s’exprimer
autrement pour désigner l’origine de ce qui
l’inspirait au plus intime dans ses
engagements, puisqu’il était enraciné dans sa
culture religieuse juive et ses
représentations. Chaque humain au cours des
temps, depuis le néolithique jusqu’à nous ( 1
) ne peut se penser et penser son expérience
qu’à travers la culture de son époque ( 2 ).
Mais quand on regarde de près ce qui est
engagé existentiellement chez Jésus dans
l’emploi du mot « Dieu », on
voit que ce mot désigne pour lui, comme pour
les prophètes, une Exigence intime (avec un
grand E) qui s’impose à quiconque veut
s’humaniser réellement. « Dieu »,
c’est l’appel à pratiquer l’ouverture
permanente de son être avec le souci constant
de ne pas se laisser piéger par les apparences
trompeuses, les faux semblants, les mensonges,
les petits arrangements, dans lesquels on
risque constamment de s’installer si l’on
n’est pas vigilant. Et c’est aussi
l’invitation pressante à les dénoncer et à
lutter contre.
Quand
Jésus dit « Dieu », il ne
sait pas plus que nous aujourd’hui quelle est
la profondeur du mystère qu’il désigne par ce
mot, car dans sa Tradition biblique, ce
vocable renvoie à une réalité innommable et
inconnaissable. Toutefois, il a appris d’elle
que cette mystérieuse réalité est considérée
comme le fondement de la Vie qui anime tous
les êtres vivants. En se servant de ce mot
familier de sa religion, il rendait compte
d’une sollicitation intérieure qui l’invitait
avec insistance à devenir honnête avec
lui-même sans se mentir, à maintenir ouverte
en lui la nécessité de choisir le vrai et de
s’engager pour la cause de la fraternité
humaine ; inversement, cette
sollicitation intime l’exhortait à faire taire
la tendance à se replier sur lui-même, à
refuser une tranquillité peinarde, à
questionner ses convictions du moment, à
dépasser ses préjugés, à affronter les
orthodoxies qui se faisaient passer pour la
Vérité. De cette invitation, il a fait les
travaux pratiques avec quel courage et quelle
détermination, jusqu’à y laisser sa vie !
À vingt
siècles de distance, des hommes et des femmes
de la modernité présente, pour qui « Dieu »
est devenu un mot vide, ne sont-ils pas
sensibles eux aussi, quelle que soit l’aire
culturelle dans laquelle ils vivent, à
l’exigence intime que ce mot désignait pour
Jésus, lorsqu’il appelait ses compatriotes, à
ses risques et périls, à penser et à agir dans
la rectitude intérieure, à redonner dignité
aux humains mis au rancart, à contester le
système qui les déshumanisait, et quand il
pressait ceux qui entretenaient ce système
inhumain à ouvrir les yeux et à changer leurs
manières d’agir. J’en suis persuadé en voyant
vivre des amis agnostiques ou athées, dont la
qualité d’existence m’émerveille.
N’éprouvent-ils
pas le même appel intérieur quand ils
s’efforcent de vivre vrai et de refuser de se
mentir à eux-mêmes, et quand, au fond de leur
conscience, ils se sentent sollicités, à
ouvrir leur esprit et leur cœur au-delà de
leurs paresses, de leurs étroitesses, de leurs
évidences instinctuelles ? À quels
engagements cet appel les convient-ils ?
Leur réponse inédite dépend de chacun. Ce peut
être, par exemple, rejoindre autrui qui a
besoin d’un compagnonnage, choisir un style de
vie sobre par solidarité avec les moins
fortunés et par respect pour la planète
commune, s’engager dans l’accueil de réfugiés
mal perçus par l’entourage, s’investir dans
des actions de conscientisation en direction
de publics non informés ou désinformés,
s’obliger à faire sérieusement le point sur sa
manière de vivre, etc.
Ne
vivent-ils pas là une expérience de
« transcendance » non religieuse, au
cœur même de leur fidélité au meilleur
d’eux-mêmes ? J’entends, bien sûr, le mot
« transcendance » dans le sens de ce
qui invite, voire provoque l’être humain à
surmonter son confort routinier pour emprunter
la voie d’une humanisation véritable.
Cette
exigence intime d’humanisation est donc une
expérience qui, en soi, n’a rien de
« religieux », mais qui témoigne de
la grandeur de l’homme capable de dépassement
et d’ouverture en réponse à ce qui l’appelle
mystérieusement en ses profondeurs. Cette
expérience, éminemment personnelle, bien que
vécue en lien avec d’autres qui s’y emploient
de leur côté, n’a rien à voir avec le
volontarisme (celui-ci en est plutôt
l’ennemi). Elle se vit, me semble-t-il, dans
un patient mûrissement de soi-même, où ne sont
pas exempts les tâtonnements, les échecs, les
hésitations, la traversée de la nuit, mais où
demeure, quoi qu’il arrive, le souci de
« vivre vrai et de penser juste »
comme disait Marcel Légaut.
J’avancerai
pour conclure que, nous autres humains du XXIe
siècle, membres ou non d’une religion, nous
sommes tous, si nous ne nous y dérobons pas,
inspirés au plus intime par les mêmes
exigences que celles qui provoquaient Jésus et
les grands spirituels de tous les temps et les
convoquaient aux grands chantiers de la
fraternité vécue et de la pensée qui libère de
tous les enfermements.
C’est la
raison pour laquelle je m’efforce de
considérer chaque adulte, chaque jeune et
chaque enfant - connu ou inconnu - comme des
acteurs déjà à l’œuvre ou en puissance de
s’investir dans ces chantiers, les seuls qui
vaillent. De quoi m’émerveiller, et m’inciter
à me joindre à ces compagnons d’où qu’ils
viennent pour faire advenir du neuf qui fait
vivre et pour lutter contre ce qui anesthésie
et réduit en servitude.
( 1 ) Pour un
christianisme sans religion. Retrouver la voie
de Jésus de Nazareth, Bruno Mori,
Karthala, 2021, pages 15 à 33.
( 2 )
Pour un christianisme d’avenir, John
Shelby Spong, Karthala, 2019, pages 33-36, Distinguer
entre
expérience et langage explicatif.
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