Je ne peux pas ne pas parler
Lettre ouverte aux évêques de Nantes et de Meaux,
à leurs conseils et aux prêtres de Sainte-Pazanne
Jacques Musset
1er novembre 2019
Il y a eu dans l’église de Ste Pazanne (44), le week-end dernier des 19-20 octobre, un rassemblement intitulé « Eucharistie et guérison », à l’initiative de la Fraternité diocésaine des groupes charismatiques et animé par Alain-Marie Ratti, prêtre du diocèse de Meaux et organisateur des soirées dite Raphaël de Melun. Ayant reçu sur le trottoir une invitation, j’ai voulu voir de quoi il s’agissait et je suis allé assister à la veillée de prières du samedi soir sur le dernier banc de l’Eglise. J’en suis sorti consterné !
La veillée a duré deux heures. La nef était pleine (300 personnes environ). Ce fut un grand show religieux savamment orchestré pour conditionner les participants. Les animateurs (surtout le prêtre) ont appuyé à fond sur la corde émotionnelle et asséné une doctrine à coup de versets du Nouveau Testament pris au sens le plus littéral. La soirée a commencé par une série de chants, soutenue par des enregistrements musicaux à très haut débit sonore. De quoi mettre de l’ambiance pour chauffer l’assistance ! Cela a duré une demi-heure. Debout, on chante à gorge déployée, on lève et on agite les mains vers le ciel, on se trémousse de droite et de gauche. Cette effervescence bruyante de joie avait un côté artificiel.
Puis il y a eu un long, très long discours du prêtre attestant d’abord des miracles dont il avait été témoin, puis il s’est lancé dans une grande tirade sur l’hostie consacrée, présence réelle du Christ au milieu des gens, comme il l’était il y a vingt siècles sur les routes de Galilée ! Rien sur la célébration de l’Eucharistie, tout chez lui est centré sur la vénération et l’adoration de l’hostie. Pour sa démonstration, il n’a pas hésité à déverser sur les gens quantité de citations des évangiles et de St Paul, lus et entendus d’une manière fondamentaliste. Il semble ignorer complètement l’exégèse qui permet de comprendre la pensée des auteurs. Lui paraît se moquer éperdument de faire des contre-sens pourvu que ça aille dans le sens de ce qu’il veut inculquer. Pour qui l’entend avec un peu de distance, sa conception de la présence du Christ dans l’hostie « avec son corps, son âme et sa divinité » est très matérialiste. Qui ne pense pas comme lui est victime de « Satan et de ses légions d’anges déchus » qui s’acharnent aujourd’hui comme hier sur la présence du Christ, manifestée actuellement dans l’hostie. Il pourfend les chrétiens qui s’interrogent, doutent et se laissent ainsi envoûter par la tentation satanique.
Vient alors la procession du St Sacrement dans l’église durant une bonne demi-heure. C’est Jésus qui vient visiter les siens et leur apporter sa « consolation », des guérisons physiques peut-être, des conversions à coup sûr. Le prêtre portant l’ostensoir avance très lentement par l’allée centrale le long de la partie droite de la nef puis redescend par les bas-côtés toujours du côté droit, s’arrête devant les deux transepts puis remonte en longeant le côté gauche de la nef par les bas côtés et redescend la nef centrale. Que fait-il ? Faisant corps avec l’ostensoir, il s’arrête constamment, dirige l’ostensoir vers les gens assis sur un banc, l’approche de telle ou telle personne, repart, revient en arrière de quelques pas, poursuit sa marche, s’arrête pour s’essuyer le front, reprend son cheminement. Durant la demi-heure, les regards curieux des assistants sont braqués sur la démarche du prêtre et sur ses gestes pendant qu’une musique douce se répand dans toute l’église. Peut-être un miracle va-t-il s’accomplir ?
Le prêtre revient dans le chœur et remet l’hostie dans le tabernacle. Mais il pérore encore sur les « grâces » que Jésus a pu distribuer aux gens dont le cœur était ouvert. Le mot « grâce » revient constamment sur ses lèvres. Et il pose la question : pourquoi Jésus se dissimule-t-il sous les apparences de l’hostie ? Réponse : c’est pour ne pas faire de différence au regard de ses disciples tous amoureux de lui. Le prêtre termine en faisant distribuer des centaines de chapelets qu’il a achetés à Medjugorje (c’est un fervent du lieu où il a été guéri, dit-il). Après les avoir bénis, il recommande à chacun des participants de glisser anonymement un chapelet dans une boîte à lettres. Ses derniers mots sont un appel solennel à la quête. Enfin il fait distribuer à la sortie de l’église un de ses papiers intitulé : « Pourquoi Jésus ne guérit-il pas tout le monde ? ». Sa réponse : on n’en sait rien, mais Jésus veille aux vrais besoins de ses disciples. Donc, mes frères prions, prions, prions, notre prière sera exaucée selon ce que Dieu souhaite de meilleur pour nous.
Voilà, messieurs, ce qu’il m’a été donné de voir et d’entendre samedi 19 octobre dans l’église de Ste Pazanne. Avez-vous assisté à ce genre de cérémonie animée par un groupe charismatique et plus spécialement par un prêtre distillant ce genre de discours, axé sur l’hostie consacrée pourvoyeuse de « grâces » de toutes sortes devant un public partageant déjà ces convictions ? Si oui, qu’en avez-vous pensé ? Si non, je vous invite à faire l’expérience. Pour ma part, je m’interroge sur le service que cette manifestation peut rendre aux chrétiens ? A mon avis, elle enfonce le public dans une religion basée sur l’émotion, une foi de charbonnier, une absence de questionnement, la recherche d’un profit personnel (il n’a été question durant la veillée que de Jésus et moi, de Dieu et moi).
Plus précisément, l’intervenant s’est référé à une représentation de Dieu tout-puissant et bon, dont le comportement silencieux dans les pires tragédies humaines pose de redoutables questions. Notre orateur n’en a pas paru conscient. De même il a mis l’accent sur une dévotion née au XIIIe siècle et relativement marginale, déconnectée de la célébration de l’Eucharistie. Cette dévotion à l’hostie consacrée inclut de plus une représentation matérialiste de la « Présence réelle ». Il en ressort une représentation du Christ qui n’a pas grand chose à voir avec le Nazaréen qui a misé sa vie au nom de son Dieu pour redonner confiance, espoir et vie à ses compatriotes marginalisés et rejetés pour toutes sortes de raisons, dans le cadre de la religion de son temps pervertie par le ritualisme et le légalisme. C’est sur ces enjeux que Jésus a été assassiné. C’est sur eux que nous sommes appelés à poursuivre son œuvre de libération à tous niveaux. Ne retombons pas dans les ornières du judaïsme au temps de Jésus et condamnées par lui. Autre réserve : sous ses dehors communautaires, la célébration ne l’a pas été. Il y avait un acteur principal qui mène tout et il y a le « troupeau » des fidèles qui gobe ce que dit et fait le « gourou », l’homme sacralisé qui sait tout sur tout. Le danger de dépendance est réel. Alain-Marie Ratti est un fameux bateleur !
Au motif de toutes ces réserves, je ne comprends pas que vous, évêque de Nantes, ayez autorisé ce genre de manifestation, que vous, évêque de Meaux, laissiez Alain-Marie Ratti se répandre, ni que vous, les prêtres de Ste Pazanne, ayez recommandé et accueilli le week-end et la veillée.
Voilà ce que je voulais vous exprimer au nom de mon attachement à la personne de Jésus le Christ et au visage de son Dieu qui transparaît à travers ses paroles et ses actes de libération au profit de l’homme humilié, mis au ban de la société, déclaré infréquentable. C’est cette « religion » en esprit et vérité que j’essaie de vivre concrètement, dont les deux grands commandements se conjuguent ensemble, mais où la pratique du second atteste seule la qualité de réponse au premier.
Je suis loin d’être le seul à ne plus retrouver mon compte dans les messes et autres cérémonies, dont le langage et le fonctionnement traditionnel datant d’une autre culture ne sont plus crédibles. Essayez-vous d’entendre ce que ces chrétiens qui désertent les églises pour ces motifs ont à exprimer ? Je n’ai jamais entendu dire que vous ayez pris des initiatives en ce sens. Je vous recommande à ce sujet l’article de Jean-Louis Schlegel paru dans le dernier N° des Etude : « Pourquoi les chrétiens s’ennuient-ils à la messe ». Il est très instructif.
Veuillez croire, Messieurs les évêques, vos conseils, et messieurs les prêtres, à la sincérité de ma démarche inspirée par ma passion pour Jésus, son message et sa pratique.
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