Protestants dans la ville

Page d'accueil    Liens    

 

Gilles Castelnau

Images et spiritualité

Libres opinions

Spiritualité

Dialogue interreligieux

Généalogie

 

Claudine Castelnau

Nouvelles

Articles

Émissions de radio

Généalogie

 

Libéralisme théologique

Des pasteurs

Des laïcs

 

 

Réseau libéral anglophone

Renseignements

John S. Spong

 


  





L'abaya


 

Claudine Castelnau


11 septembre 2023

Une fois encore, la question de la laïcité a envahi l’espace public français. Et provoqué de nombreux commentaires politiques, sociaux, religieux même. Nos voisins européens ont levé un sourcil : voilà que la France s’enflamme encore : après le foulard « islamique » et le burkini, cet été c’était l’abaya, qui fait polémiquer.

Cette longue et ample robe, qui cache des formes, portée par les femmes dans certaines régions du Moyen-Orient et d’Afrique est souvent accompagnée d’un voile ! Symbole de tradition et d’identité musulmane, d’un certain refus de s’intégrer totalement. Un vêtement que certains qualifient aussi chez nous de cache-misère…

 

A Montpellier où j’étais il y a peu, un centre commercial important semblait être devenu le rendez-vous de nombre d’adolescentes et de jeunes femmes portant cette abaya. Difficile d’ailleurs de repérer des codes stricts tant le défilé est varié : couleurs du noir au beige en passant par le mauve, avec parfois une robe longue d’un beau jaune canari accompagnée d’un foulard noir noué dans le chignon ou un très long foulard qui flotte au vent porté sans abaya…

 

Mais une fois encore l’incompréhension de nos voisins est manifeste : « Pourquoi une adolescente ne pourrait-elle pas exprimer ses convictions religieuses tout en poursuivant ses études à l’école ? », se demande le correspondant de la BBC à Paris. Qui répond : « Rien ne définit la France et ne la sépare de ses voisins aussi clairement que la question de la laïcité. Ainsi, cette semaine, alors que les étrangers observaient avec un mélange d’étonnement et d’indignation l’interdiction de la robe musulmane traditionnelle abaya dans les écoles, les Français eux-mêmes ont donné à cette mesure un score écrasant de 81 %, selon les sondages. »

 

Et le journaliste britannique, où le communautarisme est de rigueur, y voit la résurgence de l’affaire, il y a 30 ans, du foulard islamique à l’école dans la ville de Creil, près de Paris, en 1989. « Depuis lors, rappelle-t-il, la France dispose d'une loi de 2004 interdisant les manifestations ‘ostentatoires’ d'appartenance religieuse, quelles qu’elles soiten, dans les écoles, complétée par la loi de 2010 interdisant le port du voile intégral dans les lieux publics. »

Et si « les atteintes à la laïcité » dans les écoles, comme celle récente du port du foulard islamique dans le sport, sont le fait d’abord d’adolescentes musulmanes portant par ailleurs l’abaya.  Et le correspondant de la BBC à Paris, un peu dérouté, tente de conclure : « En France, le gouvernement estime que l'apparition des abayas en plus grand nombre dans les écoles n'est pas le résultat d'histoires d'adolescents redécouvrant un intérêt pour leur héritage culturel mais comme des tentatives délibérées – organisées à des degrés divers – de remettre en question le système et de voir jusqu’où les limites de la laïcité peuvent être repoussées par certains groupes religieux liés aux Frères musulmans islamistes. »

 

Étonné, le journaliste doit pourtant reconnaître que « la plupart des Français, et cela inclut bien sûr de nombreux musulmans, croient sincèrement au principe selon lequel la religion doit être exclue de l’école. Quand le président Macron affirme qu’il devrait être impossible de regarder un élève et de connaître sa foi religieuse, ils sont d’accord.

Lorsque le Président affirme qu’être strict sur ce point garantit en fait la liberté individuelle à long terme et que cela empêche une France unie de se diviser en une myriade de ‘communautés’, les Français le croient également. Et lorsque les féministes affirment que l’abaya n’est peut-être pas à l’origine un vêtement religieux mais que sa forme dissimulant le corps [des femmes] a été déterminée par l’islam traditionaliste, la plupart des Français sont d’accord. »

 

Enfin, lorsque le Conseil d’État a rejeté la demande d’annulation de l’interdiction de porter l’abaya à l’école, il n’y a pas eu de mouvement de résistance de masse, « une fois de plus la France montre à quel point elle se distingue des autres pays : rien ne définit la France ni ne la sépare des ses voisins aussi clairement que la question de la laïcité [et les Français une fois encore ont approuvé l’interdiction de l’abaya à l’école à 81 % »

 

 

Toujours sur cette question de l’abaya, l’hebdomadaire protestant Réforme a demandé à deux spécialistes de la question leur opinion. Nathalie Heinich, sociologue, directrice de recherches au CNRS a un avis tranché : « Oui, il fallait interdire l’abaya. Cette décision aurait dû être prise il y a plus d’un an, écrit-elle, pour au moins trois raisons. Premièrement, le port de cette tenue résulte d’un embrigadement sectaire via une campagne menée sur les réseaux sociaux par des prédicateurs islamistes pour imposer la société ‘charia-compatible’ que visent les Frères musulmans […] En second lieu, contrairement aux allégations déniant à l’abaya son caractère religieux au motif qu’elle ne relèverait pas d’une prescription coranique, elle constitue bien une affirmation d’appartenance à l’islam fondamentaliste […] dans sa pratique rigoriste. Il y a donc bien une atteinte à la loi de 2004 prohibant les signes religieux dans le cadre scolaire. Or la laïcité est un outil de préservation de la liberté de conscience, dont l’école devrait être le lieu privilégié, celui où l’on s’extrait de sa communauté pour apprendre à penser par soi-même […]. Enfin le port de l’abaya, comme toute police du vêtement, porte atteinte à la liberté des femmes et à l’égalité de leurs droits […] La liberté des femmes consiste d’abord à ne pas se laisser imposer les instruments de leur servitude […] . L’argument de la ‘liberté’ pour justifier le port de signes d’appartenance religieuse n’est décidément qu’un attrape-nigaud. »

Quant à Jean Baubérot, historien et sociologue et titulaire plusieurs années de la chaire « histoire et sociologie de la laïcité à l’École pratique des hautes études », il a participé, en 2003, à la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République française à l’époque des débats sur le « voile islamique ». Dans Réforme, il rappelle que la lutte du camp laïque s’est focalisée sur le vêtement dès le début du 20e siècle, alors que se prépare la loi sur la séparation de l’Église et de l’État et le président Aristide Briant, étonné, indique avoir reçu beaucoup de lettres mettant la laïcité « tout entière dans le costume ».

Jean Baubérot raconte encore que « lors des débats parlementaires, un député veut interdire le port de la soutane dans l’espace public au nom ‘de la liberté et de la dignité humaine’. Briand s’y oppose, estimant ‘intolérant’, et même ‘ridicule’, d’inclure cette mesure dans une ‘loi de liberté’. D’ailleurs, ajoute-t-il, la soutane interdite, ‘l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs’ créera un ‘vêtement nouveau’. Il l’emporte. Ainsi la soutane devient-elle pour l’État laïque ‘un vêtementcomme un autre’ »

La loi du 15 mai 2004 interdit le port de signeset de tenues religieuses ostensibles aux élèves des écoles publiques. Il s’agit du voile, de la kippa et de grandes croix.  Puis on a voulu étendre le périmètre de la loi aux mères accompagnatrices des sorties scolaires et déjà portant des robes longues. « En cette rentrée, l’abaya se trouve incluse dans la loi de 2004, car elle est déclarée tenue religieuse par le ministre Gabriel Attal, malgré l’avis contraire d’instances musulmanes, créées pourtant en concertation avec le pouvoir politique et censéesle conseiller en la matière […] Est-ce le rôle de l’État laïque de décréter ce qui est religieux, se situant ainsi sur le même terrain que les ‘intégristes’ ? se demande l’historien. La notion vague d’’atteinte à la laïcité’ met sur le même plan robes longues et refus de cours sur la Shoah, […] N’opère-t-on pas une confusion contreproductive entre signes d’adolescence et signes de radicalisation ? La stratégie adoptée ne risque-t-elle pas de rendre des discours extrémistes attirants ? Se situe-t-on vraiment dans la ‘laïcité d’intelligence’ demandée par le philosophe Régis Debray ? »

 




Retour en page d'accueil
Retour vers Claudine Castelnau

Vos commentaires et réactions

 

 

haut de la page

   

 

Les internautes qui souhaitent être directement informés des nouveautés publiées sur ce site
peuvent envoyer un e-mail à l'adresse que voici : Gilles Castelnau
Ils recevront alors, deux fois par mois, le lien « nouveautés »
Ce service est gratuit. Les adresses e-mail ne seront jamais communiquées à quiconque.