L'ultime secret
de Gérard Bessière
disponible auprès de l'auteur : 158, La Grave, 46140 Luzech (10 € + port)
Jacques Musset
10 mai 2017
Gérard Bessière, à quatre-vingt-neuf ans, demeure un des explorateurs incessants du mystère du monde et des humains et donc de son propre mystère. Dans son dernier livre, il s'interroge encore et toujours : « Quel est le Secret des secrets, à l'origine permanente de l'univers et de l'humanité » (entendez bien « permanente »), telle est la question qui l'habite au plus intime de son être et qui le tenaille au coeur de sa longue existence d'homme, de chrétien et de prêtre. Il s'agit pour lui d'une interrogation vitale concernant le sens de l'aventure humaine et de chacune de nos vies singulières . Les réponses traditionnelles de la doctrine catholique élaborées dans des contextes qui ne sont plus les nôtres ne paraissent plus pertinentes à ses yeux. Les réflexions qu'il nous livre peuvent nous aider à nourrir, creuser et affiner nos propres questionnements.
Dans la première partie de son ouvrage, Gérard Bessière éprouve le besoin de revenir aux sources de sa tradition chrétienne que sont les grandes voix prophétiques qui ont retenti depuis le 8e siècle avant notre ère et dont Jésus est l'héritier. Peut-on y puiser toujours ? Le coeur de leur message s'exprime dans des langages et des procédés littéraires qui ne sont plus les nôtres mais il n'a rien perdu de son actualité. C'est, disaient-ils, dans la pratique de la justice avec autrui et la solidarité avec les êtres les plus délaissés que l'aventure humaine de chaque personne et des sociétés humaines prend sens et que se crée la paix véritable et durable ; l'expérience du contraire ne fait qu'engendrer malheurs, oppressions, violences, destructions. Ils parlaient d'expérience et c'est toujours vrai. On le constate chaque jour au plus près et au plus loin. Les prophètes de la Bible naturellement croyants ajoutaient en même temps que cette façon humanisante de vivre, personnelle et collective, authentifiait la vérité de la relation de quiconque avec le « Dieu caché et inconnaissable ». Jésus « héritier et novateur » est allé dans le même sens que ses devanciers mais plus loin encore, en approfondissant et en universalisant leur démarche. Son combat contre les puissances de l'époque qui opprimaient la dignité de l'homme (le légalisme et le ritualisme) révèle « le Secret », mystérieux et invisible ferment au cœur des réalités humaines. Considéré par ses adversaires comme fossoyeur de la religion, Jésus est exécuté mais, depuis vingt siècles, son témoignage n'en finit pas de susciter une multitude de chemins de vie. « Avec lui une mutation de l'humanité commence, ambitieuse, pathétique, douloureuse. En lui la nouveauté de la liberté, de l'amour sans limites, du don et du pardon jusqu'à la mort, demeure à jamais éblouissante. Depuis, cette vision, cet appel, cette présence n'ont pas cessé de réveiller et de stimuler des femmes et des hommes. Tant de justes et de saints, connus et inconnus, et la fragile émergence d'une planète éprise de respect et de justice, (en) sont des échos vivants ». Mais qu'en est-il aujourd'hui ?
Dans une seconde partie, intitulée « Tâtonnements », Gérard Bessière s'interroge avec gravité : dans notre situation actuelle, inédite à tous points de vue par rapport au passé, comment nous risquer à donner sens à notre aventure humaine et à en percevoir « le Secret » ? Notre auteur a en effet une vive conscience que le développement des connaissances et des inventions depuis quatre siècles qui ne cessent de s'accélérer ont bousculé nos représentations tous azimuts. Notre terre est un tête d'épingle dans l'infini cosmos et nos savoirs sur la complexité de l'infiniment grand et petit ont balayé les conceptions d'autrefois, y compris les croyances religieuses. G. Bessière évoque la série de déplacements qu'il a lui-même opérés au fil des ans, à la suite de ses études, de ses lectures, de ses observations et de ses rencontres. Ses certitudes d'antan se sont amenuisées. Pour lui, les doctrines traditionnelles sur l'homme, Jésus et Dieu que l'on dit tombées du ciel ou qui sont inscrites dans le marbre par les hommes au cours des siècles ne sont plus significatives en notre temps. « Le lierre des religions, des théologies n'a pas cessé d'entourer (Jésus), de prendre sa place, de le cacher ». Quant à Dieu : « On a depuis toujours vénéré, nommé, adoré le Secret en lui construisant des espaces sacrés, en lui rendant des culte solennels, en élaborant des doctrines, en déployant les ressources de tous les arts [...] Le secret demeurait secret alors même qu'on l'habillait avec les revêtements successifs des cultures. Que d'écrans pour l'accommoder aux poussées archaïques de nos besoins religieux ! » Ainsi en est-il des doctrines et cérémonies liturgiques qui revendiquent d'être la voie royale d'accès au « Secret » Ces prétentions sont laminées à bon escient par la pensée critique et cèdent le pas à des balbutiements plus modestes et discrets sans que la question essentielle ne faiblisse pour autant : « Quel est le Secret des secrets à l'origine permanente de l'univers et de l'humanité ? »
G. Bessière confesse que c'est dans l'indéniable qualité d'humanité dont il est le témoin qu'il devine la trace indicible et mystérieuse du « Secret ». Pour l'observer, s'en émerveiller, se laisser stimulé par elle, Il suffit d'ouvrir les yeux que l'on maintient souvent aveugles. Cette qualité d'humanité se nomme sous toutes les latitudes « solidarités nouvelles, recherches de vie collectives, ébauches de fraternité ». Elle se révèle dans la diversité et la profondeur des vies au-delà des clivages de croyances et d'idéologies. « Le premier sourire d'un enfant, le dévouement de vies entières, l'aspiration des foules à la justice, la recherche inassouvie en tous domaines, les créations des artistes, des poètes, des musiciens, des penseurs, montrent les beautés, innombrables, de l'existence. Elles sont entravée, parfois, par la violence,la soif de domination, l'appétit de l'argent, mais il n'empêche ; le Secret est là, intime aux ténèbres présentes et aux jours nouveaux que les prophètes de jadis annonçaient dans les circonstances politiques et sociales de leurs temps. [...] Dans l'humble quotidien des multitudes, que de personnes, sans chercher de justifications ou d'impulsions surnaturelles, sont des prophètes de l'avenir immédiat ou lointain ! »
N'est-ce pas là le lieu de la révélation permanente du « Secret ». On a entendu longtemps le mot révélation comme une parole venue d'en haut. Ne faut-il pas plutôt en pressentir la présence « en pleine vie ? Pas besoin de théories, de grandes considérations sur Dieu et l'au-delà. La Révélation est en acte, dans les actes. Elle est souvent brimée quand les coeurs et les mains se ferment. Elle fleurit quand l'humanité devient plus humaine.[...] Beaucoup de femmes et d'hommes, sans le savoir, le portent en eux et vivent de lui. »
Si le « Secret » reste à jamais le secret, un mystère impossible à définir, à mettre en catégories, à enclore dans des dogmes, il se laisse deviner au travers des conduites humaines qui le révèlent. « On ne voit pas la lumière, dit Sulivan, mais les visage qu'elle éclaire ». Et Maurice Bellet n'hésite pas à écrire que « Dieu, c'est le plus humain de l'homme ». Gérard Bessière lui aussi nous convie, dans son merveilleux essai, à chercher et à entrevoir ce « Secret » au milieu de nous et en nous. « Dans les cœurs qui aiment, dans les dévouements de vies entières, dans les naissances et renaissances de peuples avides d'avenir humain, le Secret est proche, brûlant parfois, (il) bouillonne en nous, l'Intime plus intime que toute intimité ». Sommes-nous au rendez-vous ?
Retour vers Jacques Musset
Retour vers la page d'accueil
Vos
commentaires et réactions